Ordre des Frères Mineurs Capucins
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Chap. 18 - On amène Jésus-Christ à Pilate

Source: Croset 1898

On assemble le conseil dès le vendredi matin pour condamner notre Sauveur Jésus-Christ. On l’amène à Pilate. Sa très sainte Mère, saint Jean l’évangéliste, et les trois Marie vont au-devant de lui.

1297 Les évangélistes disent (Matt., xxvII, v. 1; Marc, xxv, v. 1; Luc, XXII, v. 66; Joan., XVIII, v. 28) que le vendredi matin les anciens du peuple s’assemblèrent avec les princes des prêtres et les scribes, qui étaient les plus respectés du peuple parce qu’ils étaient savants en la loi; et ce fut pour terminer d’un commun accord la cause de Jésus-Christ, et le condamner à la mort, comme tous ceux du conseil le souhaitaient, se servant de quelque apparence de justice pour satisfaire le peuple.

Ce conseil se tint dans la maison de Caiphe où le Sauveur était en prison. Et pour l’examiner de nouveau ils ordonnèrent de le faire monter dans la salle du conseil. Les ministres de la justice descendirent aussitôt dans la prison pour exécuter cet ordre, et comme ils le détachaient de ce rocher, dont nous avons parlé, ils lui dirent en se moquant de lui: Sus sus Jésus de Nazareth, il faut marcher; tes miracles n’ont pas été assez forts pour te défendre. Ne pourrais-tu pas maintenant te servir de tes artifices pour échapper et user de cette puissance par laquelle tu disais que tu rebâtirais le temple en trois jours? Mais tu seras à cette heure châtié de tes vanités, et on abattra tes hautes pensées. Viens, viens, car les princes des prêtres et les scribes t’attendent pour mettre fin à tes tromperies et te livrer à Pilale, afin qu’il te fasse souffrir le dernier supplice.

On détacha le Seigneur de ce rocher, et on le mena lié comme il l’était devant le conseil, sans qu’il ouvrit seulement la bouche. Mais il était si défiguré par les coups et par les crachats qu’il n’avait pu essuyer ayant les mains liées, qu’il causa de l’horreur à ceux du conseil, sans qu’ils en eussent la moindre compassion; si grande était la rage qu’ils avaient conçue contre notre adorable Maître !

1298 Ils lui demandèrent encore s’il était le Christ c’est-à-dire l’Oint (Luc, xxII, v. 66 et suiv.). Cette seconde demande fut faite avec une intention malicieuse comme les autres; ce ne fut pas pour ouïr la vérité ni pour la recevoir, mais pour la calomnier et s’en servir pour l’accuser. Mais le Seigneur qui voulait mourir pour la vérité, ne voulut point la nier, ni l’avouer de telle sorte qu’ils la méprisassent et qu’ils prissent quelque prétexte pour la décrier car la seule apparence même de la calomnie ne pouvait point compatir avec son innocence, ni avec sa sagesse.

C’est pourquoi il tempéra sa réponse de façon que si les pharisiens avaient quelque piété, ils auraient aussi occasion de rechercher avec un zèle véritable le mystère que ses paroles renfermaient; et que s’ils n’en avaient point, on sut que la faute était dans leur mauvaise intention, et non dans la réponse du Sauveur. Il leur répondit donc : « Si je vous dis que je le suis, vous ne me croirez point; et si je vous interroge sur quelque chose, vous ne me répondrez pas, ni vous ne me laisserez aller. Néanmoins, je vous dis que désormais le Fils de l’homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu ».

Alors les pontifes lui dirent : « Vous êtes donc le Fils de Dieu ? » Le Seigneur leur répondit : « Vous le dites, je le suis ». Et ce fut comme s’il leur eût dit : La conséquence que vous avez tirée, que je suis le Fils de Dieu est fort juste; parce que mes oeuvres, ma doctrine, vos écritures et tout ce que vous faites et que vous ferez à mon égard, rendent témoignage que je suis le Christ promis par la loi.

1299 Mais comme ces gens remplis de malice n’étaient point disposés d’ouvrir leur coeur à la vérité divine, quoiqu’ils l’affirmassent par de très bonnes conséquences, et qu’ils pussent y ajouter foi; ils ne l’entendirent et ne la crurent pourtant pas, au contraire, ils la regardèrent comme un blasphème et la jugèrent digne de mort. Et voyant que le Seigneur confirmait ce qu’il avait déjà avoué, ils dirent : « Qu’avons-nous plus besoin de témoins, puisque nous l’avons entendu nous-mêmes de sa bouche ? » Ensuite, ils déterminèrent d’un commun accord, qu’étant digne de mort il serait mené devant Ponce-Pilate, qui gouvernait la province de Judée au nom de l’empereur romain, comme seigneur de la Palestine pour ce qui regarde le temporel. Et selon les lois de l’empire romain, les causes de sang ou de mort étaient renvoyées au Sénat, ou à l’empereur, ou à ses ministres qui gouvernaient les provinces éloignées; car ils ne s’en remettaient point aux gens du pays; voulant que les affaires d’une aussi grande importance que l’étaient celles-là, fussent considérées avec plus d’attention, et qu’aucun criminel ne fut condamné sans être entendu, et saus lui avoir donné le temps de se défendre; car, dans cet ordre de justice les Romains se conformaient plus qu’aucune autre nation à la loi naturelle de la raison.

Pour ce qui regarde notre Seigneur Jésus-Christ, les pontifes et les scribes étaient bien aises qu’il mourût par la sentence de Pilate, qui était idolâtre, pour se mettre à couvert des reproches du peuple, en disant que le gouverneur romain l’avait condamné, et qu’il ne l’aurait pas fait s’il n’eût été digne de mort. Le péché et l’hypocrisie leur causaient un si grand aveuglement qu’ils s’imaginaient pouvoir cacher leur malice, comme s’ils n’eussent pas été les auteurs de toute cette méchanceté, et plus sacrilèges que le juge idolâtre; mais le Seigneur fit que leur perfidie fût découverte à tous par les instances mêmes qu’ils firent auprès de Pilate, comme nous le verrons bientôt.

1300 Les ministres amenèrent notre Sauveur Jésus-Christ de la maison de Caïphe à celle de Pilate, pour le lui présenter lié avec des chaînes et des cordes comme digne de mort. La ville de Jérusalem était remplie de gens de toute la Palestine, qui y étaient venus pour y célébrer la grande pâque de l’Agneau et des azymes; et par le bruit qui s’était déjà répandu parmi le peuple et par la connaissance qu’on avait du Maître de la vie, il s’assembla une multitude innombrable de gens pour le voir passer ainsi lié; cette populace étant toute divisée par des opinions différentes. Les uns criaient : Qu’il meure, qu’il meure ce méchant homme, cet imposteur qui trompait le monde. Les autres disaient sa doctrine et ses oeuvres ne paraissaient pas être si mauvaises; il faisait du bien à tous.

Ceux qui avaient cru en lui s’affligeaient et pleuraient; de sorte que toute la ville était dans le trouble. Lucifer et ses démons étaient fort attentifs à tout ce qui se passait ; et cet ennemi se voyant secrètement vaincu par la douceur et la patience invincible de notre Seigneur Jésus-Christ, enrageait toujours plus, s’imaginant que ces vertus dont il était si fort tourmenté, ne pouvaient partir d’un homme mortel. Et d’ailleurs il présumait que les mauvais traitements qu’il recevait, les mépris si extrêmes que l’on faisait de sa personne et les défaillances qu’il ressentait en son corps, ne pourraient point compatir avec un homme qui serait véritablement Dieu : parce que s’il l’était, concluait le dragon, la vertu et la nature divine communiquée à la nature humaine lui procurait de grands effets qui l’empêcheraient de tomber dans ces sortes de défaillances, et ne permettrait point les outrages qu’on lui faisait. C’était la pensée de Lucifer, qui ignorait le mystère caché en notre Seigneur Jésus-Christ, par lequel les effets qui auraient pu rejaillir de la divinité sur la nature humaine, étaient suspendus, afin que les souffrances arrivassent à leur plus haut degré, comme nous l’avons dit.

Dans ces doutes, le superbe dragon redoublait sa fureur, et faisait de nouveaux efforts pour persécuter le Seigneur, afin de découvrir quel était celui qui souffrait tant de peines avec une si grande sérénité.

1301 Le soleil était déjà levé quand cela arrivait; et la Mère affligée, qui considérait toute chose, résolut de sortir de sa retraite pour suivre son très saint Fils à la maison de Pilate, et l’accompagner jusqu’à la Croix. Lorsqu’elle sortait du cénacle, saint Jean arriva pour l’informer de tout ce qui se passait; ignorant alors la connaissance qu’elle en avait. Après le renoncement de saint Pierre, le disciple bien-aimé se tint à l’écart, et suivait le Sauveur de plus loin qu’auparavant. Il reconnut aussi la faute qu’il avait commise de s’être enfui; et étant arrivé en présence de notre auguste Reine, il la salua avec beaucoup de larmes comme Mère de Dieu, et lui demanda pardon de sa faute; ensuite il lui dit tout ce qui se passait dans son coeur, tout ce qu’il avait fait et tout ce qu’il avait vu en suivant son divin Maître.

Il crut qu’il fallait prévenir la Vierge sacrée, afin qu’elle ne fût pas si affligée en voyant son très saint Fils si maltraité, et voulant dès lors lui représenter le lamentable état où il était, il lui dit : « O Madame, combien notre divin Maître est affligé et offensé ! Il n’est pas possible de le regarder sans en avoir le coeur brisé : les coups et les crachats ont si fort défiguré son très beau visage, que vous aurez peine à le reconnaître quand vous le verrez ».

La très prudente Mère écouta ce récit avec autant d’attention que si elle eût ignoré les mauvais traitements que l’on faisait à notre Rédempteur; mais elle fondait en larmes et était remplie d’amertume et de douleur. Les saintes femmes, qui se trouvaient avec elle, entendirent aussi ce triste récit; elles en eurent le coeur percé de la même douleur, et furent saisies d’un grand étonnement. La Reine du ciel ordonna à saint Jean de l’accompagner avec ces dévotes femmes, et s’adressant à elles, leur dit : « Hâtons-nous, afin que je puisse voir le Fils du Père éternel qui a pris chair humaine dans mon sein; vous verrez, mes très chères amies, ce que l’amour de mon Seigneur et mon Dieu pour les hommes, a bien pu opérer en lui, et ce qu’il lui coûte de les racheter du péché et de la mort, et de leur ouvrir les portes du ciel ».

1302 Cette Reine alla par les rues de Jérusalem, accompagnée de saint Jean et des saintes femmes dont nous avons parlé, quoique toutes ne la suivissent pas toujours, excepté les trois Marie et quelques autres fort pieuses, et les anges de sa garde, qui ne la quittèrent jamais; elle dit à ces esprits célestes de faire en sorte que la foule du peuple ne l’empêchât d’aller joindre son très saint Fils. Ils lui obéirent et lui en facilitèrent l’abord.

Elle entendait par les rues où elle passait, les divers discours que l’on faisait sur un cas si lamentable, le monde s’entretenant de ce qui était arrivé à Jésus de Nazareth. Les personnes qui étaient le plus portées à la compassion en étaient affligées, et c’était le plus petit nombre; quelques-uns s’informaient pourquoi on le voulait crucifier; d’autres parlaient du lieu où il allait, et se formalisaient de ce qu’on le menait lié comme un scélérat; les uns avouaient qu’il était fort maltraité; les autres demandaient quel crime il avait commis pour être puni avec tant de cruauté; enfin plusieurs disaient avec étonnement ou avec peu de foi: Est-ce là la fin de ses miracles? Il fallait sans doute que cet homme fût un imposteur, puisqu’il n’a pas su se défendre ni se délivrer.

On ne voyait dans les rues et dans les places que des gens assemblés qui s’entretenaient de ce triste spectacle. Mais dans une si grande confusion, notre invincible Reine (quoique pleine d’amertume) était confiante et tranquille, priant pour les incrédules et pour les malfaiteurs, comme si elle n’eût point eu d’autre soin que de travailler à obtenir le pardon de leurs péchés; et elle les aimait avec autant de charité que si elle en eût reçut de grands bienfaits. Elle ne s’irrita point contre ces ministres sacrilèges de la passion et de la mort de son très aimé Fils, et ne témoigna pas même la moindre indignation. Au contraire, elle les regardait avec charité et leur faisait du bien.

1303 Quelques-uns de ceux qui la rencontraient par les rues, la connaissaient pour la Mère de Jésus de Nazareth, et mus d’une compassion naturelle lui disaient : O Mère affligée! quel malheur est le vôtre? Combien grande doit être votre affliction! D’autres lui disaient avec impiété : Que vous avez mal élevé votre Fils! Pourquoi permettiez-vous qu’il introduisît tant de nouveautés parmi le peuple? Vous auriez bien mieux fait de les avoir empêchées; mais cet exemple servira pour les autres mères, qui apprendront par votre infortune à instruire leurs enfants.

La très innocente colombe entendait ces discours et plusieurs autres encore plus injurieux ; elle leur donnait à tous la place qui était convenable dans son ardente charité; recevant la compassion que les gens sensibles lui témoignaient, et supportant la dureté impie des incrédules, et sans s’étonner du procédé des ingrats et des ignorants, elle priait le Très-Haut pour tous, selon le besoin qu’ils en avaient.

1304 Les saints anges conduisirent à travers cette multitude de peuple la Reine de l’univers à une rue où elle rencontra son très saint Fils; aussitôt elle se prosterna devant lui, et l’adora avec la plus haute et la plus fervente vénération que toutes les créatures ensemble lui aient jamais rendue. Ensuite elle se leva, et le Fils et la Mère se regardèrent avec une tendresse inconcevable; ils se parlèrent intérieurement, leurs coeurs étant pénétrés d’une douleur qu’on ne saurait exprimer.

Après cela la très prudente Dame se retira un peu en arrière et suivit notre Seigneur Jésus-Christ, parlant avec lui et avec le Père éternel dans le secret de son coeur; mais c’était d’une manière si sublime qu’une langue corruptible n’est par capable d’en donner une juste idée. Cette Mère affligée disait : « Dieu suprême, mon Fils, je connais l’ardente charité que vous avez pour les hommes, et qui vous oblige de cacher le pouvoir infini de votre divinité dans la chair passible que vous avez reçue dans mon sein. Je glorifie votre sagesse incompréhensible par laquelle vous recevez des outrages si sanglants, et vous vous livrez, vous qui êtes le Seigneur de tout ce qui est créé, pour le rachat de l’homme qui n’est que cendre et poussière. Vous êtes digne d’être loué et béni de toutes les créatures et elles doivent exalter votre bonté immense : mais moi qui suis votre Mère, comment pourrai-je ne point vouloir que ces opprobres s’exécutent sur moi seule, et non point sur votre divine personne qui est la beauté que les anges contemplent, et la splendeur de la gloire du Père éternel? Comment me résoudrai-je de ne point entreprendre de vous donner quelque soulagement dans de si grandes peines? Comment puis-je vous voir si affligé et si défiguré, et souffrir qu’on ne manque de compassion et de pitié qu’envers le Créateur et le Rédempteur dans une passion si amère? Mais s’il n’est pas possible que je vous donne, comme Mère, aucun soulagement, recevez, comme Fils et comme Dieu saint et véritable, ma douleur et le sacrifice que je vous offre, de l’impuissance où je me trouve de diminuer vos peines ».

1305 Notre auguste Princesse conserva intérieurement durant toute sa vie l’image de son très saint Fils ainsi maltraité, défiguré, enchaîné et lié; et elle fut aussi vivement pénétrée de ces tristes souvenirs que si elle les eût toujours vus des yeux corporels.

Notre Seigneur Jésus-Christ arriva à la maison de Pilate, suivi de plusieurs personnes du conseil des Juifs et d’une grande multitude. Ayant été présenté au juge (Joan., XVIII, v. 28 et suiv.) les Juifs demeurerent hors du prétoire, feignant d’être fort religieux, et de ne vouloir point tomber dans aucune irrégularité, afin de pouvoir célébrer la pâque des pains sans levain, pour laquelle ils devaient être fort purifiés des fautes commises contre la loi.

Mais ces hypocrites ne faisaient point de cas de l’horrible sacrilège qui souillait leurs âmes en les rendant homicides de l’innocent. Pilate, quoique Gentil, eut quelque égard pour les cérémonies des Juifs; et voyant qu’ils faisaient difficulté d’entrer dans le prétoire, il en sortit. Et selon la coutume des Romains, il leur dit : « De quoi accusez-vous cet homme? » Les Juifs lui répondirent : « Si ce n’était pas un scélérat, nous ne vous l’eussions pas livré de la sorte ». Et ce fut comme s’ils lui eussent dit : Nous avons examiné ses crimes, et nous sommes si attachés à la justice et à nos obligations, que s’il n’était pas un très méchant homme, nous ne procéderions pas contre lui.

Pilate leur répliqua : quels crimes a-t-il donc commis? Il a été convaincu, répondirent les Juifs, d’avoir troublé tout le pays, de s’être voulu établir notre roi, d’avoir défendu de payer les tributs à César, de s’être fait le Fils de Dieu, et d’avoir semé une nouvelle doctrine dans toute la Judée, commençant à la publier depuis la Galilée jusqu’ici (Luc, xxiii, v. 2 et suiv.). Alors Pilate leur dit : Prenez-le vous-mêmes, et jugez-le selon votre loi, car je ne trouve point de cause en lui pour le juger. Mais les Juifs lui dirent: Il ne nous est pas permis de condamner personne à mort, et encore moins de le faire mourir.

1306 La très pure Marie, saint Jean et les femmes qui la suivaient, se trouvaient présents à toutes ces procédures; car les saints anges conduisirent leur Reine à un endroit d’où elle pouvait voir et entendre tout ce qui se faisait et tout ce qui se disait. Et étant couverte de son voile elle pleurait avec des larmes de sang par la force de la douleur qui brisait son coeur affligé. Elle était dans les actes de vertus un miroir très clair, dans lequel l’âme de son Fils se représentait; mais ses douleurs et ses peines étaient représentées en celles qu’elle ressentait en son corps. Elle pria le Père éternel de ne point permettre qu’elle perdît de vue son très saint Fils jusqu’à sa mort autant qu’il serait naturellement possible. Cela lui fut accordé pendant que le Seigneur ne fut point en prison.

La très prudente Dame, considérant qu’il était convenable que l’on connût l’innocence de notre Sauveur parmi les fausses accusations des Juifs, et qu’on le condamnait injustement à la mort, pria avec beaucoup de ferveur, que le juge ne fût point trompé, et qu’il reçût une véritable connaissance qui lui fît voir que JésusChrist lui avait été livré par l’envie des prêtres et des scribes. En vertu de cette prière Pilate fut clairement informé de la vérité, et découvrit que Jésus était innocent, et que c’était par envie qu’on le lui avait livré, comme le dit saint Matthieu (Matt., XXVII, v. 18); et c’est pour cela que le Seigneur se communiqua davantage à lui, quoique Pilate ne coopérât point à la vérité qu’il connut: c’est pourquoi elle ne fut pas utile pour lui, mais elle servit pour nous, et pour faire voir la perfidie des pontifes et des pharisiens.

1307 Les Juifs souhaitaient dans leur fureur que Pilate leur fût favorable, et qu’il prononçât aussitôt la sentence de mort contre le Sauveur; et comme ils connurent qu’il éludait leurs poursuites, et qu’il y faisait de si grandes considérations, ils crièrent d’une manière brutale, qu’il voulait s’emparer du royaume de Judée (Luc, xxIII, v. 5 et suiv.); que c’était pour cela qu’il trompait et excitait le peuple, et qu’il disait être le Christ, c’est-à-dire, roi sacré. Ils firent cette malicieuse plainte à Pilate, afin qu’il montrât plus d’énergie par le zèle du royaume temporel, qu’il devait conserver sous la domination de l’empire romain. Et comme parmi les Juifs les rois étaient sacrés, c’est pour cette raison qu’ils dirent que Jésus s’appelait Christ, pour faire entendre qu’il était oint comme roi; prétendant par là, ces perfides, que Pilate étant païen, dont les rois n’étaient point sacrés, entendît que Jésus ayant avoué qu’il était le Christ, c’était la même chose que de s’appeler roi des Juifs, sacré pour les dominer.

Alors Pilate lui demanda (Marc, xv, v. 4) : Que répondez-vous à toutes ces accusations? Mais Jésus ne dit mot devant les accusateurs, de sorte que Pilate était tout étonné d’un silence et d’une patience si extraordinaire. Et souhaitant d’examiner davantage s’il était véritablement roi, il s’éloigna du tumulte des Juifs et entra avec le Seigneur dans le prétoire. Et là il lui dit en secret : Êtes-vous le roi des Juifs (Joan., XVIII, v. 33 et suiv.)? Pilate n’avait pas lieu de croire que Jésus-Christ fût effectivement roi, puisqu’il connaissait assez qu’il ne régnait pas ; ainsi il ne l’interrogeait que pour savoir s’il était roi par quelque juste prétention et s’il avait droit sur le royaume.

Notre Sauveur répondit : « Dites-vous cela de vous-même, ou si d’autres vous l’ont dit de moi? » Pilate répondit: Je ne suis pas juif; votre nation et vos princes des prêtres vous ont livré entre mes mains. Qu’avez-vous fait? Jésus répondit : « Mon royaume n’est pas de ce monde; si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs combattraient pour empêcher que je ne fusse livré aux Juifs; mais mon royaume n’est pas d’ici ». Pilate ajouta quelque créance à cette réponse du Seigneur; c’est pourquoi il lui dit : Vous êtes donc roi, puisque vous avez un royaume? Jésus répondit : « Oui je le suis. Je suis né et suis venu au monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque aime la vérité, écoute ma voix ». Pilate admira cette réponse du Seigneur, et lui dit : Qu’est-ce que la vérité? Et lui ayant fait cette question, il sortit de nouveau du prétoire sans en attendre la réponse, et dit aux Juifs : Je ne trouve aucun crime en cet homme pour le condamner. Mais c’est la coutume qu’à la fête de Pâque je vous délivre un prisonnier : Voulez-vous donc que je vous délivre Jésus ou Barabbas? Barabbas était un voleur et un homicide qu’on tenait alors en prison, pour avoir tué une personne dans une querelle. Alors tous réitérèrent leurs cris, en disant : Nous vous demandons de nous délivrer Barabbas, et de crucifier Jésus. Et ils persévérèrent dans cette demande, jusqu’à ce qu’elle leur fût accordée.

1308 Pilate fut fort troublé des réponses de notre Sauveur Jésus-Christ et de l’obstination des Juifs : parce que d’un côté il ne voulait point rompre avec eux; mais il croyait cela bien difficile, les voyant si obstinés à demander la mort du Seigneur, s’il ne leur accordait ce qu’ils souhaitaient avec tant d’ardeur : d’ailleurs il connaissait clairement qu’ils le persécutaient par une envie mortelle qu’ils avaient contre lui, et que tout ce qu’ils disaient, pour prouver qu’il soulevait le peuple, était faux et ridicule.

Pour ce qu’ils lui imputaient qu’il prétendait se faire roi, il avait été satisfait par la réponse du même Seigneur, et en le voyant si pauvre, si humble et si patient dans les calomnies qu’on lui dressait. Et par la lumière qu’il reçut d’en-haut, il connut la véritable innocence du Sauveur, mais ce fut là toute la connaissance qu’il en eut, ignorant toujours le mystère et la dignité de la Personne divine. Et quoique la force des paroles de Jésus-Christ portât Pilate à en faire une haute estime, et à croire qu’il renfermait en lui quelque mystère ; ce qui lui faisait chercher les moyens de le délivrer, et c’est pour cela qu’il le renvoya devant Hérode, comme je le dirai dans le chapitre suivant; néanmoins toutes ces lumières ne furent point efficaces, parce que son péché l’en rendit indigne; car n’ayant en vue que des fins temporelles, il agissait. plutôt par elles que pour la justice, et se conduisait plus par l’inspiration de Lucifer, comme je l’ai marqué, que par la claire connaissance qu’il avait de la vérité. De sorte qu’il se gouverna en méchant juge; parce qu’il jugea la cause de l’innocent selon la passion de ceux qui étaient ses ennemis déclarés et qui l’accusaient faussement. Mais son péché fut encore plus grand, en ce qu’il agit contre sa propre confiance, condamnant à mort cet innocent, et ordonnant qu’il fût premièrement fouetté avec tant de cruauté, comme nous le verrons en son lieu, saus aucun autre sujet que de contenter les Juifs.

1309 Mais quoique Pilate fût, pour ces raisons et pour plusieurs autres, un juge très inique condamnant Jésus-Christ, qu’il croyait un simple mortel, quoiqu’il en eût connu l’innocence, néanmoins, son péché ne fut pas si grand que celui des prêtres et des pharisiens. Non seulement parce que ceux-ci agissaient par envie et pour d’autres fins cruelles et exécrables, mais aussi parce que ce fut pour eux un crime énorme de ne reconnaître pas Jésus-Christ pour le Messie et le Rédempteur véritable, et pour Dieu et Homme tout ensemble, promis dans la loi que ces mêmes Hébreux croyaient et professaient.

Et pour leur condamnation le Seigneur permit, que lorsqu’ils accusaient notre Sauveur, ils l’appelassent Christ et Roi sacré, confessant par leurs paroles la vérité qu’ils niaient. Mais ces incrédules devaient ajouter foi à ce qu’ils disaient, pour entendre que notre Seigneur Jésus-Christ était véritablement oint, non par l’onction figurative des rois et des prêtres anciens, mais par cette onction que dit David (Psal., XLIV, v. 8), différente de toutes les autres, comme l’était l’onction de la Divinité unie à la nature humaine, qui l’éleva à être Christ, Dieu et Homme véritable; son âme très sainte étant ointe par les dons de grâce et de gloire qui répondent à l’union hypostatique.

Or, l’accusation des Juifs signifiait cette vérité mystérieuse, quoiqu’ils ne la crussent point perfidement et qu’ils l’interprétassent faussement par leur envie mortelle, accusant le Seigneur de vouloir se déclarer roi sans qu’il le fût; le contraire étant néanmoins véritable; et s’il ne voulait point en donner des marques, ni user de la puissance de roi temporel, quoiqu’il fût Maître absolu de tout l’univers; c’était parce qu’il n’était pas venu au monde pour commander aux hommes, mais pour obéir.

L’aveuglement des Juifs était encore plus grand, en ce qu’ils attendaient le Messie comme roi temporel, et pourtant ils blâmaient Jésus-Christ de ce qu’il l’était; il semble qu’ils ne voulaient pour Messie qu’un roi qui fût si puissant que personne n’eût pu lui résister; mais alors même ils ne l’auraient reçu que par force, et non pas avec cette pieuse volonté que le Seigneur demande.

1310 Notre auguste Reine pénétrait profondément ces mystères cachés et les repassait dans son coeur, exerçant des actes héroïques de toutes les vertus. Et comme les autres enfants d’Adam conçus dans le péché et souillés de plusieurs crimes, quand les tribulations et les douleurs s’augmentent à leur égard, ils en sont aussi plus troublés et plus abattus, et toutes leurs passions se trouvent dans un plus grand désordre : il arrivait le contraire chez la très pure Marie, chez laquelle ni le péché, ni ses effets, ni la nature n’agissaient point, mais l’excellente grâce qu’elle avait.

Car les eaux de tant d’affliction n’éteignaient point le feu de son coeur enflammé de l’amour divin; mais elles la fortifiaient toujours plus, et portaient son âme très sainte à prier avec plus de ferveur pour les pécheurs, dans le temps qu’ils en avaient un plus grand besoin; parce que la malice des hommes était alors arrivée à son plus haut degré.

O Reine des vertus, Maîtresse des créatures, et très douce Mère de miséricorde! Que mon insensibilité est grande, puisque mon coeur ne se brise point de douleur dans la connaissance que j’ai de vos peines et de celles de votre très aimé Fils unique! Si dans cette triste connaissance je me trouve encore en vie, il est bien juste que je m’humilie, du moins jusqu’à la mort. C’est manquer aux lois de l’amour et de la pitié que de voir souffrir l’innocent, et lui demander en même temps des grâces, sans prendre part à ses peines. Or, avec quel front pourrons-nous dire, mon auguste Princesse, que nous avons de l’amour pour notre divin Rédempteur et pour vous, qui êtes sa Mère, si lorsque vous buvez tous deux le calice très amer de tant d’afflictions, nous nous rassasions du calice des plaisirs funestes de Babylone? Oh! si je comprenais bien cette vérité! Oh! si j’en étais pénétrée autant que je le souhaite, considérant ce que mon adorable Seigneur et sa Mère affligée ont souffert ! Comment croirai-je que l’on me fasse injustice, lorsqu’on me persécutera? Comment oserai-je me plaindre, quand je me verrai méprisée et rejetée du monde ?

O grande Reine des martyrs et des âmes fortes, Maîtresse des imitateurs de votre Fils, si je suis votre fille et votre disciple, comme vous avez eu la bonté de me l’assurer, et que mon Seigneur a bien voulu me le mériter, ne refusez point les désirs que j’ai de suivre vos traces dans le chemin de la Croix. Et si je suis tombée de faiblesse, procurez-moi, ma très charitable Mère, les forces dont j’ai besoin pour me relever et un coeur contrit et humilié pour pleurer mon ingratitude. Priez le Très-Haut qu’il me favorise de son saint amour, qui est un don si précieux, que votre seule intercession me le peut obtenir, et mon seul Rédempteur me le mériter.

Instruction que j’ai reçue de notre grande Reine

1311 Ma fille, les mortels sont fort négligents à considérer les oeuvres de mon très saint Fils, et à pénétrer avec une humble vénération les mystères qu’il y a renfermés pour le bien et le salut de tous. C’est pour cela que plusieurs les ignorent et qu’il s’en trouve d’autres qui s’étonnent que le Sauveur ait permis d’être traité comme un criminel devant les juges iniques, et d’en être examiné comme un malfaiteur; qu’on le regardât comme un insensé; et qu’il n’ait pas défendu son innocence par sa Divine sagesse, et découvert la malice des Juifs et de ses autres adversaires, puisqu’il eût pu le faire avec tant de facilité.

Mais dans un tel sujet d’admiration l’on doit révérer les très hauts jugements du Seigneur, qui a bien voulu que la rédemption du genre humain se fît en cette manière; opérant avec équité et bonté, et comme il était convenable à tous ses attributs, sans refuser à aucun de ses ennemis les grâces suffisantes pour faire le bien, s’ils voulaient y coopérer, usant des droits de leur liberté pour le pratiquer, car il voulait que tous fussent sauvés s’ils n’y mettaient aucun obstacle de leur côté; ainsi personne n’a sujet de se plaindre de la miséricorde divine, car elle a été surabondante.

1312 Mais outre cela, je veux, ma très chère fille, que vous découvriez l’instruction que ces oeuvres renferment : car mon très saint Fils n’en fit aucune, sinon comme Rédempteur et Maître des hommes. Dans la patience et le silence qu’il pratiqua dans sa passion, permettant qu’on le fît passer pour insensé et pour inique, il a laissé aux hommes une doctrine aussi importante qu’elle est peu considérée et encore moins pratiquée des enfants d’Adam.

Et comme ils ne prennent point garde au poison que Lucifer leur a communiqué par le péché, et qu’il répand continuellement dans le monde; c’est pour cela qu’ils ne cherchent point dans le médecin le remède qui pourrait guérir leurs maladies, mais le Seigneur par son immense charité a laissé, et dans ses paroles et dans ses oeuvres le secours qui leur est nécessaire. Que les hommes donc conçus dans le péché, considèrent maintenant quelles profondes racines a jeté dans leurs coeurs la semence de l’orgueil, de la propre estime, de l’avarice, de l’hypocrisie, du mensonge et de tous les autres vices que le dragon y a semée. Ils font tous leurs efforts pour s’avancer dans les honneurs et dans la vanité; ils veulent être distingués. Ceux, qui se croient savants, veulent être applaudis, et font ostentation de la science. Les ignorants veulent paraître savants. Les riches se glorifient de leurs richesses et veulent être honorés. Les pauvres veulent devenir riches, et souhaitent d’en avoir le renom. Les puissants veulent qu’on les craigne, qu’on les respecte et qu’on leur obéisse.

Enfin, ils se précipitent tous de plus en plus dans cette erreur, et tâchent de paraître ce qu’ils ne sont point dans la vertu, et ne sont pas ce qu’ils veulent paraître. Ils excusent leurs vices, et souhaitent de faire éclater quelques avantages qu’ils peuvent avoir; ils s’attribuent les biens qu’ils reçoivent, comme s’ils ne les avaieut pas reçus; ils les regardent comme s’ils ne leur venaient pas d’une main bienfaisante; et au lieu d’en témoigner leur gratitude, ils s’en servent contre Dieu de qui ils les ont reçus, et contre eux-mêmes. Ils sont généralement enflés du venin de l’ancien serpent, et plus ses progrès sont funestes, plus ils en sont altérés. Le chemin de la Croix est désert, parce que fort peu de personnes y marchent et suivent Jésus-Christ par l’humilité et la sincérité chrétienne.

1313 La patience et le silence qu’eut mon Fils dans sa passion, permettant qu’on le traitât comme un insensé malfaiteur, brisèrent la tête du dragon infernal et abattirent son orgueil. Et étant le Maître de cette philosophie et le Médecin qui venait guérir la maladie que le péché avait causée et détruire le même péché, il ne voulut point se justifier ni contredire ceux qui l’accusaient, laissant aux hommes un grand exemple pour leur conduite et pour faire ce qui est contre l’intention de Lucifer.

De sorte, qu’en sa Majesté fut mise en pratique cette doctrine du sage (Eccles., x, v. 1), qui dit qu’une folie légère et en son temps est plus précieuse que la sagesse et que la gloire car il est plus avantageux à la fragilité humaine que l’homme soit pour quelque temps regardé comme ignorant et méchant, que de paraître par ostentation sage et vertueux. Il s’en trouve une infinité qui sont dans cette dangereuse erreur, et qui voulant passer pour savants, se répandent en paroles comme des insensés; mais ils perdent par là ce qu’ils prétendent, parce qu’ils découvrent leur ignorance. Tous ces vices naissent de l’orgueil uni à la nature corrompue.

Mais pour vous, ma fille, conservez dans votre coeur la doctrine de mon très saint Fils et la mienne, fuyez la vanité, souffrez dans le silence, et ne vous mettez pas en peine si le monde vous fait passer pour ignorante, puisqu’il ne sait pas où se trouve la véritable sagesse.

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