Ayez devant les yeux la voie de la sainte Croix
Source: Google Books
Saint François:
Ayez toujours devant les yeux, mes frères bien-aimés, la voie humble et pauvre de la sainte croix, par laquelle nous a conduits Jésus-Christ, notre Sauveur. Considérez que si sa divine Majesté a dû souffrir, et entrer ainsi dans sa gloire, il nous faudra à bien plus forte raison, nous autres pécheurs énormes, marcher par la voie de la croix et de la passion.
Si chaque chrétien est obligé à porter sa croix, assurément nous y sommes tenus à plus juste titre, nous qui faisons profession de suivre l’étendard de la croix; le Seigneur veut non-seulement nous la voir porter, mais nous voir engager par notre exemple et notre enseignement les autres à la porter, nous voir les entraîner sur nos pas, et suivre avec eux Jésus-Christ notre chef. Nous le devons surtout, parce que la bonne volonté et le désir d’imiter la Passion de notre Sauveur sont un don spécial que l’Esprit-Saint accorde et met en l’âme éprise du véritable amour de Dieu.
En effet, l’âme qui s’attache uniquement à ses propres affections et ne cherche qu’elle-mème, n’aime pas, ou plutôt a en horreur cette doctrine de l’Esprit-Saint; elle ne regarde pas comme nécessaire à la perfection de participer à la passion de Jésus-Christ. Bien plus, elle se promet un plus grand avancement en marchant par d’autres voies, qui en vérité ne sont pas des voies, mais plutôt des précipices cachés, et, se dérobant au fiel de la tribulation par des pensées diverses, humaines et de son choix, elle suit ses propres sentiments avec un cœur obstiné et aveugle, tout en prétendant pouvoir mieux servir Dieu avec une pareille liberté de conduite. Elle demeure indifférente aux délices sans nombre dont jouit intérieurement l’âme absorbée tout entière en la contemplation et la compassion de son Seigneur, car on ne peut goûter parfaitement ces délices sans souffrir quelque tribulation pour Jésus-Christ.
Mais pour l’âme purifiée et dépouillée de ses propres affections, elle se laisse humblement conduire par l’Esprit-Saint, elle agit selon son bon vouloir, elle le suit comme le maître le plus apte à enseigner cette doctrine singulière écrite par le Seigneur dans les livres de son humilité, de sa patience et de sa passion, qui sont les voies sûres pour arriver à la perfection chrétienne.
Cette âme, dis-je, qui a obtenu de Dieu d’être purifiée, désire avec véhémence être transformée en ses douleurs. Toutes les autres voies et les autres consolations sont à ses yeux des aliments mortels destinés à périr; cette voie seule est pour elle un remède salutaire dont le goût est acerbe, mais le résultat délicieux; car ce qui est amer à la bouche est souvent plein de douceur dans ses effets.
Préférant donc la santé à son goût, elle éprouve combien admirable est la suavité d’une vie courageuse qui dédaigne des consolations momentanées et mortelles; elle ressent à n’en point douter que son amour ne saurait jouir nulle part d’un repos plus parfait que dans une tendre compassion pour Jésus-Christ; elle comprend que plus elle se transforme en Jésus crucifié, plus elle se transforme en même temps en son Dieu suprême et glorieux. Car l’humanité ne se sépare pas de la divinité, et le Christ lui-même a prié son Père en disant : « Je veux que là où je suis, là soient aussi les miens. » (Joan., XVII.)
Ainsi l’âme contemple l’un et l’autre état de son Seigneur, de façon à ne jamais être séparée de lui. En effet, si elle le fuit dans sa passion, elle ne pourra lui ètre unie dans la gloire, selon cette parole de l’apôtre saint Paul : « Si nous souffrons avec lui, nous serons glorifiés avec lui. » (Rom., VIII.)
Elle contemple le Christ mortel et immortel, et de ces deux états, l’un appartient à ceux qui accomplissent leur course, l’autre à ceux qui ont reçu la récompense. Comme donc le manteau d’honneur n’est donné qu’à ceux qui ont couru, de même le ciel n’est donné qu’à ceux qui portent la croix; car le serviteur n’est pas au-dessus de son Seigneur, ni le disciple au-dessus du maître. Aussi voyons-nous Dieu communiquer sa grâce à ceux qui le suivent de cette manière, et la retirer à ces présomptueux qui prétendent s’unir à lui par des chimères, mais ne sortent jamais d’eux-mêmes, et s’en vont enfin misérablement dans l’abîme.