Ordre des Frères Mineurs Capucins
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Chap. 22 - Crucifixion

Source: Google Books

Notre Sauveur Jésus-Christ est crucifié au mont du Calvaire. Les sept paroles qu’il dit sur la croix ; sa très sainte Mère s’y trouve présente percée de douleur.

(1375) Notre véritable et nouveau Isaac, fils du Père éternel, arriva au mont du sacrifice qui est le même lieu, où fut commencée la figure sur le fils du patriarche Abraham, et où l’on exécuta sur le très innocent Agneau la rigueur, qui fut suspendue en l’ancien Isaac qui le figurait (Gen., XXII, v. 9). Le mont du Calvaire était un lieu méprisé, comme étant destiné pour le supplice des plus insignes criminels, dont les cadavres y causaient une mauvaise odeur et une plus grande ignominie. Notre très doux Jésus y arriva tout accablé de lassitude, tout couvert de plaies et tout défiguré. La vertu de la Divinité qui déifiait sa très sainte humanité par l’union hypostatique, le soutint non pour le soulager de ses peines mais pour le fortifier dans ses souffrances, afin que son amour immense en fût rassasié de la manière convenable, lui conservant la vie jusqu’à ce qu’il fût permis à la mort de la lui ôter sur la croix. La très affligée Mère arriva aussi corporellement au haut du Calvaire tout près de son très saint Fils ; mais elle était en esprit et dans les douleurs comme hors d’elle-même, parce qu’elle se transformait tout en son bien-aimé et en ce qu’il souffrait. Saint Jean et les trois Marie étaient avec elle ; parce qu’elle avait prié le Très-Haut de lui accorder cette seule et sainte compagnie, et leur avait obtenu de sa divine Majesté cette grande faveur de se trouver auprès du Sauveur au pied de la croix.

(1376) Comme la très prudente Mère connaissait que les mystères de la Rédemption allaient être accomplis, quand elle vit que les valets se disposaient à dépouiller le Seigneur, pour le crucifier, elle s’adressa au Père éternel et lui fit cette prière : « Mon Seigneur et mon Dieu, vous êtes « Père de votre Fils unique, qui, par la génération éternelle, « est né Dieu véritable de Dieu véritable, qui n’est autre que « vous ; et par la génération temporelle il est né de mon « sein, où je lui ai donné le corps humain, dans lequel il « souffre. Je l’ai nourri de mon propre lait; comme Mère « je l’aime comme le meilleur Fils qui ait jamais pu naître « d’une autre créature ; et en cette qualité de Mère j’ai un « droit naturel à son humanité très sainte qu’il a en sa per- « sonne, et votre divine Providence ne refuse jamais ce « droit à qui il appartient. Or je vous offre maintenant ce « droit de mère, et le mets de nouveau entre vos mains, « afin que votre Fils et le mien soit sacrifié pour la rédemp- « tion du genre humain. Acceptez, Seigneur, mon offrande, « puisque je ne vous offrirais pas tant, si j’étais moi-même « crucifiée, non seulement parce que mon Fils est vrai Dieu « et de votre même substance, mais aussi par rapport à ma « douleur. Car si je mourais et que les rôles fussent chan- « gés, afin que sa très sainte vie fût conservée, ce serait « pour moi une grande consolation et l’accomplissement de « mes désirs ». Le Père éternel reçut cette prière de notre auguste Reine avec une complaisance ineffable. Il ne fut permis au patriarche Abraham que l’essai du sacrifice de son Fils, parce que le Père éternel en réservait l’exécution et la vérité pour son Fils unique. Cette mystique cérémonie ne fut pas non plus communiquée à Sara, mère d’Isaac, non seulement à cause de la prompte obéissance d’Abraham, mais aussi parce que cela ne devait pas même être confié à l’amour maternel de Sara, qui peut-être, aurait entrepris d’empêcher le commandement du Seigneur, quoiqu’elle fût sainte et injuste. Mais il n’en arriva pas de même à l’égard de l’incomparable Marie, car le Père éternel put avec sûreté lui confier sa volonté éternelle, afin qu’avec proportion elle coopérât dans le sacrifice du Fils unique avec la même volonté du Père.

(1377) La Mère invincible ayant achevé cette prière, connut que les cruels valets de la Passion voulaient faire boire au Seigneur du vin mêlé de fiel et de myrrhe, dont saint Matthieu et saint Marc font mention (Matt., XXVII, v. 34 ; Marc, xv, v. 23) et c’était pour augmenter les peines de sa Majesté. Les Juifs se résolurent à cela pour garder la coutume qu’ils avaient de donner aux condamnés à mort du vin très fort, mêlé avec des aromates, pour leur fortifier les esprits vitaux, afin qu’ils supportassent avec plus de courage leur supplice : cette coutume s’étant introduite sur ce que dit Salomon dans les Proverbes : Donnez à ceux qui sont affligés du cidre, et du vin à ceux qui sont dans l’amertume du cœur. Cette boisson pouvait être de quelque soulagement aux autres condamnés ; mais les Juifs par une cruauté étrange y mêlèrent tant de fiel, qu’elle ne pouvait causer à notre adorable Sauveur qu’une extrême amertume. La divine Mère connut cette inhumanité et touchée d’une compassion maternelle, elle pria avec beaucoup de larmes le Seigneur de ne la point prendre. Et sa Majesté condescendit de telle sorte aux prières de sa Mère, qu’ayant goûté l’amertume de ce vin pour ne pas refuser entièrement cette nouvelle mortification, elle n’en voulut pas boire (Matt., XXVII, v. 34).

(1378) Il était déjà la sixième heure du jour, qui répond à celle de midi ; et les valets de la justice étant sur le point de crucifier le Sauveur, le dépouillèrent de la tunique sans couture. Et comme cette tunique était étroite et longue, ils la lui ôtèrent par le haut sans lui ôter la couronne d’épines ; mais par la violence qu’ils firent, ils arrachèrent la couronne avec la même tunique d’une manière brutale ; parce qu’ils lui ouvrirent de nouveau les blessures de sa tête sacrée, et en quelques-unes demeurèrent les pointes des épines, qui malgré leur dureté ne laissèrent pas de se rompre par la force avec laquelle les bourreaux lui ôtèrent la tunique qui tira avec elle la couronne qui lui fut ensuite remise sur la tête avec une cruauté inouïe, ajoutant plaies sur plaies. Ils renouvelèrent aussi celles de son très saint corps : parce que la tunique s’y était comme collée, de sorte qu’en la lui arrachant, ils ajoutèrent, comme dit David (Psal., LXVIII, v. 27), des douleurs nouvelles à celles de ses plaies. On dépouilla quatre fois notre adorable Sauveur dans le temps de sa Passion. La première, pour le flageller lorsqu’on le lia à la colonne ; la seconde, pour lui mettre la robe de pourpre par moquerie ; la troisième, quand on la lui ôta pour le revêtir de sa tunique; la quatrième fut celle du Calvaire, pour le laisser en cet état; et alors ses douleurs furent plus grandes, parce que ses plaies s’étaient augmentées, que sa très sainte humanité se trouvait dans une défaillance extrême, et que le mont du Calvaire était plus exposé à l’air : car il fut aussi permis au vent et au froid de l’affliger à mort.

(1379) Une de ses plus grandes peines fut de se voir dépouillé de ses vêtements en présence de sa très sainte Mère, des pieuses femmes qui l’accompagnaient et de la multitude de peuple qui se trouvait à ce triste spectacle. Il ne réserva par son pouvoir divin que les caleçons que sa très sainte Mère lui avait mis en Égypte, car il ne fut pas possible aux bourreaux de les lui ôter, ni lorsqu’ils le flagellèrent quand ils le dépouillèrent pour le crucifier, ainsi il les avait lorsqu’il fut mis dans le sépulcre, et c’est ce qui m’a été déclaré plusieurs fois. Il est vrai que le Sauveur serait mort volontiers dépouillé de tout et sans ces caleçons, pour mourir dans une extrême pauvreté et sans avoir aucune chose de tout ce qu’il avait créé et dont il était le Seigneur véritable, si sa très sainte Mère ne l’eût prié de ne point permettre qu’on les lui ôtât et le Seigneur le lui accorda, parce qu’il suppléait par cette espèce d’obéissance de Fils à l’extrême pauvreté, dans laquelle il souhaitait mourir. La sainte croix était étendue par terre et les bourreaux préparaient les autres choses nécessaires pour crucifier notre divin Maître, aussi bien que les deux voleurs qui devaient aussi mourir. Et pendant que l’on disposait tout cela, il fit cette prière au Père éternel.

(1380) « Mon Père, Dieu éternel, infini en bonté et en « justice, j’offre à votre Majesté incompréhensible tout mon « être humain et toutes les œuvres que j’ai faites en lui par « votre très sainte volonté, descendant de votre sein dans « cette chair passible et mortelle, pour racheter en elle mes « frères les hommes. Je vous offre, Seigneur, avec moi ma « très aimée Mère, son amour, ses œuvres très parfaites, « ses douleurs, ses peines, ses fatigues, et les soins très « prudents qu’elle a pris de me servir, de m’imiter et de « m’accompagner jusqu’à la mort. Je vous offre le petit « troupeau de mes apôtres, la sainte Église et l’assemblée « des fidèles, qui est maintenant et qui sera jusqu’à la fin « du monde, et avec elle tous les mortels enfants d’Adam. « Je mets tout entre vos mains comme étant le vrai Dieu « et le Seigneur tout-puissant et pour ce qui me regarde, « je souffre et je meurs volontairement pour tous ; et par « cette volonté je veux que tous soient sauvés, si tous veu- « lent me suivre, et profiter de leur rédemption, afin que « d’esclaves du démon, ils deviennent vos enfants, mes « frères et mes cohéritiers par la grâce que je leur ai mé- « ritée. Je vous offre spécialement, Seigneur, les pauvres, « les méprisés et les affligés qui sont mes amis, et qui « m’ont suivi par le chemin de la croix. Et je veux que les « justes et les prédestinés soient écrits dans votre mémoire « éternelle. Je vous prie, mon Père, d’arrêter les effets de « votre justice envers les hommes, de ne les point châtier « comme leurs péchés le méritent et d’être dès maintenant « leur Père, comme vous êtes le mien. Je vous prie aussi « pour ceux qui assistent à ma mort avec une pieuse affec- « tion, afin qu’ils soient éclairés de votre divine lumière, « et pour tous ceux qui me persécutent afin qu’ils se con- « vertissent à la vérité; et surtout je vous prie pour l’exal- « tation de votre ineffable et très saint Nom. »

(1381) La très prudente Vierge connut cette prière de notre Sauveur, et pour l’imiter elle pria le Père éternel avec proportion et autant que la chose la regardait en qualité de mère. Elle n’oublia jamais d’accomplir cette première parole qu’elle reçut de la bouche de son Fils et de son Maître nouvellement né : « Rendez-vous semblable à « moi, ma bien-aimée ». Et toujours fut accomplie la promesse que le même Seigneur lui fit, de lui donner par sa toute-puissance un nouvel être de grâce divine qui serait au-dessus de celui de toutes les créatures, pour le retour du nouvel être humain qu’elle donna au Verbe éternel dans son sein virginal. Ce bienfait renfermait la très haute connaissance qu’elle avait de toutes les opérations de la très sainte humanité de son Fils, sans en perdre aucune de vue. Et elle les imita, comme elle les connut, de sorte qu’elle fut toujours soigneuse à les considérer, profonde en ses pénétrations, prompte en l’exécution, forte et diligente en toutes ses œuvres. En cela elle ne fut point troublée par la douleur, ni empêchée par les peines, ni embarrassée par les persécutions, ni attiédie par l’amertume de la passion. Et quoique cette constance fût admirable en notre auguste Reine, elle l’aurait été pourtant moins, si elle n’eût assisté à la passion de son Fils que comme les autres justes. Mais elle fut unique et extraordinaire en tout; car, comme je l’ai marqué ailleurs, elle sentait en son très saint corps les douleurs intérieures et extérieures que notre Sauveur souffrait en sa personne sacrée. Et pour ce qui regarde cette conformité, nous pouvons dire que cette divine Mère fut aussi flagellée et couronnée d’épines, qu’elle reçut des crachats et des soufflets, qu’elle porta la croix sur ses épaules, et qu’elle y fut clouée, parce qu’elle sentit en son corps toutes ces peines, aussi bien que les autres, quoique ce fût d’une manière différente, mais toujours avec une très grande ressemblance, afin que la Mère fût en tout la vive image du Fils. Outre qu’en cela la grandeur et la dignité de la très pure Marie devaient répondre à celles du Sauveur avec toute la proportion possible qui se trouva en elle, cette merveille renferma un autre mystère, qui fut de satisfaire en quelque sorte à l’amour de Jésus-Christ et à l’excellence de sa passion, qui devait être par là fidèlement gravée en quelque pure créature, comme elle le fut en cette incomparable Mère, ainsi elle avait plus de droit à ce bienfait que toutes les créatures ensemble.

(1382) Les bourreaux voulant marquer sur la croix les trous où ils devaient mettre les clous, commandèrent avec beaucoup d’insolence au Créateur de l’univers (ô témérité effroyable !) de s’étendre sur la même croix, et le Maître de l’humilité obéit sans résistance. Mais par une malice inouïe, ils marquèrent les trous plus distants que la longueur des bras et du reste du corps le demandait. La Mère de la lumière connut cette nouvelle cruauté, et ce fut une des plus grandes afflictions qu’elle eut dans toute la passion, parce qu’elle pénétra les intentions malicieuses de ces valets d’iniquité, et prévit les douleurs que son très saint Fils souffrirait quand on le clouerait sur la croix. Mais elle ne put l’empêcher, parce que le même Seigneur voulait bien souffrir encore cette peine pour les hommes. Et lorsque le Sauveur se leva de la croix afin qu’on y fit les trous, notre auguste Princesse s’en approcha et l’aida à se relever en le prenant par le bras ; elle l’adora et lui baisa la main avec une très grande vénération. Les bourreaux le lui permirent, parce qu’ils croyaient affliger davantage le Seigneur par la présence de sa Mère, tâchant de lui faire souffrir toutes les peines qu’ils purent s’imaginer. Mais ils n’en pénétrèrent point le mystère, car notre adorable Rédempteur n’eut point d’autre plus grande consolation dans sa passion, que de voir sa très sainte Mère, et de considérer la beauté de son âme, et en elle sa plus fidèle image et le profit accompli du fruit de sa passion et de sa mort, alors notre Seigneur Jésus-Christ fut en quelque sorte fortifié par cette consolation.

(1383) Après qu’on eut fait les trois trous dans la sainte croix, les bourreaux commandèrent encore au Sauveur de s’y étendre pour l’y clouer. Et le suprême et puissant Roi, le Maître de la patience obéit, et se mit sur la croix, étendant les bras au gré des exécuteurs de sa mort. Il était si exténué et si défiguré que si ces hommes sans pitié eussent eu quelque reste de raison et d’humanité, ils n’auraient pu persévérer dans leur cruauté, voyant la douceur, l’humilité, les plaies et l’état douloureux de l’innocent Agneau. Mais les Juifs et les valets (ô terribles et impénétrables jugements du Seigneur !) étaient revêtus de la haine et de la mauvaise volonté des démons, et privés de tout sentiment humain, ce qui les faisait agir avec une fureur diabolique.

(1384) Enfin l’un des bourreaux prit la main de notre adorable Sauveur, et la mettant sur le trou de la croix, un autre bourreau la cloua, perçant à coups de marteau la main du Seigneur avec un gros clou angulaire qui rompit les veines et les nerfs et disloqua les os de cette main sacrée, qui avait fait les cieux et tout ce qu’ils renferment. Quand il fallut clouer l’autre main, le bras ne put arriver au trou, parce que les nerfs s’étaient retirés, et que l’on avait fait malicieusement les trous plus distants l’un de l’autre qu’il ne fallait, comme il a été dit. Et pour en venir à bout, ces hommes impitoyables prirent la chaîne avec laquelle le très doux Seigneur avait été lié, et mettant sa main dans une espèce de menottes qui étaient à un des bouts de la même chaîne, ils tirèrent par l’autre bout avec tant de violence, qu’ils ajustèrent la main au trou et la clouèrent avec un autre clou. Ils passèrent ensuite aux pieds, et les ayant mis l’un sur l’autre, ils les lièrent avec la même chaîne ; et les tirant avec une cruauté inouïe, ils les clouèrent tous deux avec le troisième clou, qui était un peu plus fort que les autres. De sorte que ce corps sacré, auquel la Divinité était unie, fut cloué sur la sainte croix, et que ses membres déifiés et formés par le Saint-Esprit, furent si maltraités, qu’on pouvait lui compter les os (Psal., xxi, v. 18), parce qu’ils parurent tous hors de leur lieu naturel. Ceux de la poitrine et des épaules se déboîtèrent et tous sortirent hors de leur place par la cruelle violence des bourreaux.

(1385) Il n’est pas possible d’exprimer ni même de concevoir les douleurs que notre adorable Sauveur souffrit dans cette circonstance. Il en donnera une plus grande connaissance au jour du jugement, pour justifier sa cause contre les réprouvés, et afin que les saints le louent et le glorifient dignement. Mais à présent que la foi de cette vérité nous permet et nous oblige d’étendre notre raisonnement, je supplie les enfants de la sainte Église de considérer attentivement un mystère si vénérable, et d’en peser toutes les circonstances ; car, si nous le faisons avec attention, nous y trouverons des motifs efficaces pour avoir en horreur le péché et pour ne le plus commettre, puisqu’il a causé tant de souffrances à l’Auteur de la vie. Nous devons aussi examiner les grandes douleurs qui affligeaient l’esprit et le corps de sa très pure Mère ; car, par cette porte, nous découvrirons le soleil qui nous éclaire le cœur. O Reine et Maîtresse des vertus ! O Mère véritable du Roi des siècles, immortel et incarné pour mourir ! Il est vrai, mon auguste Princesse, que la dureté de nos cœurs ingrats nous rend incapables et indignes de ressentir vos douleurs et celles de votre très saint Fils, notre Rédempteur ; mais procurez-nous pas votre clémence, ce bien que nous ne méritons point. Bannissez de nous une insensibilité si criminelle. Si nous sommes la cause de toutes ces peines, quelle raison y a-t-il, qu’elles se terminent en vous et en votre bien-aimé ? Il est juste que le calice des innocents passe jusqu’aux coupables, qui l’ont mérité. Mais hélas ! Où est le jugement ? Où est la sagesse? Où est la lumière de nos yeux ? Qui nous a privé de la raison? Qui nous a ravi le cœur sensible et humain ? Quand je n’aurais pas reçu, Seigneur, l’être que j’ai à votre image et à votre ressemblance ; quand vous ne m’auriez pas donné la vie et le mouvement; quand tous les éléments et toutes les créatures que vous avez créées pour mon service, ne me donneraient pas une connaissance si certaine de votre amour immense ; l’excès infini que ce même amour a fait paraître en vous clouant à la croix, et en vous faisant souffrir des douleurs si étranges, devrait me convaincre et me lier avec des chaînes de compassion, de reconnaissance, d’amour et de confiance en votre bonté ineffable. Mais si tant de choses éclatantes ne m’éveillent, si votre amour ne m’enflamme, si votre passion et vos peines ne m’excitent, si tant de bienfaits ne me portent à la gratitude, quelle fin dois-je espérer de ma folie ?

(1386) Après que le Sauveur eut été cloué à la croix, les valets de la justice craignant que les clous ne lâchassent, résolurent de les river par le derrière du bois sacré qu’ils avaient percé ; et voulant l’exécuter, ils levèrent la croix pour la renverser brusquement contre terre avec le même Seigneur crucifié. Cette nouvelle cruauté fit frémir tout le peuple qui, touché de compassion, jeta un grand cri. Mais la tendre et affligée Mère, souhaitant que cette inhumanité n’eut point tout l’effet que les bourreaux s’étaient proposé, pria le Père éternel de ne point permettre que leur dessein fût accompli selon leur intention. Ensuite elle commanda aux saints anges de l’empêcher et de rendre ce service à leur Créateur. Cela fut exécuté comme notre auguste Reine l’avait ordonné, car dans le temps que les bourreaux renversèrent la croix afin que le Sauveur tombât avec elle le visage contre cette terre, qui était couverte de pierres et d’ordures, les anges le soutinrent ; et par ce moyen, il ne toucha aucune de ces pierres. Les valets rivèrent les pointes des clous sans découvrir le miracle, parce que le corps adorable du Seigneur était si près de terre, et que les anges soutenaient la croix avec tant de fermeté, que les cruels Juifs croyaient qu’il fût véritablement sur les pierres et sur les ordures.

(1387) Ensuite ils approchèrent la croix avec le divin Crucifié du lieu où elle devait être dressée. Et se servant, les uns de leurs épaules. les autres de leurs halbardes et de leurs lances, ils l’élevèrent avec le Seigneur, et la mirent dans le trou qu’ils avaient fait pour cela. De sorte que l’Auteur de notre salut et de notre vie, fut suspendu sur ce bois sacré à la vue d’une infinité de personnes de différentes nations. Je ne veux point omettre une autre cruauté qu’ils exercèrent à l’égard du Sauveur, ainsi qu’il m’a été déclaré, c’est-à-dire qu’en se servant de la pointe de leurs armes pour élever sa Majesté avec la croix, ils lui firent de profondes blessures en divers endroits de son très saint corps, et spécialement sous les bras. Alors le peuple redoubla ses cris et augmenta en même temps la confusion. Les Juifs blasphémaient, ceux qui avaient quelque reste de compassion s’affligeaient; les étrangers étaient dans l’étonnement de voir une si grande cruauté, il y en avait qui n’osaient point regarder le Rédempteur dans un état si lamentable ; les uns considéraient un exemple si étrange, les autres disaient que cet homme était juste et innocent, et tous ces divers sentiments étaient comme autant de flèches qui perçaient le cœur de sa très affligée Mère. Le corps sacré du Sauveur versait beaucoup de sang par les blessures que les clous lui avaient faites, car la secousse qu’il reçut lorsqu’on laissa tomber la croix dans le trou, renouvela toutes ses plaies, donnant par là de plus grandes ouvertures aux fontaines, auxquelles il nous conviait par Isaïe, afin que nous y allions puiser avec joie les eaux par lesquelles nous devions apaiser notre soif et laver les taches de nos péchés. De sorte qu’on ne saurait se disculper si on ne s’empresse d’y aller ; puisqu’on les achète sans argent et sans aucun échange, il suffit d’avoir la volonté de les recevoir.

(1388) Ils crucifièrent en même temps les deux voleurs, et dressèrent leurs croix, l’une à la droite, l’autre à la gauche de notre Rédempteur, le laissant au milieu comme celui qu’ils croyaient le plus coupable. Les pontifes et les pharisiens oubliant les deux scélérats, tournerent toute leur fureur contre celui qui était impeccable et saint par nature. Et branlant la tête par moquerie, ils jetaient des pierres et de la poussière contre la croix du Seigneur, et contre sa personne sacrée. Et lui disaient : « Toi qui détruis le temple de Dieu, et qui le rebâtis en trois jours, sauve-toi maintenant toi-même ; il a sauvé les autres, et il ne se peut sauver lui-même » (Matt., XXVII, v. 39, 42 et seq.). D’autres disaient : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui ». Les deux voleurs se moquaient aussi de sa Majesté au commencement et lui disaient, si tu es le Fils de Dieu, sauve-toi et nous aussi. Les blasphèmes de ces voleurs furent d’autant plus sensibles au Seigneur, qu’ils étaient plus proches de la mort, qu’ils perdaient le mérite des douleurs avec lesquelles ils mouraient ; et qu’ils pouvaient satisfaire en partie pour leurs crimes, étant punis par la justice; comme l’un des deux le fit peu de temps après, profitant de la plus favorable occasion que jamais pécheur ait eue dans le monde.

(1389) Lorsque notre auguste Princesse connut que les Juifs tâchaient par leur perfide et obstinée envie de déshonorer toujours plus Jésus-Christ crucifié, qu’ils le blasphémaient et le regardaient comme le plus méchant des hommes, et qu’ils souhaitaient ôter son nom de la terre des vivants (comme Jérémie l’avait prophétisé) (Jer., x1, v. 19) son très fidèle cœur s’enflamma de nouveau du zèle de l’honneur de son Fils et de son Dieu véritable. Et s’étant prosternée devant sa personne sacrée crucifiée, elle l’adora et pria le Père éternel de défendre l’honneur de son Fils unique par des signes si éclatants, que les perfides Juifs en fussent confondus et frustrés de leur malicieuse intention. Après avoir fait cette prière au Père, elle s’adressa avec le même zèle et avec le pouvoir de Reine de l’univers à toutes les créatures, même à celles qui étaient privées de raison, et leur dit : « Créatures insensibles créées par la main du Tout-Puissant, « découvrez le sentiment que les hommes capables de rai- « son refusent follement d’avoir pour sa mort. Cieux, soleil, « lune, étoiles, planètes arrêtez votre cours, suspendez « vos influences envers les mortels. Éléments, altérez vos « qualités ; que la terre perde son repos et que les pierres « et les rochers se brisent. Tombeaux, qui servez de triste « demeure aux morts, ouvrez-vous pour confondre les vi- « vants. Voile mystique et figuratif du Temple, déchirez- « vous par le milieu, et par ce déchirement annoncez aux « incrédules leur punition, et rendez témoignage de la vé- « rité de la gloire de leur Créateur et de leur Rédempteur « qu’ils prétendent obscurcir ».

(1390) En vertu de cette prière et de ce pouvoir de la Vierge sacrée Mère de Jésus crucifié, la toute-puissance du Très-Haut avait disposé tout ce qui arriva à la mort de son Fils unique. Sa divine Majesté éclaira et toucha les cœurs de plusieurs personnes qui se trouvèrent présentes aux prodiges qui arrivèrent, ayant fait cette même grâce à quelques autres auparavant; afin qu’elles reconnussent Jésus crucifié pour saint et juste, et pour le véritable Fils de Dieu comme le centenier et plusieurs autres, qui s’en retournèrent du Calvaire en frappant leur poitrine de douleur, ainsi que le racontent les évangélistes (Matt., XXVII, v. 54; Luc, XXIII, v. 48). Et non seulement ceux qui avaient entendu et reçu sa doctrine le reconnurent, mais plusieurs autres aussi, qui ne l’avaient point connu et qui n’avaient pas vu ses miracles. Par cette même prière, Pilate fut inspiré de ne point changer le titre de la croix, que l’on avait déjà mis au-dessus de la tête du Seigneur en ces trois langues hébraïque, grecque et latine. Et quoique les Juifs fissent instance au juge de ne point écrire : « Jésus nazaréen, roi des Juifs » mais seulement qui s’était qualifié Roi des Juifs ; Pilate répondit : « Ce qui est écrit demeurera écrit » ; et ne voulut point le changer (Joan., XIX, v. 21 et 22). Toutes les autres créatures insensibles obéirent, par la volonté divine au commandement de la très pure Marie. Et tous les prodiges que les saints évangélistes racontent arrivèrent depuis l’heure de midi jusqu’à trois heures du soir, qui était la neuvième heure, à laquelle le Sauveur expira (Luc, XXIII, v. 45, Matt., XXVII, v. 51 et 52). Le soleil s’obscurcit ; les planètes changèrent leurs influences ; les cieux et la lune interrompirent leurs mouvements ; les éléments se troublèrent ; la terre trembla; plusieurs montagnes se fendirent ; les pierres se brisèrent les unes contre les autres ; les tombeaux s’ouvrirent, d’où les corps de quelques personnes qui étaient mortes ressuscitèrent et l’altération de tout ce qui est visible et élémentaire fut si extraordinaire, qu’elle se fit sentir dans toutes les parties du monde. Tous les Juifs qui étaient dans Jérusalem en furent fort étonnés ; mais leur perfidie et leur malice extrême les rendit indignes de connaître la vérité que toutes les créatures insensibles leur publiaient.

(1391) Les soldats qui crucifièrent notre Sauveur Jésus-Christ, et à qui appartenait comme valets la dépouille de celui qui était condamné à la mort, convinrent entre eux de partager les habits de l’innocent Agneau. Et ayant porté au Calvaire, par un ordre du ciel, le manteau que sa Majesté avait quitté à la cène pour laver les pieds à ses apôtres, ils en firent quatre parts, et chacun d’eux eut la sienne (Joan., XIX, v. 23 et 24), car ils étaient quatre. Mais ils ne voulurent point couper la tunique sans couture, la divine Providence l’ordonnant de la sorte avec beaucoup de mystère ; c’est pourquoi ils tirèrent au sort à qui elle demeurerait, et elle fut cédée à celui sur lequel le sort tomba ; de sorte que ce que dit David dans le psaume vingt et unième, fut accompli à la lettre. Les saints docteurs déclarent les mystères qui se trouvent en cette conduite de la divine Providence, qui ne permit point que cette tunique fût coupée ; et l’un de ces mystères était de nous signifier que quoique les Juifs déchirassent par les coups et par les plaies la très sainte humanité de notre Seigneur Jésus-Christ, sous laquelle la Divinité était cachée ; ils ne purent pourtant pas offenser ni toucher celle-ci par la passion ; et celui sur qui tombera l’heureux sort d’être justifié en participant à cette même passion jouira de la divinité entièrement et sans division.

(1392) Et comme la sainte croix était le trône de Jésus-Christ, et la chaire d’où il voulut enseigner la science de la vie, lorsqu’il y fut élevé, confirmant sa doctrine par son exemple, il y dit cette parole, en laquelle il renferma tout ce que la charité et la perfection ont de plus sublime : « Mon Père, pardonnez-leur parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc, XXIII, v. 34). Notre divin Maître s’appropria ce précepte de la charité et de l’amour fraternel en l’appelant sien. Et pour preuve de cette vérité qu’il avait enseignée, il en pratiqua le précepte sur la croix, non seulement en aimant ses ennemis et en leur pardonnant, mais aussi en représentant leur ignorance pour les disculper même dans le temps que leur malice était arrivée à son plus haut degré, ayant persécuté et crucifié leur Dieu et leur Rédempteur, et blasphémé contre sa divine Majesté. C’est ce que fit l’ingratitude des hommes après tant de lumières, d’instructions et de bienfaits, et c’est ce que fit notre adorable Sauveur par sa très ardente charité pour le retour des mauvais traitements, des épines, des clous, de la croix et des outrages qu’il avait reçus. O amour incompréhensible ! ô douleur ineffable! ô patience que les hommes ne sauraient jamais concevoir, que les anges admirent, et que les démons craignent! L’un des deux voleurs, appelé Dismas, connut quelque chose de ce mystère, et l’intercession de la Vierge sacrée opérant en même temps, il fut éclairé, pour connaître son Rédempteur et son Maître par cette première parole qu’il dit sur la croix. Et, touché d’une véritable douleur de ses péchés, il s’adressa à son compagnon et lui dit : « Quoi ! vous n’avez point de crainte de Dieu non plus qu’eux, vous qui êtes condamné au même tourment que lui? Pour nous, c’est avec justice que nous souffrons, car nous l’avons mérité par nos crimes; mais celui-ci n’a commis aucun mal » (Luc, XXIII, v. 40). Et s’adressant ensuite à notre Sauveur, il lui dit : « Seigneur, souvenez-vous de moi lorsque vous serez dans votre royaume ».

(1393) Cet heureux voleur, le centenier et les autres, qui reconnurent Jésus-Christ sur la croix, furent les premiers à ressentir les effets de la Rédemption. Mais le plus heureux de tous, ce fut Dismas, qui mérita d’entendre la seconde parole que dit le Seigneur : « Je vous dis en vérité que vous serez aujourd’hui avec moi dans le paradis » (Luc, XXIII, v. 43). O ! bienheureux voleur, qui seul avez obtenu cette parole si désirée de tous les justes de la terre ! Les anciens patriarches et les prophètes n’ont pas eu le bonheur de l’entendre, s’estimant fort heureux de descendre dans les limbes et d’y attendre pendant le cours de plusieurs siècles le paradis que vous avez obtenu en un moment par un trait favorable de votre métier, dont vous avez heureusement purgé toute la malice. Vous sortez de voler le bien d’autrui et les choses terrestres et vous ravissez maintenant le ciel des mains de son Maître ! Mais vous l’emportez avec justice, et il vous le donne par grâce : vous avez été le dernier disciple de sa doctrine pendant sa vie, et le premier à la pratiquer après l’avoir entendue. Vous avez aimé et corrigé votre frère ; vous avez reconnu votre créateur ; vous avez repris ceux qui blasphémaient, vous avez imité votre adorable Maître en souffrant avec patience ; vous l’avez prié avec humilité de se souvenir de vos misères comme Rédempteur, et il a récompensé vos désirs comme glorificateur, vous donnant sans différer la récompense qu’il vous a méritée et à vous et à tous les mortels.

(1394) Le bon larron ayant été justifié, Jésus jeta ses doux regards sur sa Mère affligée qui était au pied de la croix avec saint Jean, et s’adressant premièrement à sa Mère, il lui dit : « Femme, voilà votre fils », et ensuite s’adressant à l’apôtre, il lui dit : « Voilà votre mère » (Joan., XIX, v. 26 et 27). Le Seigneur appela la sainte Vierge du nom de femme, et non de celui de mère, parce qu’il aurait été sensiblement consolé en prononçant ce nom plein de douceur, et il ne voulut pas se donner cette consolation dans le temps de ses plus grandes souffrances, comme il a été marqué, et c’est parce qu’il avait renoncé à tout ce qui pouvait adoucir ses peines. Mais en l’appelant femme, il lui dit intérieurement : femme bénie entre toutes les femmes, la plus prudente entre les enfants d’Adam, femme forte et constante, jamais souillée de péché, très fidèle en mon amour, très exacte à me servir, dont la charité n’a pu être éteinte ni troublée par les eaux amères de la passion. Je m’en vais à mon Père, et je ne puis désormais vous faire compagnie ; mon disciple bien-aimé vous assistera, il vous servira comme sa Mère et sera votre fils. Notre auguste Reine entendit tout cela. Et, dès cette heure, le saint apôtre la reçut pour sienne, étant de nouveau éclairé, pour mieux connaître et estimer davantage la plus parfaite créature que la Divinité eût créée après l’humanité de notre Seigneur Jésus-Christ. Dans cette connaissance, il l’honora et la servit tout le reste de la vie de cette grande Reine, comme je le dirai dans la suite. Elle le reçut aussi pour son fils avec une humble obéissance. Et dès lors, elle lui promit toutes ses assistances maternelles, sans que les douleurs extrêmes de la passion empêchassent son cœur magnanime de subvenir à tout, car elle faisait toujours ce que la perfection et la sainteté ont de plus sublime, sans en omettre la moindre chose.

(1395) Il était environ la neuvième heure du jour, quoiqu’il parût plutôt une nuit ténébreuse par l’obscurité et le trouble universel ; alors notre Sauveur Jésus-Christ prononça la quatrième parole d’une voix éclatante et forte, de façon que tous ceux qui étaient présents pouvaient l’entendre, il dit : « Mon Dieu, mon Dieu ! comment m’avez-vous délaissé ? » (Matt., XXVII, v. 46). Quoique le Seigneur dît ces paroles en langue hébraïque, elles ne furent pourtant pas comprises de tous. Et comme les premiers mots en cette langue étaient Eli, Eli, quelques-uns s’imaginèrent qu’il appelait Élie ; quelques autres dirent en se moquant : voyons si Élie viendra maintenant le délivrer de nos mains. Mais le mystère de ces paroles fut aussi profond que caché aux Juifs et aux Gentils, car elles reçoivent plusieurs sens que les docteurs sacrés leur ont donnés. Ce qui m’en a été déclaré est que le délaissement de Jésus-Christ ne fut point que la Divinité s’éloignât de la très sainte humanité par la dissolution de l’union substantielle hypostatique, et par la suspension de la vision béatifique de son âme, car l’humanité eut ces deux unions avec la Divinité dès l’instant qu’elle fut conçue dans le sein virginal de l’auguste Marie par l’opération du Saint-Esprit, et la Divinité n’a jamais laissé ce à quoi elle s’unit une fois. Cette doctrine est la doctrine catholique et la véritable. Il est vrai aussi que la très sainte humanité fut délaissée de la Divinité en ce qu’elle ne la délivra point de la mort et des douleurs de la passion. Mais le Père éternel ne la délaissa point entièrement, en ce qui regarde la défense de son honneur, puisqu’il le défendit avec éclat par l’altération de toutes les créatures insensibles qui témoignèrent du sentiment à sa mort. Notre Sauveur Jésus-Christ découvrit un autre délaissement par cette plainte qui naissait de la charité immense qu’il avait pour les hommes, et ce délaissement fut celui des réprouvés; il se plaignit de ceux-ci à la dernière heure de sa vie, comme dans la prière qu’il fit dans le jardin, où son âme très sainte fut saisie d’une tristesse mortelle, comme je l’ai marqué en son lieu ; parce qu’offrant une rédemption si abondante pour tout le genre humain, elle ne devait point être efficace dans les réprouvés, et qu’il s’en trouverait délaissé dans le bonheur éternel, pour lequel il les avait créés et rachetés, et comme c’était un décret de la volonté éternelle du Père, il se plaignit amoureusement et avec douleur, quand il dit : « Mon Dieu, mon Dieu, comment m’avez-vous délaissé ? » Entendant parler de la compagnie des réprouvés.

(1396) Pour un plus grand témoignage de cela, le Seigneur ajouta aussitôt la cinquième parole, et dit : « J’ai soif » (Joan., XIX, v. 28). Les douleurs de la passion pouvaient causer à notre adorable Sauveur une soif naturelle. Mais il n’était pas temps de la manifester et de l’apaiser alors ; et s’il n’y eût eu quelque grand mystère, il n’en aurait rien dit sachant qu’il était sur le point d’expirer. Il désirait avec ardeur que les captifs enfants d’Adam ne refusassent point la liberté qu’il leur méritait et qu’il leur offrait. Il souhaitait que tous répondissent à ses soins charitables par la foi et par l’amour qu’ils lui devaient; qu’ils reçussent ses mérites et ses douleurs, sa grâce et son amitié, qu’ils pouvaient acquérir en participant et à ses mérites et à ses souffrances ; et qu’ils ne perdissent point leur félicité éternelle, qu’il leur laissait pour héritage, s’ils voulaient la recevoir et la mériter. Voilà quelle était la soif de notre divin Maître, et alors il n’y eut que la très pure Marie qui la connut parfaitement, et c’est pour cette raison qu’elle appela intérieurement avec une charité inconcevable les pauvres, les affligés, les humbles, les méprisés et les persécutés, afin qu’ils s’approchassent du Seigneur, et qu’ils apaisassent en partie cette soif, puisqu’il n’était pas possible de l’apaiser entièrement. Mais les perfides Juifs et les bourreaux, pour témoigner encore plus leur malheureuse dureté, présentèrent par moquerie au Seigneur une éponge trempée dans le fiel et le vinaigre, et l’ayant attachée au bout d’un bâton, ils la lui portèrent à la bouche afin qu’il en bût, accomplissant la prophétie de David qui dit : « Dans ma soif, ils m’ont présenté du vinaigre à boire » (Psal., LXVIII, v. 22). Notre très patient Seigneur en goûta et même il en but quelque peu pour témoigner par ce mystère qu’il tolérait la damnation des réprouvés. Mais il cessa aussitôt et n’en but pas davantage à la prière de sa très sainte Mère ; parce qu’étant la Mère de la grâce elle en devait être aussi la porte et la médiatrice de ceux qui profiteraient de la Passion et de la Rédemption.

(1397) Ensuite le Sauveur prononça avec le même mystère la sixième parole : Consummatum est (Joan., XIX, v. 30). J’ai maintenant accompli l’œuvre pour laquelle je suis venu du ciel. J’ai accompli la rédemption des hommes et la volonté de mon Père éternel, qui m’a envoyé pour souffrir et mourir pour le salut des hommes. J’ai accompli les écritures, les prophéties, les figures du vieux Testament, et le cours de ma vie passible et mortelle que j’ai reçue dans le sein de ma Mère. Je laisse dans le monde mon exemple, ma doctrine, mes sacrements et les remèdes pour la maladie que le péché a causée. J’ai satisfait à la justice de mon Père éternel pour la dette de la postérité d’Adam. J’ai enrichi mon Église pour le rachat des péchés que les hommes commettront, et pour ce qui me regarde comme restaurateur, j’ai achevé avec une entière perfection l’œuvre de mon avènement au monde, et j’ai jeté dans l’Église militante un fondement assuré pour l’édifice de l’Église triomphante, que personne ne pourra ni altérer, ni changer. Tous ces mystères sont renfermés dans ces paroles : Consummatum est.

(1398) L’œuvre de la rédemption du genre humain ayant été entièrement achevée, il fallait que, comme le Verbe était sorti de son Père pour s’incarner et vivre d’une vie mortelle dans le monde, il s’en allât par la perte de cette vie à son Père avec l’immortalité. C’est pour cela que notre Sauveur Jésus-Christ dit la dernière parole : « Mon Père, je remets mon âme entre vos mains » (Luc, XXIII, v. 46). Le Seigneur prononça ces paroles d’une voix forte, de sorte que tous ceux qui étaient présents les entendirent, et quand il voulut les prononcer, il éleva les yeux au ciel comme s’adressant à son Père éternel, et après le dernier mot, il baissa de nouveau la tête et rendit l’âme. Par la vertu divine de ces dernières paroles, Lucifer et tous les démons furent précipités dans les abîmes où ils demeurèrent tous abattus comme je le dirai dans le chapitre suivant. L’invincible Reine, la Maîtresse des vertus pénétra tous ces mystères comme Mère du Sauveur et coadjutrice de sa passion, et elle surpassa en cette pénétration ce que toutes les créatures ensemble en peuvent concevoir. Et afin qu’elle participât en tout à cette même passion, il fallait que comme elle avait senti les douleurs qui répondaient à celles de son très saint Fils, elle souffrît aussi, sans mourir, les peines qu’eut le Seigneur dans l’instant de sa mort. Que si elle ne mourut point, c’est que Dieu lui conserva la vie par un miracle, qui fut plus grand que les autres par lesquels sa divine Majesté la lui avait conservée dans tout le cours de la passion. Parce que cette dernière douleur fut beaucoup plus pénétrante et plus vive que les autres ; et nous pouvons dire que tout ce que les hommes ont souffert depuis le commencement du monde ne saurait égaler ce que la très pure Marie souffrit dans la passion. Elle demeura au pied de la croix jusqu’au soir, qui fut le temps où on ensevelit le corps sacré du Sauveur, comme je le dirai dans la suite ; et en récompense de cette dernière douleur, elle fut plus spiritualisée en ce peu de l’être terrestre que son très saint corps avait.

(1399) Les saints évangélistes n’ont pas écrit les autres mystères cachés que notre Rédempteur Jésus-Christ opéra sur la croix ; et les catholiques n’en ont que les prudentes conjectures qu’ils tirent de la certitude infaillible de la foi. Mais entre ceux qui m’ont été découverts en cette histoire et en cette partie de la passion, il y a une prière que le Sauveur fit au Père éternel avant de dire les sept paroles dont les évangélistes font mention. Je l’appelle une prière, parce qu’il s’adressa au Père éternel, quoique ce fût comme un testament qu’il fit en qualité de véritable et très sage père de famille, qui renfermait tout le genre humain, et que son Père lui avait recommandée. Et comme la loi naturelle enseigne que le chef d’une famille et le Seigneur de quelque bien, ne serait pas prudent ni soigneux de ce qui le regarde, s’il ne déclarait à l’heure de sa mort sa dernière volonté par laquelle il dispose de ses biens et de sa famille, afin que ses héritiers et ses successeurs sachent ce qu’il leur laisse sans être obligés de le disputer, et qu’ils l’acquièrent ensuite avec justice pour leur patrimoine et en soient paisibles possesseurs ; c’est pour cela que les hommes du siècle font leurs testaments quand ils se portent bien, pour n’être point troublés à l’heure de la mort. Et même les religieux se désapproprient de l’usage des choses qu’ils ont; car tout ce qui est terrestre pèse beaucoup alors, et les soins que l’on en prend empêchent l’âme de s’élever à son Créateur. Et quoique ces choses terrestres ne fussent pas capables d’embarrasser notre Sauveur, parce qu’il n’en avait aucune, et quand même il en aurait eu, elles n’auraient pas empêché son pouvoir infini ; néanmoins il était convenable qu’il disposât en ce temps-là des trésors spirituels et des dons qu’il avait mérités aux hommes pendant le cours de sa vie.

(1400) Le Seigneur étant sur la croix disposa de ses biens éternels, déclarant ceux à qui ils devaient appartenir et qui devaient être ses légitimes héritiers, et ceux qu’il déshéritait, et les causes de la différence de leur sort. Il conféra de tout cela avec son Père éternel, comme suprême Seigneur et très juste juge de toutes les créatures, car les secrets de la prédestination des saints et de la réprobation des méchants obstinés étaient renfermés dans ce testament, qui fut renfermé et caché pour les hommes ; et la seule très pure Marie eut le privilège de l’entendre, parce qu’outre qu’elle pénétrait toutes les opérations de l’âme très sainte de Jésus-Christ, elle était son héritière universelle et constituée la maîtresse de tout ce qui est créé. Et comme coadjutrice de la rédemption, elle devait être aussi comme exécutrice testamentaire, et il fallait que pour elle (entre les mains de qui son Fils mit toutes choses, comme le Père éternel les avait mises entre les siennes) la volonté du Sauveur fût exécutée, et que cette incomparable Dame distribuât les trésors acquis et dus à son Fils pour être ce qu’il est, et par ses mérites infinis. Cette connaissance m’a été donnée comme faisant partie de cette histoire, afin de déclarer davantage la dignité de notre auguste Reine, et que les pécheurs aient recours à elle comme à la dépositaire des richesses, dont son Fils notre Rédempteur s’oblige auprès de son Père éternel, parce que tous nos secours doivent être mis en dépôt en la très pure Marie, et qu’elle doit les distribuer par ses mains toutes charitables.

Le testament que notre Sauveur Jésus-Christ fit sur la croix priant son Père éternel.

(1401) Après que la sainte croix eut été dressée sur le Calvaire le Verbe incarné qui y était crucifié, dit intérieurement à son Père, avant que de prononcer aucune des sept paroles dont nous avons fait mention : « Mon Père, Dieu éternel, je vous glorifie de cette croix où je suis, et je vous loue par le sacrifice de mes douleurs, de ma passion et de ma mort de ce que par l’union hypostatique de la nature divine, vous avez élevé mon humanité à la suprême dignité d’être le Christ, Dieu et homme, oint par votre Divinité même. Je vous glorifie pour toute la plénitude possible des dons de grâce et de gloire que vous avez communiqués à mon humanité dès l’instant de mon incarnation et de ce que vous m’avez donné dès ce moment l’empire universel sur toutes les créatures dans l’ordre de la grâce et de la nature pour toute l’éternité ; de ce que vous m’avez établi Seigneur des cieux et des éléments, du soleil, de la lune, des étoiles, du feu, de l’air, des mers, de la terre et de toutes les créatures sensibles et insensibles qui s’y trouvent ; de la disposition des temps, des jours et des nuits, me donnant un pouvoir absolu sur tout ; de ce que vous m’avez fait le Chef, le Roi, et le Seigneur des anges et des hommes, pour les gouverner et pour récompenser les bons et punir les méchants ; de ce que vous m’avez donné la puissance sur tout, et les clefs de l’abîme depuis le plus haut ciel jusqu’au plus profond des enfers ; de ce que vous avez mis entre mes mains la justification éternelle des hommes, leurs empires, leurs royaumes et leurs principautés, les grands et les petits, les pauvres et les riches, et tous ceux qui sont capables de votre grâce et de votre gloire, et de ce que vous m’avez établi le Justificateur, le Rédempteur et le Glorificateur universel de tout le genre humain, le Seigneur de la mort et de la vie ; de tous ceux qui sont nés de la sainte Église et de ses trésors, des écritures, des mystères, des sacrements, des secours, des lois et des dons de la grâce : vous avez mis, mon Père, toutes choses entre mes mains, et les avez subordinées à ma volonté, je vous glorifie et vous exalte pour cela.

(1402) « Maintenant, Père éternel, que je sors de ce monde pour m’en aller à votre droite par la mort que je vais souffrir sur la croix et que j’ai accompli par elle et par ma passion, la rédemption des hommes que vous m’avez recommandée. Je veux, mon Dieu, que cette croix soit le tribunal de notre justice et de notre miséricorde. Et y étant élevé, je veux juger ceux pour qui je donne la vie. Et justifiant ma cause, je veux disposer des trésors de mon avènement au monde, de ma passion et de ma mort, afin de déterminer dès maintenant ce qui est dû aux justes ou aux réprouvés, à chacun selon ses œuvres par lesquelles ils m’auront aimé ou méprisé. J’ai cherché, Seigneur, tous les hommes, je les ai tous appelés à mon amitié et à ma grâce, et j’ai travaillé sans cesse pour eux dès l’instant que j’ai pris chair humaine ; j’ai souffert des peines, des fatigues, des affronts, des opprobres, des coups de fouet, la couronne d’épines, et je vais souffrir la mort très amère de la croix ; j’ai prié votre miséricorde infinie pour tous ; j’ai sollicité en leur faveur par mes veilles, par mes jeûnes et par mes fatigues ; je leur ai enseigné le chemin de la vie éternelle ; et pour ce qui me regarde et qui est de ma volonté, je veux qu’elle soit pour tous, comme je l’ai méritée pour tous sans en excepter ni en exclure aucun ; j’ai aussi établi pour tous la loi de grâce, et l’Église où ils seront en sûreté, durera toujours, sans que personne puisse l’ébranler.

(1403) « Mais nous connaissons, mon Père, par notre prescience, que tous les hommes ne veulent pas recevoir notre salut éternel par leur malice et par leur dureté, ni se prévaloir de notre miséricorde, ni marcher dans le chemin que je leur ai frayé par ma vie, par mes œuvres et par ma mort ; mais qu’ils veulent continuer leurs péchés jusqu’à la damnation. Vous êtes juste, Seigneur, et vos jugements sont très équitables ; il est juste aussi, que puisque vous m’avez établi juge des vivants et des morts, des bons et des méchants, je donne aux justes la récompense qu’ils ont méritée en me servant et m’imitant, et aux pécheurs la punition de leur obstination perverse : que ceux-là aient part avec moi à mes biens, et que ceux-ci soient privés de mon héritage, puisqu’ils n’ont pas voulu l’accepter. Or, mon Père éternel, en votre nom et au mien, et en vous glorifiant, je dispose maintenant par ma dernière volonté humaine qui est conforme à votre volonté éternelle et divine, et je veux en premier lieu nommer ma très pure Mère qui m’a donné l’être humain et la constituer mon héritière unique et universelle de tous les biens de la nature, de la grâce et de la gloire qui m’appartiennent, afin qu’elle en soit la Maîtresse avec un plein pouvoir ; je lui accorde actuellement tous ceux de la grâce qu’elle peut recevoir en soi étant pure créature, et je lui promets ceux de la gloire pour son temps. Je veux aussi qu’elle soit Maîtresse des anges et des hommes ; qu’elle ait sur eux un empire absolu, que tous lui obéissent et la servent, que les démons la craignent et lui soient assujettis, et que toutes les créatures privées de raison et de sentiment lui soient soumises, les cieux, les étoiles, les planètes, les éléments, les oiseaux, les poissons et tous les animaux ; je la rends maîtresse de tout, et je veux que tous la sanctifient et l’exaltent avec moi. Je veux aussi qu’elle soit la dépositaire et la dispensatrice de tous les biens que les cieux et la terre renferment. Ce qu’elle ordonnera et disposera dans l’Église à l’égard des hommes mes enfants, sera confirmé dans le ciel par les trois personnes divines, et nous accorderons selon sa volonté tout ce qu’elle demandera pour les mortels, maintenant et toujours.

(1404) « Je déclare que le suprême ciel appartient aux anges, qui ont obéi à votre sainte et juste volonté, afin qu’il soit leur demeure propre et éternelle, et qu’en elle la jouissance et la claire vision de notre divinité leur appartiennent aussi. Je veux qu’ils en jouissent en possession éternelle, en notre amitié et en notre compagnie. Je leur commande de reconnaître ma Mère pour leur Reine et leur Maîtresse légitime, de la servir, de l’accompagner, de l’assister en tout lieu et en tout temps, et de lui obéir en tout ce qu’elle voudra leur commander. Quant aux démons qui ont été rebelles à notre parfaite et sainte volonté, je les bannis de notre vue et de notre compagnie ; je les condamne de nouveau à notre indignation et à la privation éternelle de notre amitié et de notre gloire, et de la vue de ma Mère, des saints et des justes mes amis. Je leur détermine pour demeure perpétuelle l’enfer, qui est le centre de la terre et le lieu le plus éloigné de notre trône céleste, où ils seront privés de la lumière et dans l’horreur des ténèbres les plus sensibles. Et je déclare que c’est là le partage qu’ils ont choisi par leur obstination et par leur orgueil par lequel ils se sont élevés contre l’être divin et contre ses ordres, et j’ordonne qu’ils soient tourmentés dans ces antres ténébreux par un feu éternel qui ne s’éteindra jamais.

(1405) Par toute la plénitude de ma volonté, j’appelle, je choisis, et je tire de toute la nature humaine tous les justes et tous les prédestinés, qui par ma grâce et par mon imitation doivent être sauvés en accomplissant ma volonté et observant ma sainte loi. Je nomme ceux-ci en premier lieu (après ma très pure Mère) les héritiers de toutes mes promesses, de mes mystères, de mes bénédictions, des trésors de mes sacrements, des secrets de mes écritures, de mon humilité, de ma douceur, des vertus de foi, d’espérance et de charité, de prudence, de justice, de force et de tempérance, de mes dons, de mes faveurs, de ma croix, de mes souffrances, de mes affronts et de ma pauvreté. C’est là leur partage en cette vie passagère. Et comme ils en doivent faire eux-mêmes le choix par leurs bonnes œuvres, afin qu’ils le fassent avec joie, je le leur destine pour gage de mon amitié, parce que je l’ai choisi pour moi-même. Je leur promets ma protection, mes inspirations, mes faveurs, mes secours, mes dons, et la justification selon leur disposition et leur amour ; car je serai à leur égard père, frère et ami, et ils seront mes enfants, mes élus et mes bien-aimés, et comme tels je les nomme pour héritiers de tous mes mérites et de tous mes trésors sans aucune limitation de mon côté. Je veux qu’ils reçoivent de ma sainte Église et de mes sacrements tout ce à quoi ils se disposeront ; qu’ils puissent recouvrer la grâce s’ils la perdent, et revenir à mon amitié, renouvelés entièrement par mon sang ; que l’intercession de ma Mère et de mes saints leur serve pour tout ; qu’elle les reconnaisse pour ses enfants et les protège comme siens ; que mes anges les gardent, les conduisent et les défendent, et qu’ils les aident à se relever au cas où ils tombent.

(1406) « Je veux que mes justes et mes élus excellent sur les réprouvés et sur les démons, et que mes ennemis les craignent et leur soient assujettis ; que toutes les créatures les servent ; que les cieux, les planètes, les étoiles et leurs influences les conservent ; que la terre, les éléments, tous les animaux et toutes les autres créatures qui sont à moi et qui me servent les entretiennent comme mes enfants et mes amis, et que leur bénédiction soit dans la rosée du ciel et dans la graisse de la terre. Je veux aussi prendre mes délices en eux, leur faire part de mes secrets, converser et demeurer avec eux dans l’Église militante sous les espèces du pain et du vin, pour gage infaillible de la félicité et de la gloire éternelle que je leur promets et dont je les fais héritiers, afin qu’ils en jouissent avec moi dans le ciel en possession perpétuelle.

(1407) « Pour ce qui est des réprouvés de notre volonté (quoiqu’ils fussent créés pour une autre plus haute fin) je permets que leur partage en cette vie passagère soit la concupiscence de la chair et des yeux, l’orgueil et tous ses effets ; qu’ils soient rassasiés du sable de la terre qui sont ses richesses, de la fumée et de la corruption de la chair de ses plaisirs, de la vanité et de la présomption mondaine. Ils ont travaillé et employé leurs soins, leur volonté et leurs sens pour acquérir cette possession ; ils y ont appliqué leurs puissances, les dons et les bienfaits qu’ils ont reçus de nous, et ils ont choisi volontairement le mensonge et rejeté la vérité que je leur ai enseignée dans ma sainte loi. Ils ont renoncé à celle que j’ai écrite dans leur propre cœur, et à celle que ma grâce leur a inspirée ; ils ont méprisé ma doctrine et mes bienfaits ; ils se sont associés avec mes ennemis et les leurs ; ils ont reçu leurs tromperies et aimé la vanité ; ils ont fait des injustices et assouvi leur ambition ; ils se sont plu à la vengeance, à persécuter les pauvres, à humilier les justes, et à se moquer des simples et des innocents ; ils ont cherché leur propre gloire et désiré s’élever au-dessus des cèdres du Liban dans la loi de l’injustice qu’ils ont observée.

(1408) « Comme ils ont fait tout cela contre la bonté de notre divinité, qu’ils se sont obstinés dans leur malice et renoncé au droit des enfants que je leur ai acquis ; je les déshérite de mon amitié et de ma gloire. Et comme Abraham sépara les enfants des esclaves avec quelques présents, et réserva tout son bien pour Isaac, fils de Sara, qui était né libre, de même j’éloigne les réprouvés de mon héritage avec les biens passagers et terrestres qu’ils ont eux-mêmes choisis. Et en les séparant de notre compagnie, de celle de ma Mère, des anges et des saints, je les condamne aux abîmes et au feu éternel de l’enfer où ils seront en la compagnie de Lucifer et de ses démons, auxquels ils se sont volontairement assujettis ; et je les prive pour notre éternité de l’espérance du pardon. C’est là, mon Père, la sentence que je prononce comme juge et comme chef des hommes et des anges, et le testament que je fais pour le temps de ma mort et pour l’effet de la rédemption du genre humain, rendant à chacun ce qui lui est dû avec justice selon ses œuvres, et conformément au décret de votre sagesse incompréhensible et de votre justice très équitable ». C’est ce que notre Sauveur crucifié dit à son Père éternel, et ce mystère fut caché et gardé dans le cœur de la très pure Marie, comme un testament fermé, afin qu’il fût en son temps et dès lors même exécuté dans l’Église par son intercession, comme il l’avait été jusqu’alors par la prescience divine, dans laquelle le passé et l’avenir sont également présents.

Instruction que notre auguste Maîtresse m’a donnée.

(1409) Ma fille, tâchez de n’oublier jamais la connaissance des mystères que je vous ai découverts dans ce chapitre. Je prierai le Seigneur, comme votre Mère et votre Maîtresse, d’imprimer par sa vertu divine dans votre cœur les connaissances que je vous en ai données, afin qu’elles y demeurent gravées tant que vous vivrez. Je veux que par ce bienfait vous ayez continuellement dans votre souvenir Jésus-Christ crucifié mon très saint Fils et votre Époux, et que vous n’oubliiez jamais les douleurs qu’il ressentit sur la croix, et la doctrine qu’il y enseigna et qu’il y pratiqua. C’est dans ce miroir que vous devez perfectionner la beauté de votre âme, car par ce moyen vous aurez votre gloire au dedans comme la fille du prince ; vous vous avancerez, vous vous perfectionnerez et régnerez comme l’Épouse du suprême Roi. Et comme ce titre honorable vous oblige à faire tous vos efforts pour l’imiter et vous conformer à lui autant qu’il vous sera possible avec sa grâce, et que ce doit être là le fruit de ma doctrine, je veux que dès maintenant vous soyez crucifiée avec Jésus-Christ, et que vous vous rendiez semblable à cet adorable exemplaire mourant à la vie terrestre. Je veux que les effets du premier péché soient détruits en vous, que vous ne viviez plus que dans les opérations et les effets de la vertu divine, et que vous renonciiez à tout ce que vous avez hérité comme fille du premier Adam, afin d’acquérir l’héritage du second, qui est Jésus-Christ votre Rédempteur et votre Maître.

(1410) Votre état doit être une croix fort étroite, où il faut que vous soyez clouée, et non une voie large par des privilèges et des interprétations qui la rendent plutôt spacieuse et commode qu’assurée et parfaite. C’est là l’erreur des enfants de Babylone et d’Adam, qui tâchent de trouver dans leurs différents états des adoucissements dans la loi de Dieu, et qui marchandent le salut de leurs âmes pour acheter le ciel à fort bon marché ou pour se mettre au hasard de le perdre, s’il leur en doit coûter la peine de se conformer à la rigueur de la loi divine et à ses préceptes. De là vient qu’ils cherchent des doctrines et des opinions qui élargissent les voies de la vie éternelle, sans faire réflexion que mon très saint Fils leur a enseigné qu’elles étaient fort étroites et qu’il n’en a point suivi d’autres, afin que personne ne s’imagine pouvoir arriver au bonheur éternel par des voies plus larges et proportionnées aux inclinations dépravées par le péché. Ce danger est plus grand à l’égard des ecclésiastiques et des religieux qui par leur état doivent suivre leur divin Maître et s’adapter à sa vie et à sa pauvreté ; c’est pour cela qu’ils ont choisi le chemin de la croix ; et cependant ils veulent que leurs dignités ou l’état de religieux leur procurent plus de commodités temporelles et de plus grands honneurs qu’ils n’auraient reçus dans leur premier état. Et pour y réussir, ils adoucissent la croix qu’ils ont promis de porter ; de sorte qu’ils vivent fort à leur aise et mènent une vie sensuelle, fondés sur de certaines interprétations trompeuses. Mais ils connaîtront en son temps la vérité de cette sentence du Saint-Esprit, qui dit : « Toutes les voies de l’homme lui paraissent droites, mais le Seigneur pèse les cœurs » (Prov., XXI, v. 2).

(1411) Je veux, ma fille, que vous soyez si éloignée de cette erreur, que vous pratiquiez toujours ce que votre état aura de plus rigoureux et de plus étroit ; de sorte que vous ne puissiez vous séparer de cette croix, ni vous tourner d’un côté ou d’autre, comme y étant clouée avec Jésus-Christ ; car vous devez préférer la moindre obligation de cet état à toutes les commodités temporelles. Il faut que votre main droite soit clouée par l’obéissance, sans qu’il se trouve en vous aucune action ni aucune pensée qui ne soit conduite par cette vertu. Vous ne devez rien faire de ce que votre propre volonté vous inspire, mais vous devez suivre en tout celle de vos supérieurs ; il ne faut pas non plus que vous soyez sage à vos propres yeux en quoi que ce soit, mais ignorante et aveugle, afin que ceux qui ont soin de votre conduite ne trouvent en vous aucune résistance. Celui qui promet, dit le Sage, a cloué sa main et se trouve pris par ses paroles (Prov., VI, v. 1). Or vous avez cloué votre main par le vœu d’obéissance, et par cet acte vous êtes demeurée sans liberté et sans pouvoir dire : je veux ou je ne veux point. Votre main gauche sera clouée par le vœu de pauvreté, et vous n’aurez ni inclination ni désir pour aucune chose terrestre, car vous devez imiter en tout Jésus-Christ pauvre sur la croix. Vos pieds doivent être cloués par le troisième vœu de chasteté, afin que toutes vos voies soient pures, chastes et belles. C’est pour cela que vous ne devez point permettre que l’on dise en votre présence aucune parole qui choque la bienséance, ni recevoir aucune image des choses passagères, ni regarder ou toucher aucune créature humaine ; vous devez consacrer tous vos sens et spécialement vos yeux à la chasteté, et ne vous en servir que pour contempler Jésus crucifié. Vous garderez avec toute sûreté le quatrième vœu de clôture dans le côté de mon très saint Fils, c’est là où je vous la destine. Et afin que cette doctrine vous paraisse plus douce et ce chemin moins étroit, vous devez considérer en vous-même l’image de mon adorable Fils tout couvert de plaies, chargé d’outrages, cloué sur la croix et maltraité dans toutes les parties de son corps sacré, ainsi qu’il vous a été représenté. Nous étions, mon très saint Fils et moi, d’un tempérament plus sensible et plus délicat qu’aucun des enfants des hommes, et nous avons souffert pour eux des peines incroyables, afin qu’ils eussent le courage d’en recevoir de beaucoup plus légères pour leur propre bien éternel et pour le grand amour que nous leur avons témoigné ; ce dont ils devraient être reconnaissants en choisissant le chemin des épines et en portant la croix pour suivre Jésus-Christ et pour acquérir la félicité éternelle, puisque c’est là le droit chemin pour y arriver.

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