Ordre des Frères Mineurs Capucins
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Chap. 21 - Portement de Croix

Source: Google Books

Pilate prononce la sentence de mort contre l’Auteur de la vie. Le Seigneur porte sa croix sur laquelle il devait mourir, sa très sainte Mère le suit. Ce que fit cette auguste Reine dans cette occasion contre le démon, et quelques autres événements.

(1354) Pilate prononça la sentence par laquelle il condamnait notre Sauveur Jésus-Christ, Auteur de la vie à mourir de la mort de la croix, selon le souhait des pontifes et des pharisiens. Et la lui ayant notifiée, on le mena à un autre endroit de la maison du juge, où on lui ôta la robe de pourpre qu’on lui avait mise comme à un roi imaginaire. Cela se fit avec mystère du côté du Seigneur, quoique ce fût avec une intention malicieuse du côté des Juifs, afin de conduire le Sauveur au supplice de la croix avec ses propres habits et de le faire par là connaître à tous, car les coups, les crachats et la couronne d’épines avaient si fort défiguré son divin visage qu’il ne pouvait être connu du peuple que par son habit ordinaire. On lui mit la tunique sans couture, que les anges apportèrent par ordre de leur Reine, l’ayant tirée secrètement d’une autre chambre où les valets l’avaient jetée lorsqu’ils la lui otèrent pour le vêtir de la robe de pourpre. Les Juifs ne s’aperçurent point de ce miracle et ils n’étaient pas non plus en état d’y faire réflexion à cause du grand empressement qu’ils avaient de le faire bientôt mourir.

(1355) Par ce même empressement, la sentence de mort qui avait été prononcée contre Jésus de Nazareth, fut aussitôt publiée par tout Jérusalem, et le peuple alla à la maison de Pilate pour le voir sortir et mener au supplice. La ville était pleine de gens ; car, outre le très grand nombre de ses habitants, il y était venu de tous les côtés plusieurs autres personnes pour célébrer la Pâque ; et dans cette occasion ils accoururent tous au palais de Pilate pour voir se qui s’y passait à l’égard de Jésus-Christ. C’était le vendredi, jour de la préparation selon l’interprétation grecque, car ce jour-là les Hébreux se préparaient pour le jour suivant du Sabbat, qui était leur grande solennité, en laquelle ils ne faisaient aucune œuvre servile pas même pour ce qui regardait leur nourriture ; ils disposaient toutes ces choses le vendredi. On fit sortir notre Sauveur avec ses propres habits à la vue de tout ce peuple; il était si défiguré par les plaies, le sang et les crachats qu’on ne l’aurait pas connu autrement. Il parut, ainsi que dit Isaïe (ch. LIII, v. 4), comme un lépreux et comme un homme frappé de Dieu, parce que toutes les plaies de son corps sacré et de son divin visage qui était couvert de crachats, n’en faisaient qu’une seule. Les saints anges l’avaient quelquefois purifié par ordre de l’affligée Mère, mais aussitôt on lui en jetait d’autres avec tant d’excès qu’il en était alors tout couvert. A la vue d’un objet si lamentable, il se leva un si grand bruit parmi le peuple qu’on ne pouvait rien entendre de toutce que l’on disait. Mais les pontifes et les pharisiens faisaient retentir leurs voix avec des railleries insolentes et avec une joie déréglée, ordonnant au peuple de se taire et de débarrasser le chemin par où ils devaient faire passer le divin condamné, afin que tous pussent entendre la lecture de la sentence de mort qui avait été prononcée contre lui. Toute cette multitude de peuple était divisée, chacun selon ses sentiments. Et parmi les nations différentes qui assistaient à ce triste spectacle, il s’en trouvait plusieurs qui avaient été favorisés et secourus par les charitables bienfaits et par les miracles du Sauveur, et d’autres qui avaient entendu et reçu sa doctrine, et qui étaient ses parents et ses amis ; parmi ceux-ci, il y en avait qui pleuraient amèrement ; quelques-uns demandaient quels crimes avait commis cet homme pour être traité avec tant de cruauté? Les autres demeuraient dans le silence et dans la consternation : enfin, on ne voyait partout que confusion et que tumulte.

(1356) Saint Jean fut le seul des apôtres qui se trouva présent à ce spectacle, car étant avec la Vierge sacrée et les trois Marie, il fut témoin de tout ce qui se passa, quoiqu’ils fussent un peu retirés de la multitude. Et lorsque le saint apôtre vit sortir son divin Maître (considérant qu’il en était particulièrement aimé) il en eut une si grande affliction qu’il en perdit la parole et tomba comme mort. Il en arriva de même aux trois Marie. Mais la Reine des vertus fut invincible, et quoiqu’elle sentît une douleur inconcevable, elle n’eut pourtant pas ces défaillances qui marquaient la faiblesse des autres. Elle fut en tout très prudente, très forte et admirable ; et elle agit avec tant de sagesse, que sans faire éclater la moindre plainte, elle consola les Marie et saint Jean, et pria le Seigneur de les fortifier, afin qu’ils puissent lui faire compagnie jusqu’à la fin de la Passion. En vertu de cette prière, ils revinrent à leur premier état et parlèrent à notre auguste Dame qui ne témoigna aucun trouble parmi tant de confusion et d’amertume, mais elle pleurait continuellement avec une sérénité et une majesté de Reine. Elle considérait son Fils et son Dieu véritable ; elle priait le Père éternel et lui représentait les douleurs de la Passion comme notre Sauveur le faisait. Elle connaissait la malice du péché, pénétrait les mystères de la rédemption, conviait les anges à prier avec elle pour les amis et pour les ennemis ; et élevant son amour et sa douleur à leur plus haut degré, elle donnait la plénitude à toutes ses vertus, se rendant par là un objet digne de l’admiration des anges, et de la complaisance de la Divinité. Et comme il n’est pas possible de déclarer ni les pensées ni les paroles de cette Mère de la sagesse, je m’en remets à la piété chrétienne.

(1357) Les pontifes et les ministres de la justice tâchaient de faire taire le peuple, afin qu’il entendît la sentence qui avait été prononcée contre Jésus de Nazareth, car après la lui avoir notifiée, ils voulaient en faire la lecture en public. Ayant donc apaisé le tumulte, et le Seigneur étant debout comme un criminel, ils la lurent tout haut, afin que tous ceux qui se trouvaient présents l’entendissent ; ensuite ils la relurent plusieurs fois par les rues et en dernier lieu au pied de la croix. La sentence imprimée paraît en divers endroits ainsi que je l’ai vue ; et selon ce qui m’en a été déclaré, elle est en substance véritable, excepté quelques paroles qu’on y a ajoutées que je ne mettrai pas ici, mais j’écrirai seulement de la manière qui suit celles qui m’ont été inspirées, sans y rien ajouter ni diminuer.

Teneur de la sentence de mort que Pilate prononça contre Jésus de Nazareth notre Sauveur.

(1358) « Moi, Ponce Pilate, président de la Basse-Galilée, gouvernant ici en Jérusalem pour l’Empire romain, dans le palais de l’archiprésidence, je juge et prononce que je condamne Jésus, appelé du peuple, Nazaréen, originaire de Galilée, homme séditieux, contraire à la Loi, à notre Sénat et au grand empereur Tibère César. Et par cette sentence je détermine qu’il meure sur une croix, attaché avec des clous, comme on y attache les criminels ; parce qu’assemblant ici chaque jour plusieurs personnes pauvres et riches, il a causé du trouble par toute la Judée, se disant être le Fils de Dieu et le Roi d’Israël ; menaçant la ruine de cette auguste ville de Jérusalem, du saint Temple et du sacré Empire ; refusant le tribut à César, et pour avoir osé entrer en triomphe avec des palmes, accompagné d’une grande partie du peuple, dans cette ville de Jérusalem et dans le Temple sacré de Salomon. J’ordonne au premier centenier, appelé Quintus Cornelius, de le mener par la même ville avec ignominie, lié comme il l’est, et flagellé par món ordre. On lui mettra ses propres habits afin qu’il soit connu de tous ; il portera la croix sur laquelle il doit être crucifié. Il ira par toutes les rues les plus fréquentées entre deux voleurs qui ont été condamnés à la mort pour des larcins et des meurtres qu’ils ont faits ; et c’est afin qu’il serve d’exemple à tout le peuple et aux malfaiteurs.

« Je veux aussi et j’ordonne par cette présente sentence, qu’après qu’on aura mené de la sorte ce malfaiteur par les rues, on le fasse sortir de la ville par la porte Pagora, appelée maintenant Antoniana, et qu’un héraut déclare tous les crimes exprimés dans cette sentence ; on le conduira ensuite sur le mont que l’on appelle Calvaire, où l’on exécute ordinairement les plus insignes malfaiteurs ; et là, ayant été cloué et crucifié sur la même croix qu’il aura porté (comme il a été dit) son corps demeurera suspendu entre les deux susdits voleurs. On mettra au plus haut de la croix le titre de son nom en ces trois langues, qui sont maintenant en usage, savoir : l’hébraïque, la grecque et la latine, de façon que chacun dise : C’EST JÉSUS NAZARÉEN ROI DES JUIFS ; afin que tous l’entendent et le connaissent.

« Je défends aussi sous peine de confiscation de biens, de mort et d’être déclaré rebelle à l’Empire romain, qu’aucun, de quelque état et condition qu’il soit, ose empêcher la justice que j’ordonne de faire et d’exécuter en toute rigueur, selon les lois romaines et hébraïques. L’année de la création du monde cinq mille deux cents trente-trois, le vingt-cinquième de mars.

« PONTIUS PILATUS JUDEX ET GUBERNATOR GALILEÆ INFERIORIS PRO ROMANO IMPERIO, QUI SUPRA PROPRIA MANU. »

(1359) Selon cette supputation la création du monde fut en mars, et du jour qu’Adam fut créé jusqu’à l’incarnation du Verbe il s’écoula cinq mille cent quatre-vingt-dix-neuf ans, et y ajoutant les neuf mois qu’il demeura dans le sein virginal de sa très sainte Mère et les trente-trois ans qu’il vécut, font les cinq mille deux cents trente-trois et les trois mois, qui, selon que l’Église suppute les années, restent jusqu’au vingt-cinquième du mois de mars ; car selon cette supputation, la première année du monde n’est composée que de neuf mois et sept jours, commençant la seconde année au premier de janvier. Il m’a été déclaré, qu’entre les opinions des docteurs, la supputation que la sainte Église marque dans le Martyrologe romain, est la véritable, comme je l’ai dit parlant de l’incarnation de notre Seigneur Jésus-Christ, dans le livre premier de la seconde partie, chapitre onzième.

(1360) La sentence que Pilate avait prononcée contre notre Sauveur, ayant été lue à haute voix devant tout le peuple, les valets chargèrent sur les épaules délicates de Jésus la croix sur laquelle il devait être crucifié. Et afin qu’il la portât ils lui délièrent les mains, sans délier pourtant le corps, afin de pouvoir le tirer avec les cordes dont il était lié, et par une plus grande cruauté ils lui en firent deux tours au cou. La croix était de quinze pieds de long, fort épaisse et d’un bois fort pesant. Le heraut qui avait publié la sentence, commença à marcher et ensuite toute cette multitude de peuple, les valets et les soldats partirent du palais de Pilate avec un tumulte effroyable pour aller au mont du Calvaire, par les rues qui leur avaient été marquées. Quand notre Rédempteur eut aperçu la croix, il la regarda avec une très grande joie, comme celle d’un époux qui considère les riches joyaux de son épouse et en la recevant il lui adressa intérieurement ces paroles.

(1361) « O croix si longtemps attendue et désirée, viens à moi ma bien-aimée, reçois-moi entre tes bras, afin que mon Père éternel y reçoive comme sur un autel sacré, le sacrifice de la réconciliation éternelle avec le genre humain. Je suis descendu du ciel dans une vie et une chair mortelle et passible, pour mourir entre tes bras, car tu dois être le sceptre par lequel je triompherai de tous mes ennemis, la clef avec laquelle j’ouvrirai les portes du paradis à mes élus, le sanctuaire où les criminels, enfants d’Adam trouveront la miséricorde, et le canal des trésors qui peuvent les enrichir dans leur pauvreté. Je veux en toi anoblir les déshonneurs et les opprobres des hommes afin que mes amis les embrassent avec joie et les recherchent avec ardeur, pour me suivre par le chemin que je leur fraierai par ton moyen. Je vous bénis, mon Père, Dieu éternel, Seigneur du ciel et de la terre, et obéissant à votre divine volonté, je charge sur mes épaules le bois du sacrifice de mon Humanité passible et très innocente et je l’accepte volontiers pour le salut éternel des hommes. Recevez-le, mon Père, pour satisfaire votre justice, afin qu’ils ne soient plus serviteurs, mais enfants et héritiers avec moi de votre royaume. »

(1362) La Vierge sacrée pénétrait tous ces mystères avec une plus haute intelligence que les esprits célestes, et ce qu’elle ne pouvait pas voir, elle le connaissait par une révélation particulière qui le lui découvrait avec beaucoup de clarté, et lui manifestait en même temps les opérations intérieures de son très saint Fils. Cette divine lumière lui fit connaître le prix infini que la sainte croix reçut dans le moment où l’humanité divinisée de notre Rédempteur Jésus-Christ la toucha. Aussitôt elle l’adora et rendit à ce bois sacré le culte qui lui était dû. Les anges qui accompagnaient le Sauveur et sa très sainte Mère, en firent de même. Elle imita son adorable Fils dans les complaisances avec lesquelles il reçut la croix, et lui adressa un discours très sublime comme coadjutrice du Rédempteur. Elle pria aussi le Père éternel, imitant en tout avec beaucoup de perfection son divin Exemplaire, sans omettre la moindre chose. Dans le temps où le héraut publiait la sentence par les rues, elle composa un cantique de louanges pour exalter l’innocence de son très saint Fils, les opposant aux crimes que la sentence contenait, et comme si elle eût voulut paraphraser les paroles à la gloire du même Seigneur. Les saints anges faisaient leur partie dans ce cantique et le répétaient avec elle, à mesure que les habitants de Jérusalem blasphémaient contre leur divin Rédempteur.

(1363) Et comme toute la foi, toute l’intelligence et tout l’amour des créatures étaient en cette triste occasion dans le cœur magnanime de la Mère de la sagesse, elle seule faisait un digne jugement des peines et de la mort que Dieu souffrait pour les hommes. Et sans rien omettre de tout ce qu’il fallait faire extérieurement, elle repassait et pénétrait par sa sagesse tous les mystères de la Rédemption du genre humain, et comme ils s’accomplissaient par le moyen de l’ignorance des mêmes hommes qui étaient rachetés. Elle pénétrait dignement, qui était Celui qui souffrait, ce qu’il souffrait, de qui et pour qui il le souffrait, la dignité de la personne de notre Rédempteur Jésus-Christ en laquelle se trouvaient les deux natures divine et humaine, leurs perfections et les attributs de ces mêmes natures, elle seule en eut, après le même Seigneur la plus haute connaissance. De sorte qu’elle fut l’unique entre toutes les pures créatures qui fit une juste estime de la Passion et de la mort de son très saint Fils. Elle ne fut pas seulement témoin oculaire de ce qu’il souffrit, mais elle le connut par sa propre expérience. et c’est ce qui doit faire naître une sainte émulation, non seulement aux hommes mais aux anges même, qui ne participèrent point à cette grâce. Ils connurent pourtant que notre auguste Reine sentait en son âme et en son corps les mêmes douleurs de son adorable Fils, et combien cela fut agréable à la très sainte Trinité, et ils suppléèrent aux peines qu’ils ne purent point souffrir par la gloire qu’ils lui rendirent. Il arrivait quelquefois, que la Mère affligée ne voyant point son très saint Fils, sentant en son corps et en son âme les nouvelles peines qu’on lui faisait souffrir, cela lui arrivant sans qu’elle en eût aucune connaissance par révélation. Et en étant comme alarmée elle disait : Hélas ! quel martyre souffre maintenant mon très doux Seigneur ! Ensuite, elle connaissait fort clairement par la lumière d’en haut tout ce qui se passait à l’égard de sa divine Majesté. Mais elle fut si admirable dans le désir qu’elle avait d’imiter son divin Exemplaire, qu’elle refusa durant tout le temps de la Passion toute sorte de soulagement naturel non seulement à son corps, car elle ne reposa, ne mangea et ne dormit point pendant ce temps-là, mais encore à son âme suspendant toutes les considérations qui pouvaient adoucir ses amertumes ; ne voulant recevoir aucun soulagement, excepté lorsque le Très-Haut le lui communiquait par quelque divine influence, et alors elle le recevait avec humilité et avec gratitude pour recouvrer de nouvelles forces, afin de s’attacher avec plus de ferveur à l’objet douloureux et à la cause de ses peines. Elle faisait aussi réflexion sur la malice des Juifs et des valets, sur le grand besoin qu’avait le genre humain d’être secouru dans son état déplorable et sur l’ingratitude des mortels, pour qui son très saint Fils souffrait, elle connut tout cela en un degré très éminent et très parfait et son ressentiment fut au-dessus de toutes nos expressions.

(1364) Le Tout-Puissant opéra dans cette occasion un autre mystère admirable par l’organe de la très pure Marie contre Lucifer et ses ministres infernaux, et la chose arriva de cette manière. Comme les démons étaient fort attentifs à tout ce qui se passait dans la Passion du Seigneur, qui les tenait encore dans le doute ; en même temps que sa Majesté reçut la croix sur ses épaules, ils sentirent un nouvel accablement dont ils ignoraient la cause, et cette nouveauté leur causa une grande surprise et une nouvelle tristesse remplie de confusion et de rage. Le prince des ténèbres sentant ces nouveaux et invincibles effets, craignit que la Passion et la mort de Jésus-Christ ne le menaçassent de quelque révolution étrange dans son empire. Et ne voulant point en attendre l’événement en la présence de notre Sauveur, il résolut de s’enfuir et de se retirer avec tous les autres esprits rebelles dans les enfers. Lorsqu’il voulut exécuter cette résolution, notre auguste Princesse s’y opposa, parce que le Très-Haut l’éclaira dans ce même temps et la revêtit de son pouvoir, lui faisant connaître ce qu’elle devait faire dans cette rencontre. Or la Vierge sacrée s’adressant à Lucifer et à ses légions, les arrêta avec un empire de reine, et leur commanda d’attendre la fin de la Passion, et de se trouver présents à tout ce qui s’y passerait jusqu’au mont du Calvaire. Les démons ne purent résister au commandement de notre puissante Reine, parce qu’ils connurent et sentirent la vertu divine qui opérait en elle. Et étant forcés d’obéir à ses ordres, ils ‘accompagnèrent, comme liés et enchaînés, notre Seigneur Jésus-Christ jusqu’au Calvaire, où ayant été élevé sur le trône de la croix il devait triompher d’eux, selon qu’il était déterminé par la Sagesse éternelle comme nous le verrons dans la suite. Je ne saurais exprimer la tristesse et l’abattement que Lucifer et ses démons reçurent dans cette occasion. Mais, selon notre manière de concevoir, ils allaient au Calvaire comme des criminels que l’on traîne au supplice, auxquels la vue d’une punition inévitable cause des défaillances mortelles. Et cette peine fut dans le démon proportionnée à sa nature et à sa malice, et répondit au mal qu’il avait fait dans le monde en y introduisant la mort et le péché pour le remède duquel Dieu même allait mourir.

(1365) Notre Sauveur continua le chemin du mont du Calvaire portant sur ses épaules, comme dit Isaïe, sa principauté qui était la sainte croix où il devait régner et assujettir le monde, mériter l’exaltation de son nom au-dessus de tout nom et racheter tout le genre humain de la puissance tyrannique que le démon s’était acquise sur les enfants d’Adam (Isaïe, Ix, v. 4). Le même Isaïe appelle cette tyrannie le joug qui les accablait, etle sceptre de celui qui les opprimait et qui exigeait avec violence le tribut du premier péché. Et pour vaincre ce tyran et détruire le sceptre de sa domination et le joug de notre servitude, notre Seigneur Jésus-Christ mit la croix au même endroit où l’on porte le joug de la servitude et le sceptre de la puissance royale, voulant marquer par là, qu’il en dépouillait le démon et la transportait sur ses épaules, afin que dès le moment qu’il prit sa croix, les captifs enfants d’Adam le reconnussent pour leur légitime Seigneur et leur véritable Roi qu’ils devaient suivre par le chemin de la croix, par laquelle il a réduit tous les mortels sous son empire, et les a rendus ses sujets et ses esclaves achetés par le prix de son précieux sang et de sa propre vie.

(1366) Mais hélas ! que notre ingratitude est extrême ! Que les Juifs et les ministres de la Passion aient ignoré ce mystère caché aux princes du monde, qu’ils n’aient point osé toucher la croix du Seigneur parce qu’ils la croyaient ignominieuse, ce fut par leur faute, et cette faute a été fort grande. Mais elle n’a pas été si grande que la nôtre, puisque ce mystère nous est maintenant découvert, et pour confirmer cette vérité, nous condamnons l’aveuglement de ceux qui ont persécuté notre divin Maître. Or, si nous les blâmons de ce qu’ils ont ignoré ce qu’ils devaient connaître quel péché sera le nôtre, si dans le temps que nous reconnaissons Jésus-Christ pour notre Rédempteur, nous le persécutons et le crucifions comme eux en l’offensant ? O mon très doux Jésus ! lumière de mon entendement, gloire de mon âme, ne vous fiez point à ma tiédeur ni à ma faiblesse qui me fait avoir de la répugnance à vous suivre avec ma croix dans le chemin que vous m’avez frayé par la vôtre. Ayez la bonté, mon adorable Maître de me tirer après vous, et je courrai à l’odeur de votre très ardent amour, de votre patience ineffable, de votre très sublime humilité et à la participation de vos opprobres, de vos affronts et de vos douleurs. Faites que ce soit là mon héritage dans cette vie passagère et languissante, que ce soit ma gloire et mon repos, car je ne veux point avoir d’autre vie, d’autre consolation, d’autre tranquillité ni d’autre joie que votre croix et vos ignominies. Comme les Juifs et tout ce peuple aveuglé prenaient des précautions pour ne point toucher la croix du très innocent condamné, s’imaginant que son glorieux déshonneur était capable de les souiller, cet adorable Seigneur se faisait un chemin par où il devait passer, quoique toutes les rues fussent remplies de peuple, de confusion et de cris, parmi lesquels se distinguait celui du héraut qui publiait la sentence.

(1367) Les valets de justice s’étant dépouillés de toute sorte d’humanité, menaient notre Sauveur avec une cruauté incroyable. Les uns le tiraient avec les cordes par devant pour le faire avancer, les autres par derrière pour augmenter ses peines et l’arrêter tout court. Ces violences et la pesanteur de la croix le faisaient tomber souvent. Les pierres qu’il rencontrait en tombant lui firent de nouvelles plaies, spécialement aux genoux, où elles se renouvelaient toutes les fois qu’il tombait. La croix lui fit encore une grande ouverture à l’épaule. Et par les secousses qu’il recevait, quelquefois la croix heurtait contre sa tête, et d’autre fois sa tête contre la croix, et alors les épines de la couronne s’enfonçaient davantage. Ces valets d’iniquité ajoutaient à ces douleurs des blasphèmes exécrables, de très vilains crachats et de la poussière qu’ils jetaient contre son vénérable visage avec tant d’excès, qu’ils lui en obscurcissaient les yeux dont il les regardait avec miséricorde, se déclarant par là encore plus indignes d’un regard si favorable. Ils se hâtaient si fort de faire (mourir notre très doux Maître, qu’ils ne lui laissaient prendre aucun repos, et comme il avait été accablé de tant de mauvais traitements en si peu de temps, son corps sacré en était si affaibli et dans une si grande défaillance, qu’il semblait qu’il allât expirer de douleur.

(1368) La Mère affligée partit de la maison de Pilate pour suivre son très saint Fils ; elle était accompagnée de saint Jean, de Madeleine et des autres Marie. Et comme le grand nombre de personnes parmi lesquelles elle se trouvait, l’empêchait de s’approcher du Sauveur, elle pria le Père éternel de lui faire la grâce de pouvoir se trouver au pied de la croix en la compagnie de son Fils, de façon qu’elle pût le voir par le sens corporel, et ayant connu la volonté du Très-Haut, elle ordonna aux saints anges de lui en faciliter le moyen. Les anges obéirent avec un grand respect et conduisirent leur Reine par une rue qui abrégeait le chemin ; par cette diligence, ils rencontrèrent notre divin Maître, et alors le Fils et la Mère se regardèrent et renouvelèrent réciproquement leur douleur; mais ils ne se parlèrent point vocalement, aussi la cruauté des valets ne leur aurait pas donné le temps de le faire. La très prudente Mère adora son très saint Fils qu’elle voyait accablé sous la pesanteur de la croix, et le pria intérieurement, que puisqu’elle ne pouvait point le soulager de ce lourd fardeau et qu’il ne voulait pas non plus permettre que les anges lé fissent, comme son amour maternel le lui faisait souhaiter, il se servît du moins de son pouvoir divin pour inspirer à ces valets de lui donner quelqu’un qui le soulageât. Notre Rédempteur Jésus-Christ exauça cette prière, et c’est par elle qu’un certain homme de Cyrène, ville de Lybie, appelé Simon, fut destiné à porter la croix avec le Seigneur (Matt., xxvII, v. 32). Les pharisiens et les valets furent portés à lui donner ce soulagement les uns par quelque compassion naturelle, les autres par la crainte qu’ils avaient que Jésus-Christ ne mourût avant d’être crucifié, car il était dans une extrême défaillance comme je l’ai marqué.

(1369) Il n’est pas possible d’exprimer la douleur que sentit la Vierge Mère dans le temps qu’elle allait au mont du Calvaire, ayant devant ses yeux son propre Fils qu’elle seule pouvait dignement connaître et aimer. Son affliction était si grande qu’elle en serait morte sans doute si le pouvoir divin ne l’eût fortifiée. Dans cette extrême douleur elle dit intérieurement au Seigneur : « Mon Fils et mon Dieu éternel, lumière de mes yeux et vie de mon âme, recevez, Seigneur, le sacrifice douloureux de l’impuissance que j’ai de vous soulager de la croix et la porter moi-même qui suis fille d’Adam, pour y mourir pour votre amour, comme vous y voulez mourir par la très ardente charité que vous avez pour le genre humain. O charitable médiateur entre le péché et la justice ! Combien fortement sollicitez-vous la miséricorde parmi tant d’injures ? O charité sans borne et sans mesure, qui, pour avoir lieu d’agir avec plus d’ardeur et d’efficacité, permettez tous ces opprobres ! O amour infini, si je pouvais ménager tous les cœurs et toutes les volontés des hommes, afin de les empêcher de répondre si mal à ce que vous souffrez pour tous ! Oh qui pourrait parler au cœur des mortels et leur faire connaître ce qu’ils vous doivent, puisque le rachat de leur captivité et le remède de leur mort éternelle vous ont coûté si cher ». Notre auguste Princesse ajoutait à ces paroles plusieurs autres choses très prudentes et très sublimes que je ne saurais déclarer.

(1370) Il y avait parmi cette multitude de peuple plusieurs autres femmes qui suivaient aussi le Seigneur, comme dit l’évangéliste saint Luc (ch. xxv, v. 27) et qui s’affligeaient et pleuraient de le voir si maltraité. Mais le très doux Jésus se retournant vers elles, leur dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez point sur moi, mais pleurez sur vous-mèmes et sur vos enfants. Car les jours viendront auxquels on dira : Bienheureuses sont les femmes stériles, et bienheureuses celles qui n’ont point conçu, et bienheureuses les mamelles qui n’ont point allaité. Alors les hommes diront aux montagnes : Tombez sur nous, et aux collines cachez-nous. Parce que s’ils épargnent si peu le bois vert, que sera-ce du bois sec » ? Par ces paroles mystérieuses, le Seigneur approuvait en quelque sorte les larmes que ces femmes versaient pour sa très sainte Passion, et témoignait agréer la douleur qu’elles en avaient : mais par ces mêmes paroles, il nous enseignait aussi la fin que doivent avoir nos larmes, c’est-à-dire qu’elles soient répandues avec une entière perfection. Ces pieuses disciples de notre divin Maître ignoraient cela, car elles pleuraient ses affronts et ses douleurs et non pas la cause pour laquelle il les souffrait, c’est pourquoi il fallait qu’elles fussent instruites. Et c’est ce que le Seigneur fit ; car l’avis qu’il leur donna, fut, comme s’il leur eût dit : Pleurez sur vos péchés et sur ceux de vos enfants en me voyant souffrir, et non pas sur les miens ; car je n’en ai aucun, et il n’est pas même possible qu’on en trouve en moi : c’est pour vos propres péchés que je souffre. Et si la compassion que vous avez de moi, est bonne et juste, j’aime mieux néanmoins que vous pleuriez vos péchés, que les peines que j’endure pour eux, en pleurant de la sorte, vous recevrez, et sur vous et sur vos enfants le prix de mon sang et de la Rédemption, que ce peuple aveuglé ignore. Car le temps viendra, qui sera celui du jugement universel, où celles qui n’auront point d’enfants se croiront bienheureuses et où les réprouvés souhaiteront que les montagnes tombent sur eux, pour ne me point voir en colère. Parce que si leurs péchés, dont je me suis chargé, ont produit ces effets en moi qui suis innocent, quelles peines ne causeront-ils pas en eux, qui seront si secs et sans aucun fruit de grâce et de mérite ?

(1371) Ces heureusesfemmes furent éclairées en récompense de leurs larmes et de leur compassion, pour pénétrer cette doctrine. La prière de la très pure Marie ayant été exaucée, les pontifes, les pharisiens et les valets résolurent de chercher quelque homme, qui soulageât notre Rédempteur Jésus-Christ en portant avec lui la croix jusqu’au Calvaire. Ils rencontrèrent dans cette occasion Simon Cyrénéen (appelé de la sorte, parce qu’il était naturel de Cyrenne ville de Libye) qui venait à Jérusalem, lequel était le père de deux disciples du Seigneur, appelés Alexandre et Rufus (Matt., xv, v. 21). Les Juifs contraignirent cet homme de porter la croix de Jésus, une partie du chemin, sans vouloir eux-mêmes la toucher : parce qu’ils croyaient que ce leur serait un déshonneur, la regardant comme l’instrument du supplice d’un homme, qu’ils prenaient pour un insigne malfaiteur. Par ces précautions affectées, ils prétendaient que tout le peuple le reconnût pour tel. Simon prit la croix et suivit le Sauveur, qui allait entre deux voleurs, afin que tous le crussent un scélérat. La Mère affligée allait fort proche de son très saint Fils, comme elle l’avait demandé au Père éternel et elle était si conforme à sa divine volonté dans toutes les peines de la Passion de son adorable Fils, auxquelles elle participait d’une manière si sensible, qu’elle n’eut pas la moindre pensée de rétracter le consentement qu’elle avait donné touchant ses souffrances et sa mort : Découvrant par là l’ardente charité qu’elle avait pour les hommes et la grandeur de sa grâce et de sa sainteté, qui la rendaient si glorieusement victorieuse de la nature.

Instruction que notre auguste Reine m’a donnée.

(1372) Ma fille, je veux que le fruit de l’obéissance par laquelle vous écrivez l’histoire de ma vie, serve pour former en vous une véritable disciple de mon très saint Fils et de moi. C’est pour cela en premier lieu, que vous recevez la divine lumière qui vous fait découvrir de si hauts mystères, et les avis que je vous donne si souvent de bannir de votre cœur toute sorte d’affection pour les créatures. Par ce dénuement vous surmonterez les obstacles que le démon vous fait naître, qui vous sont très dangereux à cause de votre naturel facile. Je le connais, et c’est pour cette raison que je vous conduis comme une mère et une maîtresse qui vous corrige et qui vous instruit. Vous connaissez par la lumière du Très-Haut les mystères de sa Passion et de sa mort, et l’unique et véritable chemin de la vie qui est celui de la croix ; cette même lumière vous fait voir aussi que tous ceux qui sont appelés ne sont pas élus pour la croix. Il s’en trouve plusieurs qui disent qu’ils souhaitent de suivre Jésus-Christ, et le nombre de ceux qui se disposent véritablement à l’imiter est fort petit, parce qu’aussitôt que la croix des souffrances se fait sentir, on la rejette et on lui tourne le dos. La douleur que causent les afflictions est fort sensible à la nature humaine par rapport à la chair ; le fruit de l’esprit est plus caché, et il en est très peu qui se conduisent par la lumière. C’est pour cela qu’il se trouve un si grand nombre parmi les mortels, qui, oubliant la vérité écoutent les inclinations de leur chair, et veulent toujours la caresser sans lui refuser jamais rien. Ils aiment les honneurs, rejettent les affronts, souhaitent les richesses et ont en horreur la pauvreté ; ils courent après les plaisirs et évitent les mortifications. Tous ceux-là sont ennemis de la croix de Jésus-Christ et la rebutent parce qu’ils la croient ignominieuse comme ceux qui le crucifièrent.

(1373) Il y a encore une autre erreur qui se glisse dans le monde ; c’est que plusieurs personnes s’imaginent suivre Jésus-Christ, leur divin Maître, sans souffrir et sans agir, elles se contentent de n’être pas fort hardies à commettre les péchés, et font consister toute la perfection en une espèce de prudence ou d’amonr tiède ; de sorte qu’elles ne refusent rien à leur volonté et ne pratiquent point les vertus qui sont pénibles à la chair. Les mortels sortiraient de cette erreur, s’ils considéraient que mon très saint Fils n’a pas été seulement Rédempteur mais aussi maître, et qu’il n’a pas seulement laissé aux hommes le trésor de ses mérites comme un secours pour les tirer de la damnation, mais encore comme un remède nécessaire pour les guérir de la maladie que le péché avait causé à la nature. Personne n’a été aussi sage que mon Fils et mon Seigneur, personne n’a pu connaître la qualité de l’amour autant que lui, qui est la sagesse et la charité même ; il pouvait faire aussi tout ce qu’il voulait. Et quoiqu’il l’ait pu il n’a pas choisi néanmoins une vie douce et selon la chair, mais pénible et pleine de douleurs ; parce qu’il n’aurait pas, en quelque façon, accompli son ministère en rachetant les hommes, s’il ne leur eût point enseigné à vaincre le démon et la chair, et à se vaincre eux-mêmes, et s’il ne leur eût fait connaître en même temps que cette glorieuse victoire est remportée par la croix, par les peines, la pénitence, la mortification et l’abaissement qui sont les témoignages de l’amour et les marques des prédestinés.

(1374) Pour vous, ma fille, qui connaissez le prix de la sainte croix et l’honneur que les ignominies et les tribulations ont reçu par elle, vous devez embrasser votre croix et la porter avec joie pour suivre mon Fils et votre Maître. Il faut que pendant la vie passagère vous trouviez votre gloire dans les persécutions, les mépris, les maladies, les outrages, la pauvreté, les humiliations et dans tout ce qui est pénible et contraire à la chair mortelle. Et afin que vous m’imitiez et me soyez agréable en tous vos exercices, je ne veux pas que vous cherchiez du soulagement dans les choses terrestres. Vous ne devez faire nulle réflexion sur ce que vous souffrez, ni le découvrir à personne avec intention de diminuer vos peines. Gardez-vous bien surtout d’exagérer les persécutions et les déplaisirs que vous recevrez des créatures, ni de dire que vous souffrez beaucoup, ni de vous comparer avec les autres personnes affligées. Je ne vous dis pas que ce soit un péché de recevoir quelque soulagement honnête et modéré, et de se plaindre quelquefois avec patience, mais si vous receviez, ma fille, ce soulagement ce serait en vous une infidélité à l’égard de votre Époux et de votre Seigneur : parce qu’il vous a plus favorisée vous seule que plusieurs nations ensemble ; et si le retour que vous lui devez en souffrant et en l’aimant, n’était dans sa dernière perfection, vous ne sauriez vous disculper. Cet adorable Seigneur veut que vous l’imitiez avec tant d’exactitude que vous ne devez pas même accorder un soupir à la nature faible, si vous n’avez point d’autre fin plus haute que de recevoir de la consolation. Et si l’amour vous y oblige, alors vous vous laisserez conduire à sa douce force pour vous soulager en aimant ; mais ensuite il faut que l’amour de la croix congédie ce soulagement, comme vous connaissez que je faisais avec une humble soumission. Tenez pour règle générale que toutes les consolations humaines sont des imperfections et des dangers. Vous ne devez recevoir que celles que le Très-Haut vous enverra par lui-mème ou par ses saints anges. Et vous prendrez avec prudence de ces divines douceurs ce qui vous fortifiera pour souffrir davantage et vous éloigner des consolations sensibles qui pourraient passer à la partie animale.

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