Chap. 23 - Triomphe de Jésus-Christ
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Le triomphe que notre Sauveur Jésus-Christ remporta sur le démon et sur la mort étant sur la croix. La prophétie d’Habacuc, et le conciliabule que les démons tinrent dans l’enfer.
(1412) Les mystères sacrés de ce chapitre correspondent à plusieurs autres dont j’ai fait mention en divers endroits de cette histoire. L’un d’eux est que Lucifer et ses démons ne purent connaître avec une certitude infaillible dans le cours de la vie et des miracles de notre Sauveur, que sa Majesté était vrai Dieu et Rédempteur du monde, et par conséquent ils ne connaissaient point non plus la dignité de la très pure Marie. La providence de la divine Sagesse le disposant de la sorte, afin que tout le mystère de l’incarnation et de la rédemption des hommes fût opéré avec plus d’abondance. Et quoique Lucifer sut que Dieu prendrait chair humaine, il ignorait la manière et les circonstances de l’incarnation ; et comme il lui fut permis d’en juger selon son orgueil, c’est pour cela qu’il se trouva dans une si grande perplexité, que tantôt il assurait que Jésus-Christ était Dieu par les miracles que sa Majesté faisait et tantôt il le niait, parce qu’il le voyait pauvre, méprisé, affligé et maltraité. Étant ébloui par cette diversité de lumières, il demeura dans le doute jusqu’à ce que notre Sauveur fût crucifié, temps où le dragon infernal devait être par la connaissance des mystères de cet adorable Seigneur, assuré de la vérité et vaincu en vertu de la passion et de la mort qu’il avait procurée à sa très sainte humanité.
(1413) Ce triomphe de notre Rédempteur Jésus-Christ fut accompli d’une manière si sublime et si admirable que je me trouve dans l’impossibilité de l’exprimer, car il fut tout spirituel et il ne s’y passa rien que les sens pussent apercevoir. Je voudrais, pour le faire comprendre, que nous nous communiquassions nos pensées les uns aux autres comme les anges le font, par cette simple vue par laquelle ils s’entendent entre eux ; car il faudrait que nous pussions nous servir de ce moyen pour découvrir et pénétrer cette grande merveille de la toute-puissance. J’en dirai pourtant ce que je pourrai, persuadée qu’on en connaîtra plus par la lumière de la foi que par mes faibles expressions.
(1414) Nous avons dit dans le chapitre précédent, que Lucifer et ses démons firent leur possible pour s’éloigner de notre Sauveur Jésus-Christ et se précipiter dans l’enfer aussitôt que sa Majesté eut reçu la croix sur ses épaules sacrées, parce qu’ils sentirent alors le pouvoir divin qui les opprimait avec une plus grande force. Par ce nouveau tourment ils connurent (le Seigneur le permettant de la sorte) qu’ils étaient menacés de quelque grande perte par la mort de cet homme innocent et qu’il était plus qu’homme. C’est pourquoi ils souhaitaient se retirer et n’assister plus les Juifs et les valets de la justice comme ils avaient fait jusqu’alors. Mais le pouvoir divin les arrêta et les enchaîna comme des dragons très furieux, et les força par le moyen de l’empire que l’auguste Marie avait reçu sur eux, de demeurer et de suivre Jésus-Christ jusqu’au Calvaire. De sorte que notre grande Reine eut la puissance de les assujettir et de les enchaîner par la vertu de son très saint Fils. Et quoiqu’ils fissent plusieurs fois tous leurs efforts pour fuir, ils ne purent résister à la force par laquelle la Vierge sacrée les arrêtait et les obligeait de s’approcher du Calvaire et de se mettre autour de la croix, où elle leur commanda de demeurer immobiles jusqu’à la fin de tant de sublimes mystères qui y étaient opérés pour le salut des hommes et pour la ruine des démons.
(1415) Par ce commandement, Lucifer et les autres esprits infernaux furent si accablés de la peine qu’ils sentaient par la présence de notre Seigneur Jésus-Christ et de sa très sainte Mère et de ce dont ils étaient menacés, qu’il leur aurait été en quelque sorte un soulagement de se précipiter dans les ténèbres de l’abîme. Et comme il ne le leur était pas permis, ils se pressaient comme des insectes épouvantés qui tâchent de se cacher dans quelque endroit, quoique leur fureur surpassât celle des plus cruels animaux.
Ce fut là que l’orgueil de Lucifer fut entièrement humilié, et que les hautes pensées qu’il avait d’établir son trône au-dessus des étoiles et d’absorber les plus pures eaux du Jourdain furent abaissées. Combien était affaibli celui qui prétendait en tant d’occasions renverser tout l’univers ! Combien était confus celui qui avait trompé tant d’âmes par ses fausses promesses ou par ses menaces ! Combien était troublé ce malheureux Aman à la vue de la potence qu’il avait préparée pour son ennemi Mardochée ! Quelle honte fut la sienne quand il vit la véritable Esther, l’auguste Marie, prier pour le salut de son peuple et demander que le traître fût privé de son ancienne grandeur et puni de la peine que son orgueil extrême avait méritée ! Ce fut-là où notre invincible Judith lui écrasa la tête. Je connaîtrai maintenant, ô Lucifer, que ta fierté, ton insolence et ta fureur sont plus grandes que n’est ton pouvoir. Comment es-tu déjà tout rempli de vers et rongé de la teigne, toi qui paraissais si brillant ? Comment es-tu plus opprimé que les nations que tu frappais de tes plaies ? Je ne craindrai point désormais tes menaces, et je mépriserai tes tromperies : parce que tu es vaincu, affaibli et sans aucun pouvoir.
(1416) Il était déjà temps que le Maître de la vie vainquît cet ancien serpent. Et comme ce devait être en lui faisant connaître la vérité qu’il ignorait, et qu’il lui était inutile de fermer les oreilles à la voix de l’enchanteur, le Seigneur commença de prononcer sur la croix les sept paroles, permettant à Lucifer et à ses démons d’en pénétrer les mystères, car par cette connaissance sa Majesté voulait triompher d’eux, du péché et de la mort, et les dépouiller de la tyrannie qu’ils exerçaient sur tout le genre humain. Or le Sauveur prononça la première parole : « Mon Père, pardonnez-leur, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc, XXIII, v. 34). Dans cette prière, les princes des ténèbres connurent avec certitude que notre Seigneur Jésus-Christ parlait au Père éternel, et qu’il était son Fils naturel, et vrai Dieu avec lui et avec le Saint-Esprit ; qu’il recevait volontairement en sa très sainte humanité d’homme parfait, unie à la divinité, la mort pour racheter tout le genre humain, et qu’il promettait par ses mérites infinis aux enfants d’Adam et même à ceux qui le crucifiaient sans en excepter aucun, le pardon général de tous leurs péchés, pourvu qu’ils profitassent de leur rédemption et voulussent se l’appliquer pour leur remède. Cette connaissance causa une si grande rage à tous ces esprits rebelles, qu’ils firent dans le même instant tous leurs efforts pour se précipiter dans les enfers, mais notre puissante Reine les arrêta.
(1417) Dans la seconde parole que le Seigneur adressa à l’heureux voleur : « Je vous dis en vérité que vous serez aujourd’hui avec moi dans le paradis » (Luc, xxiii, v. 43), les démons découvrirent le fruit de la rédemption en la justification des pécheurs, et la dernière fin de cette même rédemption dans la glorification des justes ; et ils connurent que dès lors les mérites de Jésus-Christ commençaient d’opérer avec une nouvelle force ; que par ces mêmes mérites les portes du paradis s’ouvraient, lesquelles furent fermées par le péché ; et que les hommes entreraient dans le ciel pour y jouir du bonheur éternel et y occuper les places où les démons étaient dans l’impossibilité d’arriver. Ils connurent aussi en cela la puissance que le Sauveur avait d’appeler les pécheurs, de les justifier et de les glorifier ; et les victoires qu’il avait remportées sur eux pendant sa très sainte vie par les très éminentes vertus d’humilité, de patience, de douceur, et par toutes les autres qu’il avait pratiquées. On ne saurait exprimer la confusion et la peine qu’eut Lucifer quand il connut cette vérité ; elles furent signantes qu’il s’humilia à prier la très pure Marie de leur permettre de descendre dans l’enfer, mais notre auguste Reine ne voulut point le leur accorder, parce qu’il n’était pas encore temps.
(1418) Par la troisième parole que le très doux Jésus dit à sa Mère : « Femme voilà votre Fils » (Joan., xix, v. 26) ; les démons connurent que cette divine Femme était véritablement Mère de Dieu incarné, et la même qui leur avait été manifestée en figure dans le ciel lorsqu’ils furent créés, et celle qui leur briserait la tête, ainsi que le Seigneur leur avait dit dans le paradis terrestre. Ils connurent que la dignité et l’excellence de cette grande Reine la mettaient au-dessus de toutes les créatures, et qu’elle avait un pouvoir absolu sur eux, selon l’expérience qu’ils en faisaient. Et comme dès le commencement du monde, quand la première femme fut créée les démons avaient employé toutes leurs ruses pour tâcher de découvrir cette auguste femme qui leur avait été représentée dans le ciel, et ayant connu, après avoir entendu ce que Jésus-Christ dit à sa Mère, que tous leurs soins avaient été inutiles, ils entrèrent dans une furie inexplicable parce que la connaissance qu’ils en eurent alors les tourmentait plus que toutes les autres peines qu’ils souffraient; ils enrageaient les uns contre les autres comme de cruels lions, et ils renouvelèrent leur colère contre la Vierge sacrée, mais ce fut toujours en vain. Outre cela ils connurent que notre Sauveur avait destiné saint Jean pour être comme l’ange gardien de sa Mère par la puissance du prêtre. Et ils le connurent comme une menace contre la colère qu’ils avaient à l’égard de notre auguste Princesse, saint Jean en eut aussi connaissance. Et non seulement Lucifer connut le pouvoir que le saint évangéliste avait sur les démons, mais encore celui que tous les prêtres recevaient par leur dignité et par la participation à celle de notre Rédempteur, et que les autres justes (quoiqu’ils ne fussent point prêtres) vivraient sous une protection spéciale du Seigneur et seraient puissants contre l’enfer. Tout cela diminuait les forces de Lucifer et de ses démons.
(1419) En la quatrième parole que le Sauveur adressa au Père éternel, disant : « Mon Dieu, mon Dieu, comment m’avez-vous délaissé? » (Matt., xxvii, v. 46), les esprits rebelles connurent que la charité de Jésus-Christ était sans bornes à l’égard de tous les hommes, et que pour la satisfaire l’influence de la Divinité avait été mystérieusement suspendue à sa très sainte humanité, afin que par l’extrême rigueur de ses souffrances la rédemption fût très abondante; ils connurent aussi qu’il se plaignait amoureusement de ce que tous les hommes ne seraient pas sauvés, desquels il se trouvait abandonné et pour lesquels il était prêt à souffrir davantage si le Père éternel l’ordonnait. Ce bonheur que les hommes avaient d’être si aimés de Dieu augmenta l’envie de Lucifer et de ses ministres, et ils sentirent la toute-puissance divine qui s’inclinait à exercer cette charité infinie envers les hommes sans aucune limitation. La connaissance qu’ils en eurent abattit leur orgueil et leur malice, et ils se reconnurent faibles pour s’opposer efficacement à cette charité si les hommes voulaient s’en prévaloir.
(1420) Lacinquième parole que notre Seigneur Jésus-Christ prononça : « J’ai soif » (Joan., xix, v. 28), avança le triomphe qu’il remportait sur les démons, et les mit dans une très grande fureur, parce que le Sauveur l’adressa plus clairement contre eux. Ils entendirent que sa Majesté leur disait : « S’il vous semble que ce que je souffre pour les hommes soit excessif et que l’amour que j’ai pour eux soit trop grand, je veux que vous sachiez que ma charité est toujours plus ardente pour leur salut éternel; que les eaux très amères de ma passion n’ont pas été capables de l’éteindre, et que je souffrirais encore de plus grandes peines pour eux s’il était nécessaire, afin de les délivrer de votre tyrannie et de les rendre puissants contre votre malice et votre orgueil ».
(1421) Par la sixième parole du Seigneur : « Consummatum est », les démons eurent une entière connaissance du mystère de l’incarnation et de la rédemption des hommes, qui venait d’être achevée par l’ordre de la Sagesse divine dans toute sa perfection. Car il leur fut découvert que notre Rédempteur Jésus-Christ avait accompli la volonté du Père éternel, les promesses et les prophéties qui avaient été faites au monde par les anciens pères; que l’humilité et l’obéissance de notre Sauveur avaient réparé leur orgueil et la révolte qu’ils avaient excitée dans le ciel, ne voulant point le reconnaître pour supérieur dans la chair humaine qu’il devait prendre, et que c’était pour cela qu’ils étaient humiliés et vaincus avec beaucoup de sagesse et d’équité par ce même Seigneur qu’ils avaient méprisé. Et comme il fallait que Jésus-Christ exerçât alors et par sa suprême dignité et par ses mérites infinis, la puissance que le Père éternel lui avait remise, de juger les anges et les hommes, usant de son pouvoir et prononçant en quelque sorte la sentence à Lucifer et à tous les démons même dans son exécution, il leur commanda, comme condamnés au feu éternel, de descendre à l’instant dans le plus profond de l’enfer. Et en même temps il prononça la septième parole : « Mon Père, je remets mon âme entre vos mains » (Luc, XXIII, v. 46). Notre puissante Reine concourut avec la volonté de son très saint Fils, et commanda aussi à Lucifer et à ses ministres de descendre au plus tôt dans l’abîme. En vertu de ce commandement du suprême Roi de l’univers et de sa très sainte Mère, ces esprits rebelles furent chassés du Calvaire et précipités jusque dans le plus bas des enfers avec plus de vitesse que la foudre ne part des nues.
(1422) Notre Sauveur Jésus-Christ comme un victorieux triomphateur, voulant après avoir subjugué ses plus grands ennemis, remettre son âme entre les mains du Père éternel, baissant la tête permit à la mort de s’approcher de lui ; il vainquit aussi la mort par cette permission, par laquelle elle fut trompée comme le démon. La raison de cela est, que la mort n’aurait pu avoir aucune juridiction sur les hommes, si le premier péché ne leur eût attiré ce châtiment, et c’est pour cela que l’apôtre dit (Ad Rom., v, v. 12; I ad Cor., xv, v. 55) que la pointe des armes de la mort, c’est le péché, et que par le péché elle est passée à tous les hommes ; et comme notre Sauveur paya la dette du péché qu’il ne pouvait commettre, c’est pour cette raison que lorsque la mort lui ôta la vie, sans avoir aucun droit sur sa Majesté, elle perdit celui qu’elle avait sur les enfants d’Adam ; de sorte que dès lors ni la mort ni le démon ne pouvaient les offenser comme auparavant, s’ils se prévalaient de la victoire de Jésus-Christ et ne voulaient se soumettre encore sous leur puissance. Si notre premier père Adam n’eût pas péché, et qu’en lui nous n’eussions point offensé, il n’y aurait point de peine de mort, mais nous aurions été transportés de cet heureux état d’innocence dans le très heureux état de notre patrie éternelle. Mais le péché nous a rendus sujets de la mort et esclaves du démon qui nous l’a procurée, afin de nous empêcher par son moyen d’arriver à la vie éternelle, après nous avoir privés de la grâce et de l’amitié de Dieu, et réduits dans l’esclavage du péché et sous son empire tyrannique. Notre adorable Sauveur détruisit toutes ces œuvres du démon, et mourant innocent après avoir satisfait pour nos péchés, il fit que la mort ne serait que pour le corps et non pas pour l’âme ; qu’elle ne nous ôterait que la vie corporelle et non point l’éternelle, la vie naturelle et non pas la spirituelle ; et qu’elle nous serait une porte pour entrer dans le souverain bonheur, si nous-mêmes ne voulions le perdre. Ainsi le Sauveur satisfit pour la peine du premier péché, et ordonna que la mort corporelle reçue pour son amour, serait la satisfaction que nous pouvions rendre de notre côté. Et par là il détruisit la mort, et la sienne servait comme d’appât pour la tromper et pour la vaincre.
(1423) La prophétie d’Habacuc dans son cantique fut accomplie dans ce triomphe de notre Sauveur (III, v. 2 et seq.) de laquelle je ne prendrai que ce qui vient à mon sujet. Le prophète connut ce mystère et le pouvoir que Jésus-Christ avait sur la mort et sur le démon, il pria le Seigneur avec une sainte crainte de vivifier son œuvre, qui était l’homme ; et prophétisa qu’il le ferait, et que plus il serait en colère, plus il se souviendrait de sa miséricorde ; que la gloire de cette merveille couvrirait les cieux, et que la terre serait pleine de louanges qu’on lui en rendrait, que son éclat serait comme une vive lumière ; qu’il aurait sa force dans ses mains, c’est-à-dire les bras de la croix, et que sa puissance y serait cachée ; que la mort vaincue paraîtrait devant sa face, et que le diable marcherait devant lui et mesurerait la terre. Tout cela fut accompli à la lettre, car Lucifer fut comme foulé et eut la tête écrasée sous les pieds de Jésus-Christ et de sa très sainte Mère au Calvaire, où il fut abattu par la passion et le pouvoir de cet adorable Seigneur. Et comme il descendit jusqu’au centre de la terre (qui est le plus bas de l’enfer et le plus éloigné de la superficie), c’est pour cela qu’il dit qu’il mesura la terre. Tout le reste du cantique regardé le triomphe de notre Sauveur dans le progrès de l’Église jusqu’à la fin, et il n’est pas nécessaire de le redire. Mais ce qu’il faut que tous les hommes sachent c’est que Lucifer et ses démons furent liés par la mort de Jésus-Christ et réduits comme dans l’impuissance de les tenter, s’ils n’eussent eux-mêmes voulu les délier par leurs péchés et animer leur orgueil pour entreprendre encore de perdre le monde par de nouveaux efforts.
On le connaîtra mieux par le conciliabule qu’ils tinrent dans l’enfer et par ce que je dirai dans la suite de cette histoire.
Le conciliabule que Lucifer tint avec ses démons dans l’enfer après la mort de notre Seigneur Jésus-Christ.
(1424) La chute que Lucifer et ses démons firent depuis le mont du Calvaire jusque dans le plus profond des enfers, fut plus violente que lorsqu’ils furent précipités du ciel Et quoique ce triste lieu soit toujours une terre ténébreuse, couverte de l’ombre de la mort, et pleine de misères et de tourments, comme dit le saint homme Job (Job., x, v. 21), le désordre y fut pourtant plus grand dans cette circonstance, parce que les damnés y reçurent une nouvelle horreur et une peine accidentelle par la férocité et la précipitation avec laquelle les démons y descendirent, et par la rage qu’ils témoignèrent. Il est sûr qu’ils n’ont pas le pouvoir dans l’enfer de tourmenter les âmes selon leur volonté et de les mettre dans des lieux où les peines y sont plus ou moins grandes, parce que la puissance de la justice divine y règle cela, et c’est avec cette mesure que les damnés sont tourmentés. Mais, outre la peine essentielle, le juste juge ordonne qu’ils puissent successivement souffrir d’autres peines accidentelles dans de certaines occasions; parce que leurs péchés ont laissé des racines dans le monde, et plusieurs mauvais exemples, qui contribuent à la perte d’un grand nombre de personnes, et le nouvel effet de leurs péchés, qu’ils n’ont point rétractés, leur cause ces peines. Les démons tourmentèrent Judas par de nouvelles peines pour avoir vendu Jésus-Christ et pour lui avoir procuré la mort. Et ils connurent alors que le lieu si horrible où ils l’avaient mis, et dont j’ai déjà fait mention, était destiné pour la punition de ceux qui se damneraient ayant reçu la foi et sans avoir pratiqué les bonnes œuvres, et de ceux qui par leur mauvaise volonté ne profiteraient point de cette vertu et du fruit de la Rédemption. C’est contre ceux-ci que les démons témoignent une plus grande colère, tâchant d’exercer sur eux celle qu’ils conçurent contre Jésus et Marie.
(1425) Aussitôt que Lucifer eut reçu la permission pour cela et pour se lever de l’abattement dans lequel il était demeuré quelque temps, il entreprit de faire connaître aux démons la nouvelle rage qu’il avait contre le Seigneur. C’est pourquoi il les assembla tous, et s’étant mis sur un lieu éminent, il leur dit : « Vous n’ignorez pas, vous autres qui avez suivi depuis tant de siècles et qui suivrez ma juste partialité pour venger mes injures ; vous n’ignorez pas, dis-je, que celle que je viens de recevoir de ce nouvel Homme-Dieu ; vous savez qu’il m’a tenu en une étrange perplexité l’espace de trente-trois ans, me cachant l’Etre divin qu’il avait, et les opérations de son âme ; et qu’il a triomphé de nous par la mort que nous lui avons procurée pour le détruire. Je l’eus en horreur avant même qu’il prît chair humaine, et ne voulus point me soumettre à le reconnaître pour plus digne que moi, et à consentir que tous l’adorassent comme le suprême Seigneur. Et quoique j’aie été précipité du ciel avec vous à cause de cette résistance, et couvert de cette difformité que j’ai, et qui est si indigne de ma grandeur et de mon ancienne beauté ; néanmoins ce qui me tourmente le plus, c’est de me voir si opprimé de cet homme et de sa mère. Je les ai cherchés avec beaucoup de soin dès que le premier homme fut créé, pour les détruire ou pour anéantir du moins toutes leurs œuvres, et empêcher que personne ne le reconnaît pour son Dieu et ne profitât des exemples du Fils et de la Mère. J’ai fait tous mes efforts pour y réussir, mais ç’a été en vain, puisqu’il m’a vaincu par son humilité et par sa pauvreté, qu’il m’a renversé par sa patience, et qu’il m’a enfin privé de l’empire que j’avais dans le monde, par sa passion et par sa mort ignominieuse. Cela me tourmente d’une telle manière que si je pouvais l’arracher de la droite de son Père où il triomphe maintenant, et l’entraîner ensuite, avec tous ceux qu’il a rachetés, dans ces abîmes où nous sommes, je n’en serais pas même satisfait, et ma fureur ne serait pas encore apaisée.
(1426) « Est-il possible, que la nature humaine si inférieure à la mienne ait été si élevée au-dessus de toutes les créatures! Qu’elle soit si aimée et si favorisée de son Créateur, qu’il l’ait unie à lui-même dans la personne du Verbe éternel! Qu’elle m’ait persécuté avant même cette union, et qu’après avoir été faite elle m’ait renversé avec tant de confusion pour moi! Je l’ai toujours regardée comme ma plus cruelle ennemie ; elle m’a toujours été insupportable. O hommes si favorisés du Dieu que j’abhorre, et si aimés de son ardente charité ! Comment empêcherai-je votre bonheur ? Comment vous rendrai-je aussi malheureux que je le suis, puisque je ne puis anéantir l’être que vous avez reçu ? Que ferons-nous maintenant, ô mes sujets ! Comment rétablirons-nous notre empire ? Comment recouvrerons-nous nos forces pour attaquer l’homme ? Comment pourrons-nous le vaincre maintenant ? Car si les mortels ne sont désormais insensibles et très ingrats ; s’ils ne sont plus endurcis que nous à l’égard de cet Homme-Dieu qui les a rachetés avec tant d’amour, il est sûr qu’ils le suivront tous à l’envi ; ils lui donneront leur cœur et embrasseront sa douce loi ; personne ne voudra prêter l’oreille à nos tromperies ; ils furent les vains honneurs que nous leur promettons et chercheront le mépris ; ils aimeront la mortification de leur chair et connaîtront le danger qui se trouve dans les plaisirs ; ils abandonneront les richesses pour embrasser la pauvreté qui a été si honorée de leur Maître ; et ils rejettèrent toutes nos fausses douceurs pour imiter leur véritable Rédempteur. Par là notre royaume sera détruit, puisque personne ne viendra demeurer avec nous dans ce lieu de confusion et de tourment ; ils acquéreront tous le bonheur que nous avons perdu ; ils s’humilieront et souffriront avec patience, ainsi ma colère et mon orgueil ne feront aucun progrès.
(1427) « O malheureux que je suis, quel tourment me cause mon erreur ! Si j’ai tenté cet homme dans le désert, il a remporté aussitôt une insigne victoire sur moi, et a laissé par là un exemple très efficace aux hommes pour me vaincre. Si je l’ai persécuté, cela n’a servi qu’à faire éclater son humilité et sa patience. Si j’ai persuadé à Judas de le vendre, et aux Juifs de le crucifier avec tant de cruauté, ce n’a été que pour avancer ma ruine et le salut des hommes, et pour établir dans le monde cette doctrine que je voulais détruire. Comment celui qui était Dieu a-t-il pu s’humilier de la sorte? Comment a-t-il tant souffert des hommes qui sont si méchants? Comment ai-je moi-même contribué avec tant d’empressement à rendre la rédemption des hommes si abondante, si admirable et si divine, qu’elle me tourmente et me met dans l’abattement où je suis? Comment cette femme, qui est sa Mère et mon ennemie, est-elle si puissante contre moi? Ce pouvoir est extraordinaire en une pure créature; sans doute elle le reçoit du Verbe éternel à qui elle a donné la chair humaine. Le Tout-Puissant m’a toujours fait une cruelle guerre par le moyen de cette femme, que j’ai tant en horreur depuis qu’elle me fut représentée par ce signe qui apparut. Mais si ma fureur n’est point apaisée, je ne perds pas courage de faire une guerre perpétuelle à ce Rédempteur, à sa Mère et aux hommes. Allons démons qui m’avez suivi, il est temps maintenant d’exercer la colère que nous avons contre Dieu. Approchez-vous pour conférer avec moi touchant les moyens dont nous nous servirons, car je souhaite savoir vos sentiments à ce sujet. »
(1428) Quelques démons des plus signalés parmi eux répondirent à cette horrible proposition de Lucifer et l’animèrent par de diverses inventions qu’ils avaient trouvées pour empêcher le fruit de la rédemption dans les hommes. Ils convinrent tous qu’il n’était pas possible d’offendre la personne de Jésus-Christ, ni de diminuer le prix infini de ses mérites, ni de détruire l’efficacité de ses sacrements, ni de changer la doctrine qu’il avait prêchée; mais qu’il fallait malgré cela, que selon les nouveaux moyens et les nouvelles faveurs que Dieu avait ordonnées pour le salut des hommes, ils cherchassent de nouvelles voies pour les empêcher d’en faire leur profit, et essayassent de les pervertir par de plus grandes tentations. Alors quelques autres démons des plus rusés dirent : « Il est vrai que les hommes ont maintenant une nouvelle doctrine et une loi fort puissante; qu’ils ont de nouveaux sacrements qui sont efficaces, un nouvel exemplaire qui est le Maître des vertus et une puissente Avocate en cette nouvelle femme; mais les inclinations et les passions de leur chair et de leur nature sont toujours les mêmes, et les choses délectables et sensibles n’ont point été changées. Ainsi en nous servant d’une nouvelle ruse, nous détruirons autant qu’il dépend de nous, ce que Dieu-homme a opéré pour eux et nous leur ferons une vigoureuse guerre tâchant de nous les attirer par des tentations et d’exciter leurs passions, afin qu’ils se laissent entraîner à leur impétuosité sans considérer leurs suites funestes; car la condition humaine est si limitée qu’étant occupée à un objet, elle ne peut être attentive à ce qui lui est opposé ».
(1429) Après ces résolutions, Lucifer partagea les démons comme par bandes et leur départit les offices qu’ils devaient exercer avec une nouvelle ruse pour tenter les hommes et les porter à commettre toutes sortes de vices. Ils conclurent qu’il fallait qu’ils tâchassent de conserver l’idolâtrie dans le monde, afin que les hommes n’eussent point la connaissance du vrai Dieu et de la rédemption du genre humain. Et que si l’idolâtrie était détruite, ils produiraient de nouvelles sectes et plusieurs hérésies, et chercheraient les hommes les plus pervers qui seraient les premiers à les recevoir et à les enseigner. C’est dans cette assemblée infernale que furent inventées la secte de Mahomet, les hérésies d’Arius, de Pélage, de Nestorius, et toutes celles qui ont été connues dans le monde depuis la primitive Église jusqu’à présent, et plusieurs autres qui y ont été forgées et que je ne dois pas déclarer ici. Lucifer approuva cet expédient diabolique, parce qu’il s’opposait à la divine véri é, et détruisait le fondement du salut des hommes qui consiste dans la foi. Et il loua, caressa et fit mettre à son côté les démons qui l’avaient donné et qui s’étaient offerts de chercher les hommes les plus impies pour introduire ces erreurs.
(1430) Il y eut aussi d’autres démons qui se chargèrent de pervertir les inclinations des petits enfants, observant leur naturel. D’autres prirent le parti de rendre les pères négligents dans l’éducation de leurs enfants ou par un trop grand amour ou par des aigreurs criminelles et d’inspirer aux enfants du mépris pour leurs parents. D’autres promirent de mettre le divorce entre les personnes mariées, de leur faciliter les adultères et de les porter à mépriser la justice et la fidélité qu’elles se doivent mutuellement. Ils résolument tous qu’ils répandraient entre les hommes les querelles, la haine, la discorde et la vengeance; qu’ils les y exciteraient par les jugements téméraires, l’orgueil, la sensualité, l’avarice et l’ambition; et qu’ils leur proposeraient des raisons apparentes contre toutes les vertus que Jésus-Christ avait enseignées, et que surtout ils détourneraient les mortels du souvenir de sa passion et de sa mort, du grand bien de la rédemption, de la pensée des peines de l’enfer et de leur éternité. Par tous ces moyens les démons se promirent que les hommes s’attacheraient entièrement aux choses sensibles, et ne se mettraient pas fort en peine des choses spirituelles et de leur propre salut.
(1431) Lucifer ayant entendu ces projets et plusieurs autres que les démons avaient faits, leur dit : « Je suis fort content de vos sentiments, je les reçois et les approuve tous, et je ne doute pas que toutes nos entreprises ne soient faciles à l’égard de ceux qui n’embrasseront point la loi que ce Rédempteur a donnée aux hommes. Mais en ceux qui la recevront, l’exécution en sera fort difficile. Néanmoins je prétends employer toute ma rage contre cette loi et persécuter cruellement ceux qui la suivront ; et c’est contre ceux-ci que nous devons faire une cruelle guerre jusqu’à la fin du monde. Je dois tâcher de semer mon ivraie dans cette nouvelle Église, c’est-à-dire l’ambition, l’avarice, la sensualité, les haines mortelles et tous les vices dont je suis la source. Car si les péchés se multiplient parmi les fidèles par ses offenses et par leur grande ingratitude, ils irriteront Dieu, et l’obligeront à leur refuser avec justice le secours de la grâce que leur Rédempteur leur a méritée avec tant d’abondance ; et si par leurs péchés ils se privent de ce secours, nous sommes assurés de remporter de grandes victoires sur eux. Il faut aussi que nous travaillons à leur ôter la piété et tout ce qui est spirituel et divin, et que nous fassions en sorte qu’ils ne comprennent point la vertu des sacrements, ou qu’ils les reçoivent sans s’être purifiés de leurs péchés, ou du moins sans dévotion ; car, comme ces bienfaits sont spirituels, on doit les recevoir avec ferveur pour en augmenter le fruit. Et si les mortels méprisent ce qui peut les guérir, ils recouvreront bien tard leur santé et résisteront moins à nos tentations, ils ne découvriront point nos tromperies, ils oublieront les faveurs qu’ils ont reçues et ne feront pas grand cas de leur Rédempteur et de l’intercession de sa Mère ; et cette noire ingratitude les rendra indignes de la grâce, de sorte qu’irritant leur Dieu et leur Sauveur, il la leur refusera. Je veux que vous m’aidiez en cela et que vous y employiez tous vos soins, sans perdre ni le temps, ni l’occasion d’exécuter ce que je vous commande ».
(1432) Il n’est pas possible de déclarer les résolutions que Lucifer et ses ministres prirent contre la sainte Église et ses enfants dans cette occasion, pour tâcher d’absorber ces eaux du Jourdain (Job, xL. v. 18). Il nous suffit de dire que cette conférence dura presque une année entière après la mort de Jésus-Christ, et de considérer dans quel état a été le monde, et celui où il se trouve après cette précieuse mort, et après que le Seigneur a découvert la vérité de sa foi par tant de miracles, par tant de bienfaits, et par tant d’exemples des saints. Et si tout cela n’est pas suffisant pour réduire les mortels dans le chemin du salut, l’on doit concevoir par là quel a été le pouvoir que Lucifer s’est acquis sur eux, et que sa colère est si grande, que nous pouvons dire avec saint Jean : « Malheur à vous terre, parce que Satan descend vers vous plein de fureur et de rage » (Avoc., xII, v. 12). Mais, hélas ! faut-il que des vérités aussi infaillibles et aussi importantes que celles-ci, et si fortes pour nous faire connaître notre danger et nous exciter à employer tous nos soins pour l’éviter, soient aujourd’hui si éloignées du souvenir des mortels qui ne prennent pas garde aux pertes irréparables que cet oubli cause dans le monde ! Notre ennemi est rusé, cruel et vigilant, et nous demeurons cependant les bras croisés ! Doit-on s’étonner que Lucifer soit devenu si puissant dans le monde, puisque plusieurs l’écoutent, lui donnent un libre accès et suirent ses tromperies, et que très peu lui résistent, parce qu’ils ne songent pas à la mort éternelle que cet ennemi leur procure avec une rage et une malice implacable. Je prie ceux qui iront ceci de ne point mépriser un danger si terrible. Et si on ne le connaît pas par l’état où le monde se trouve et par tant de malheurs qu’on y expérimente, qu’on le connaisse du moins par les puissants secours que notre adorable Sauveur a laissés dans son Église ; car il ne nous aurait pas donné tant de remèdes si notre maladie et le danger où nous étions de mourir éternement n’eussent été bien extrêmes.
Instruction que la Reine du ciel m’a donnée.
(1433) Ma fille, vous avez reçu de la divine lumière de grandes connaissances du glorieux triomphe que mon Fils et mon Seigneur remporta sur les démons étant sur la croix, et de l’accablement dans lequel il les laissa après les avoir vaincus. Mais vous devez être persuadée que vous ignorez beaucoup plus de ces mystères si ineffables que vous n’en avez connu ; car, pendant que l’on vit dans la chair mortelle, on n’est pas disposé de les pénétrer à fond ; la divine Providence en réserve l’entière pénétration pour la récompense des saints qui jouissent de la vue de Dieu dans le ciel, où l’on a une parfaite connaissance de ces mystères ; ce sera aussi un sujet de confusion pour les réprouvés lorsqu’ils les connaîtront à leur manière à la fin de leur course. Mais ce que vous en avez appris est plus que suffisant pour vous instruire du péril de la vie passagère et vous animer par l’espérance que vous devez avoir de vaincre vos ennemis. Je veux aussi vous avertir de la nouvelle rage que le dragon a conçue contre vous à cause de ce que vous avez écrit dans ce chapitre. Il a toujours été irrité contre vous, et il a fait tous ses efforts pour vous empêcher d’écrire ma vie comme vous l’avez connu pendant que vous vous y êtes employée. Mais il est maintenant dans une plus grande colère de ce que vous avez découvert l’humiliation qu’il reçut de la mort de mon très saint Fils, l’abattement dans lequel sa Majesté le laissa et les résolutions qu’il prit avec ses démons pour se venger de sa ruine sur les enfants d’Adam, et spécialement sur ceux de la sainte Église. Tout cela le met dans un nouveau trouble et il enrage de voir que l’on découvre son abaissement et ses ruses à ceux qui les ignoraient. Vous sentirez cette colère par les persécutions et les tentations qu’il vous suscitera, car vous avez déjà commencé à éprouver la cruauté de cet ennemi, et je vous en avertis afin que vous soyez bien sur vos gardes.
(1434) Vous êtes surprise, et c’est avec raison, d’avoir connu d’un côté le pouvoir des mérites de mon Fils et de la rédemption du genre humain, la ruine et la faiblesse que sa mort causa dans les démons, et de les voir d’un autre côté si puissants et si redoutables dans le monde. Et quoique la lumière que vous avez reçue en ce que vous avez écrit soit capable de vous tirer de cet étonnement, je veux néanmoins vous en donner un plus grand éclaircissement afin que vous augmentiez vos précautions contre des ennemis si pleins de malice. Il est certain que lorsqu’ils connurent le mystère de l’incarnation et de la rédemption et que mon très saint Fils était né si pauvre, si humble et si méprisé, et qu’aussitôt qu’ils eurent pénétré les secrets de sa vie, de ses miracles, de sa passion et de sa mort mystérieuse et de toutes les autres choses qu’il fit dans le monde pour s’attirer les cœurs des hommes, Lucifer et ses démons se trouvèrent sans aucune force pour tenter les fidèles, comme ils étaient accoutumés de tenter les autres, et selon le souhait qu’ils en avaient toujours. La crainte que les démons avaient dans la primitive Église d’attaquer ceux qui étaient baptisés et qui suivaient notre Seigneur Jésus-Christ, dura plusieurs années, parce que la vertu divine rejaillissait sur eux par le moyen de son imitation et de la ferveur avec laquelle ils professaient sa sainte foi et pratiquaient la doctrine de l’Évangile, et parce qu’ils exerçaient les vertus avec des actes héroïques d’amour, d’humilité, de patience et de mépris des vanités du monde, et que plusieurs versaient leur sang et donnaient leur vie pour notre Seigneur Jésus-Christ et faisaient des œuvres admirables pour la gloire de son saint nom. Cette force invincible leur venait de ce que la passion, la mort de leur Rédempteur et l’exemple de sa patience et de son humilité surprenante leur étaient encore fort proche, et de ce qu’ils étaient moins tentés des démons, qui ne pouvaient se relever du grand abattement dans lequel le triomphe du divin Crucifié les laissa.
(1435) Les démons craignaient si fort cette vive image et l’imitation de Jésus-Christ qu’ils reconnaissaient dans les premiers enfants de l’Église, qu’ils n’osaient s’en approcher et fuyaient même leur rencontre, comme il arrivait à l’égard des apôtres et des autres justes, qui furent assez heureux que de recevoir la doctrine de mon très saint Fils pendant qu’il vivait sur la terre. Ils offraient au Très-Haut dans leurs œuvres très parfaites les prémices de la grâce et de la rédemption. La même chose serait arrivée jusqu’à présent, comme on le voit en ceux qui sont parfaits, si tous les catholiques eussent profité de la grâce en opérant avec elle et eussent suivi le chemin de la croix, comme Lucifer le craignait et comme vous l’avez écrit. Mais avec le temps, la charité, la ferveur, la dévotion se sont refroidies chez plusieurs fidèles, ils ont suivi les inclinations de la chair ; ils ont aimé la vanité et l’avarice, et se sont laissé tromper aux illusions de Lucifer ; de sorte qu’ils ont obscurci en eux la gloire du Seigneur en se livrant à ses plus grands ennemis. Par cette noire ingratitude, le monde est arrivé dans le très malheureux état où il se trouve et les démons ont élevé leur orgueil contre Dieu, présumant d’assujettir tous les enfants d’Adam par l’oubli où ils portent les catholiques. Et leur témérité est si grande qu’ils prétendent détruire toute l’Église, en portant un si grand nombre de personnes à ne la point reconnaître, et ceux qui s’y trouvent à la mépriser, ou à ne se prévaloir point du prix du sang et de la mort de leur Rédempteur. Mais la plus grande calamité consiste en ce que plusieurs catholiques ne connaissent point ce mal et ne se soucient pas du remède, quoiqu’ils aient sujet de croire qu’ils sont dans les temps, dont mon très saint Fils avait menacé, lorsque s’adressant aux filles de Jérusalem, il leur dit : que les femmes stériles seraient alors bienheureuses, et que plusieurs souhaiteraient que les montagnes et les collines tombassent sur eux pour les cacher (Luc, XXIII, v. 28), afin qu’ils ne vissent point tant de péchés énormes qui rongent les enfants de perdition comme du bois sec, sans fruit et sans aucune vertu. Vous êtes, ma fille, dans ce siècle malheureux, et afin que vous ne soyez pas comprise dans la perte de tant d’âmes, pleurez-la amèrement et n’oubliez jamais les mystères de l’Incarnation, de la passion et de la mort de mon très saint Fils; car je veux que vous les reconnaissiez pour plusieurs personnes qui les méprisent. Et je vous assure que ce seul souvenir donne de la terreur aux démons et les fait s’enfuir de ceux qui méditent avec reconnaissance la vie et les mystères de mon très saint Fils.