Approbation de la Règle par le Pape Innocent III
Source: Légendes de Saint François, par Saint Bonaventure, édition 1859
Voyant la famille s’augmenter, le serviteur de Dieu jette sur le papier pour ses frères et pour lui-même une règle de vie qui avait pour fondement l’observance des conseils évangéliques, auxquels il n’ajouta que quelques avis, nécessaires pour assurer l’ordre de la vie commune. Puis il désira faire approuver sa règle par le souverain Pontife.
Plein de confiance en Dieu, il résolut d’aller avec ses simples frères se présenter au Saint-Siége. Dieu jeta un regard favorable sur ses pensées; et comme ses frères étaient effrayés dans cette entreprise de la simplicité de leur maître, il les rassura par la vision suivante qu’il envoya à François. Il marchait le long d’un chemin, sur le bord duquel il lui parut voir un arbre d’une hauteur prodigieuse. S’approchant de cet arbre, et comme il admirait sa hauteur, une force divine le soulevait tout à coup et le portait si haut qu’il touchait le sommet, et de plus il courbait vers lui et jusqu’en bas avec une excessive facilité les plus hautes branches. Il comprit que cette vision lui présageait la condescendance apostolique à son égard; il se réjouit dans cette pensée, et ayant réconforté ses frères par ce récit, il partit pour Rome avec eux.
Arrivé à la cour romaine, et conduit devant le souverain Pontife, qui était dans son palais de Latran, où il se promenait dans le lieu dit le Speculum, absorbé dans les pensées les plus graves, il prit le serviteur de Dieu pour un importun, et le repoussa avec dureté. François sortit offrant à Dieu avec humilité son affront; mais la nuit suivante, le Pape eut la vision suivante: il vit entre ses pieds s’élever une palme qui croissait jusqu’à devenir un grand arbre. Il se demandait ce que pouvait signifier cette vision, lorsque Dieu lui fit comprendre que cette palme, c’était ce pauvre qu’il avait repoussé la veille.
Le matin donc il fit chercher par ses gens dans la ville le pauvre en question, qu’on trouva près de Latran dans l’hôpital Saint-Antoine. Bientôt il fut en présence du souverain Pontife, à qui il exposa ses desseins, lui demandant humblement, mais avec instance, d’approuver la règle qu’il lui avait fait connaître. Le Pape était alors Innocent III, pape fort sage et fort éclairé à coup sûr; il admira la pureté d’esprit et la simplicité de l’homme de Dieu, sa résolution, et la noble ardeur qui l’animait. Son coeur se prévenait d’affection pour le pauvre de Jésus-Christ, et il inclinait à le satisfaire.
Cependant il différa d’accorder ce que lui demandait le petit pauvre de Jésus, parce que quelques cardinaux croyaient voir dans son dessein une sorte de nouveauté au-dessus des forces humaines. Mais il y avait parmi eux un cardinal, Jean de Saint-Paul, évêque de Sabine, prélat vénérable entre tous, partisan de toute sainteté et le protecteur des pauvres de Jésus-Christ. Enflammé d’un saint zèle, il dit au Pontife et aux autres cardinaux :
“Si nous rejetons la supplique de ce pauvre, comme impliquant une nouveauté et une vertu excessive, lorsqu’il demande qu’on lui approuve la règle de la vie évangélique, il est à craindre que nous ne péchions contre l’Évangile lui-même; car si l’en dit qu’il y a quelque chose de nouveau entre la pratique de la perfection évangélique et la demande qu’il vous fait, ou bien quelque chose de déraisonnable ou d’impossible à observer, on est convaincu de blasphémer contre Jésus-Christ lui-même, l’auteur de l’Évangile.”
Les avis étant ainsi donnés, le successeur de saint Pierre se tourne vers le pauvre de Jésus-Christ et lui dit :
“Mon fils, priez Jésus-Christ de nous faire connaître par vous sa volonté, afin qu’en étant plus assuré nous obtempérions en toute sécurité à vos désirs.”
Le serviteur de Dieu se mit donc en prières; il s’y mit tout entier et avec ferveur, et il obtint de recevoir ce qu’il demandait explicitement lui-même, et ce que le Pape se sentait intérieurement porté à lui accorder. Il rapporta dans ce but une parabole que Dieu lui avait enseignée:
“Un roi riche avait épousé avec joie une femme belle mais pauvre, dont les enfants portaient la ressemblance de leur père et étaient admis à sa table; il ajouta: Il n’est point à craindre que les fils et les héritiers du roi étant nés d’une mère pauvre, à l’image de Jésus-Christ par la vertu du Saint-Esprit, meurent de faim; or ce sont ceux qui sont à naître avec l’esprit de pauvreté dans une religion toute pauvre. Car si le Roi des cieux promet un royaume éternel à ses imitateurs, à combien plus forte raison leur donnera-t-il ce qu’il ne refuse jamais ni aux bons ni aux méchants!”
Entendant cette parabole et son explication, le vicaire de Jésus-Christ fut dans l’étonnement, et ne douta plus que le Sauveur n’eût parlé par François. Il affirma de plus, sur la foi de l’Esprit-Saint qui l’inspirait, qu’une vision qu’il eut alors s’accomplirait dans l’homme de Dieu. Il vit donc en songe, c’est lui-même qui en fait le récit, il vit la basilique de Latran près de sa ruine, et un tout petit pauvre, sans considération, méprisé, la soutenait sur ses épaules et l’empêchait de s’écrouler.
“Voilà, s’écria-t-il, celui qui par sa doctrine et ses oeuvres soutiendra l’Église de Jésus-Christ.”
Dès lors le Pontife, pris d’un zèle tout particulier, donna son assentiment à la demande de François, et il ne cessa de lui porter une affection toute spéciale. Il combla donc ses désirs et promit même d’ajouter plusieurs faveurs à ce qu’il demandait. Il approuva sa règle, lui donna la mission de prêcher la pénitence, et il voulut que tous les frères laïcs qui avaient accompagné le saint homme portassent de petites tonsures, afin qu’ils pussent annoncer la parole de Dieu plus librement.