Du murmure et de la détraction
Source: Berthaumier 1863
Le vice de la détraction, mes frères, est opposé au principe même de la piété et de la grâce; il est abominable à notre très-pieux Seigneur, parce que le détracteur se repaît du sang des âmes qu’il tue par le glaive de sa langue. L’impiété des détracteurs est d’autant plus grande que celle des voleurs, que la loi de Jésus-Christ, dont l’accomplissement consiste à observer la charité, nous oblige plus strictement à désirer le salut de l’âme que celui du corps.
De plus, que fait autre chose le religieux qui murmure contre ses frères ou ses supérieurs, que d’abreuver du fiel de ses reproches et de ses trahisons sa propre mère la religion ? Les détracteurs sont de la race de Cham, qui, au lieu de cacher, a découvert dans son père ce qui devait être soustrait aux regards des hommes. Ils mettent à nu et exagèrent les défauts de leurs supérieurs et de leur Ordre; c’est pourquoi ils encourront la malédiction de Dieu. Comme des pourceaux, ils se complaisent dans la fange et les immondices, dans les défauts qu’ils cherchent avec empressement à découvrir dans leurs frères, et que peut-être même ils affirment faussement avoir trouvés ou avoir vus; ils s’en saturent et s’en repaissent à la manière des animaux immondes, plus immondes que ces animaux eux-mêmes dans leur conscience. Semblables à des chiens en proie à la rage, ils se plaignent de la discipline régulière, des corrections infligées dans la vie religieuse, de l’Ordre même et de ses supérieurs; ils aboient contre eux, ils les mordent autant qu’il est en leur pouvoir.
Tel est en effet le langage des détracteurs. « Ма vie n’est point parfaite, je n’ai ni science ni talent spécial; et ainsi je ne puis ètre en faveur ni auprès de Dieu, ni auprès des hommes. Je sais donc ce que je ferai: j’imprimerai une tache sur le front des élus, et je tâcherai ainsi d’attirer sur moi les bonnes graces de ceux qui sont au-dessous de moi. Au reste, mon supérieur est homme; il agit quelquefois de la même manière que moi; il coupe le cèdre, afin que la branche seule paraisse sur le chemin. » Allons, courage, misérable, nourris-toi de corps humains, et, puisque tu ne peux vivre autrement, ronge les entrailles de tes frères.
De tels hommes s’appliquent à passer pour gens de bien et non à le devenir; ils s’élèvent contre le vice, et ils ne s’en dépouillent pas; ils louent seulement ceux sur l’autorité desquels ils désirent s’appuyer, et ils s’abstiennent de tout éloge quand ils s’imaginent que celui qui en est l’objet ne doit pas en être instruit. Ils vendent au prix de louanges pernicieuses la pâleur d’un visage à jeun; ils veulent être regardés comme des hommes adonnés à la vie spirituelle, afin de pouvoir exercer leur jugement sur tout, et de n’ètre jugés de personne. Ils se complaisent dans la renommée et non dans les œuvres de la sainteté, dans le nom et non dans la vertu de l’Ange.