Ordre des Frères Mineurs Capucins
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Chap. 16 - On amène Jésus-Christ chez Caïphe le grand prêtre

Source: Croset 1898

On amène notre Sauveur Jésus-Christ chez Caïphe le grand prêtre, où il est accusé et interrogé s’il est le Fils de Dieu. Saint Pierre le renonce deux autres fois. Ce que fit l’auguste Marie dans cette rencontre, et quelques autres mystères.

Après que notre Sauveur eut reçu chez Anne les outrages et le soufflet dont nous avons parlé, ce pontife qui était beau-père de Caïphe, l’envoya lié au même Caïphe, qui exerçait l’office de grand prêtre cette année-là, et chez qui les scribes et les anciens s’étaient assemblés pour examiner avec lui la cause du très innocent Agneau (Joan., XVIII, v. 24; Matt., XXVI, v. 57).

Les démons étaient étonnés et remplis d’une très grande fureur à cause de la patience et de la douceur invincible que le Seigneur des vertus témoignait dans les injures qu’on lui faisait, et comme ils ne pénétraient point les opérations intérieures de sa très sainte humanité, qu’ils ne trouvaient aucun déréglement dans ses actions extérieures par lesquelles ils tâchent de découvrir le coeur des autres hommes et que le très doux Seigneur ne se plaignait point et ne soupirait pas même, ne voulant pas donner cette petite consolation à son humanité, tout cela leur causait de nouveaux tourments, et ils regardaient cette magnanimité si extraordinaire avec admiration et comme une chose qu’ils n’avaient jamais vue entre les hommes qui sont d’une condition passible et faible.

Dans cette fureur le dragon irritait tous les princes des prêtres, tous les scribes et tous les autres ministres d’iniquité, afin qu’ils maltraitassent le Seigneur par des outrages abominables de sorte qu’ils étaient préparés à tout ce que cet ennemi leur inspirait, et l’exerçaient sur la personne sacrée du Sauveur autant que la divine volonté le permettait.

1269 Toute cette troupe de ministres infernaux et d’hommes sans pitié partirent de la maison d’Anne, et emmenèrent notre Sauveur chez Caïphe, continuant de le traiter avec une cruauté implacable et avec toutes les ignominies imaginables. Et y étant entré avec un tumulte scandaleux, le grand prêtre et toute l’assemblée le reçurent avec de grandes moqueries, le voyant soumis à leur juridiction, dont ils ne croyaient pas qu’il pût se défendre.

O secret de la très haute sagesse du ciel! O ignorance diabolique et aveuglement des mortels! Quelle distance si immense vois-je entre vous et les oeuvres du Très-Haut! Quand le Roi de gloire qui est puissant dans les combats, triomphe des vices, de la mort et du péché par les vertus de patience, d’humilité et de charité, comme Seigneur de toutes les vertus; alors le monde croit l’avoir vaincu par son orgueil! Combien différentes étaient les pensées de notre Seigneur Jésus-Christ, de celles de tous ces ouvriers d’iniquité!

L’auteur de la vie offrait à son Père éternel ce triomphe que sa douceur et son humilité remportaient sur le péché il priait pour les prêtres, pour les scribes et pour tous les autres persécuteurs; et il représentait à son Père sa patience, ses propres douleurs et l’ignorance de ceux qui l’outrageaient. Dans ce même temps sa très pure Mère faisait la même prière pour ses ennemis et ceux de son très saint Fils, imitant en tout ce que sa Majesté faisait; parce qu’elle le découvrait clairement, comme je l’ai dit plusieurs fois. De sorte qu’il se trouvait entre le Fils et la Mère une très douce correspondance qui était fort agréable aux yeux du Père éternel.

1270 Le pontife Caïphe était sur son tribunal enflammé d’une envie et d’une fureur mortelle contre le Maître de la vie. Lucifer et tous les démons, qui vinrent de la maison d’Anne, l’assistaient. Les scribes et les pharisiens étaient acharnés comme des loups ravissants contre le très doux Agneau; et ils se réjouissaient de sa prise, comme l’envieux se réjouit quand il voit son compétiteur abattu. Ils cherchèrent d’un commun accord des témoins, qui, subornés par des présents et des promesses, disent quelque faux témoignage contre notre Sauveur Jésus-Christ (Matt., XXVI, V. 59; Marc, XIV, v. 56). Ceux qui avaient été prévenus se présentèrent; mais ils ne s’accordaient point dans leurs dépositions, et ces mêmes témoignages convenaient encore moins à celui qui était par nature l’innocence et la sainteté même.

Pour n’être par confus, ils firent venir deux autres faux témoins, qui déposèrent contre Jésus, assurant de lui avoir ouï dire qu’il pouvait détruire ce temple de Dieu bâti par la main des hommes, et dans trois jours en rebâtir un autre, qui ne serait point fait par la main des hommes. Mais ce faux témoignage n’était pas non plus convaincant; quoiqu’ils prétendissent de s’en servir contre notre Sauveur pour prouver qu’il usurpait le pouvoir divin, et qu’il se l’appropriait à lui-même. Mais quand cela aurait été ainsi, il était la vérité infaillible, par conséquent il n’aurait rien dit de faux et qu’il n’eût bien pu exécuter; puisqu’il était véritablement Dieu. Mais le témoignage était faux; parce que le Seigneur n’avait point dit ces paroles comme les témoins les rapportaient, disant que sa Majesté les avait appliquées au temple matériel de Dieu. Car ce que le Sauveur avait dit dans une certaine occasion, où il chassa du temple ceux qui y vendaient et qui y achetaient, lesquels lui demandant par quel pouvoir il les chassait, il répondit : « Détruisez ce temple »; ce fut comme s’il leur eût dit de détruire le temple de son corps, et qu’il ressusciterait le troisième jour, comme il fit pour preuve de son pouvoir divin.

1271 Notre Sauveur ne répondit pas un seul mot à toutes les calomnies que l’on inventait contre son innocence. Caïphe voyant le silence et la patience du Seigneur, se leva de son siège, et il lui dit : « Ne répondez-vous rien aux accusations dont ces gens vous chargent? » Mais il se tut, et ne fit non plus aucune réponse, parce que Caïphe et les autres du conseil non seulement n’étaient pas disposés à ajouter foi à ce qu’il aurait dit, mais leur double intention était qu’il répondît quelque parole dont ils pussent se servir pour le calomnier, afin de couvrir leur tyrannique dessein, et d’empêcher que le peuple ne connût qu’ils le condamnaient injustement à mort. Cet humble silence de Jésus-Christ, qui devait adoucir le pontife, l’irrita encore davantage, parce qu’il ne trouvait aucun prétexte pour exercer sa malice.

Lucifer qui se servait de Caïphe aussi bien que des autres, était fort attentif à tout ce que le Rédempteur du monde faisait. Quoique l’intention de ce dragon fût bien différente de celle du pontife; car il prétendait seulement altérer la patience du Seigneur, ou lui donner de dire quelque parole par laquelle il pût connaître s’il était véritablement Dieu.

1272 Dans cette intention, Lucifer inspira à Caïphe de faire avec beaucoup d’aigreur et avec un ton impérieux cette nouvelle demande à notre Seigneur Jésus-Christ : « Je vous conjure par le Dieu vivant, de nous déclarer si vous êtes le Christ, Fils de Dieu? » (Matl., xxvi, v. 63). Cette demande du côté du pontife fut pleine de témérité et de folie, car dans le doute qu’il avait si Jésus-Christ était Dieu, c’était un crime énorme et une très grande témérité de le tenir lié comme un criminel en sa présence; cet examen devait être fait d’une autre manière et selon la raison et selon la justice. Mais Jésus-Christ entendant que le grand prêtre le conjurait au nom du Dieu vivant, adora ce saint Nom, quoique prononcé par une bouche si sacrilège. Et en vertu de cette révérence, il dit : « Vous le dites et je le suis. Toutefois, je vous annonce que ci-après vous verrez venir dans les nuées du ciel le Fils de l’homme, qui n’est autre que moi, assis à la droite de Dieu » (ib., v. 64 et suiv.).

Les démons et les hommes se troublèrent diversement par cette réponse. Car Lucifer et ses ministres n’y purent point résister et sentirent une force en elle qui les précipita dans l’abîme, recevant un très grand tourment de cette vérité qui les opprimait. Et ils n’auraient point osé retourner en présence du Seigneur, si sa très haute Providence n’eût disposé que Lucifer entrât en de nouveaux doutes si Jésus-Christ avait dit la vérité ou s’il n’avait pas fait cette réponse pour se délivrer des Juifs. Dans ce doute, ils firent de nouveaux efforts et allèrent une autre fois au combat, car le dernier triomphe que le Sauveur devait remporter sur eux et sur la mort était réservé pour la croix, comme nous le verrons dans la suite selon la prophétie d’Habacuc.

1273 Mais Caïphe irrité de la réponse du Seigneur, qui devait le détromper entièrement, se leva une autre fois et déchirant ses habits pour marque du zèle qu’il prétendait avoir de l’honneur de Dieu, dit à haute voix : « Il a blasphémé; qu’avons-nous plus besoin de témoins? N’avez vous pas entendu son blasphème? Qu’en pensez-vous? » Cette folle et abominable déclaration de Caïphe fut véritablement un blasphème, car il dénia à Jésus-Christ la qualité de Fils de Dieu, qui par nature lui était due, et lui attribua le péché, qui par nature répugnait à sa divine personne. Telle fut la folie de ce méchant prètre qui était obligé par sa charge de connaître la vérité et de l’enseigner; de sorte qu’il devint lui-même un blasphémateur exécrable quand il dit que Celui qui était la sainteté mème, blasphémait.

Et, ayant prophétisé peu de temps auparavant, par l’inspiration du Saint-Esprit en vertu de sa dignité, qu’il était expédient qu’un seul homme mourût pour toute la nation, il ne mérita pas à cause de ses péchés d’entendre la vérité qu’il prophétisait. Mais comme l’exemple et le sentiment des princes et des prélats sont si puissants pour mouvoir le peuple qui est ordinairement porté à flatter les grands; tous ceux qui se trouvaient dans cet inique conseil s’irritèrent contre notre adorable Sauveur, et répondant à Caïphe, dirent d’une voix élevée : « Il mérite la mort; qu’il meure, qu’il meure ». Et excités par le démon, ils se jetèrent en même temps sur notre très doux Maître, et déchargèrent sur lui leur fureur diabolique; alors ils lui donnèrent des soufflets et lui tirèrent les cheveux; les uns lui crachaient au visage, et les autres lui donnaient des coups de pieds et le frappaient de la main sur le cou; c’était une espèce d’affront très sanglant que les Juifs faisaient aux personnes qu’ils méprisaient le plus.

1274 On n’a jamais vu d’outrages aussi cruels que ceux que les Juifs firent dans cette occasion à notre Rédempteur. Saint Luc et saint Marc disent (c. xxII, v. 64; c. xiv, v. 65) que ces gens impitoyables lui couvrirent le visage, et lui ayant bandé les yeux, ils lui donnaient des soufflets et lui disaient : « Devine maintenant, devine, puisque tu es prophète, dis-nous qui t’a frappé? »

La cause pour laquelle ils lui couvrirent le visage fut mystérieuse; et c’est parce que de la joie que notre Sauveur avait de souffrir ces opprobres (comme je le dirai bientôt), il rejaillissait sur son vénérable visage une beauté et une splendeur extraordinaire, qui causèrent à tous ces ouvriers d’iniquité une grande admiration et une confusion fort pénible; et pour cacher leur étonnement, ils attribuèrent cette splendeur à l’art magique, et ils prirent de là occasion de couvrir le visage du Seigneur avec un linge fort sale, comme indignes de le regarder; ils eurent encore une autre raison de lui voiler le visage, et ce fut parce que cette divine lumière qui en sortait les mettait dans une grande inquiétude et affaiblissait leur fureur diabolique.

La très pure Marie ressentait tous les sanglants affronts que l’on faisait au Sauveur; elle sentait aussi la douleur des coups et des blessures dans les mêmes endroits et dans le même temps que sa divine Majesté les recevait. Il n’y avait que cette différence qu’en notre Seigneur Jésus-Christ les douleurs étaient causées par les coups que les Juifs lui donnaient et en sa très sainte Mère la main du Très-Haut les lui causait, selon la prière qu’elle lui en avait faite. Et il est sûr qu’elle serait naturellement morte par les douleurs et les peines intérieures qu’elle souffrait, si la vertu divine ne l’eût fortifiée en même temps, afin qu’elle continuât de souffrir avec son bien-aimé Fils et son Seigneur.

1275 Il n’est pas possible d’exprimer ni même de concevoir les oeuvres intérieures que fit le Sauveur dans cette occasion si cruelle pour lui. Il n’y eut que la très pure Marie qui les connût entièrement, pour les imiter dans la plus haute perfection. Mais comme notre divin Maître apprenait dans l’école de l’expérience de ses propres douleurs les souffrances de ceux qui devaient l’imiter et suivre sa doctrine, il résolut de les sanctifier et de les bénir toujours plus dans cette même occasion, en laquelle il leur enseignait par son exemple le chemin étroit de la perfection.

Au milieu de ces opprobres et en ceux qu’il souffrit depuis, il renouvela en faveur de ses élus les béatitudes qu’il leur avait promises auparavant. Il regarda les pauvres d’esprit qui devaient l’imiter en cette vertu, et il dit :

« Vous serez bienheureux dans votre dénûment des choses terrestres, car je rendrai par ma passion et par ma mort le royaume du ciel comme une possession assurée et comme une récompense certaine de la pauvreté volontaire.

Bienheureux seront ceux qui souffriront avec douceur et qui supporteront les adversités avec patience; car, outre le droit qu’ils acquièrent sur ma félicité pour m’avoir imité, ils posséderont la terre des volontés et des coeurs des hommes par leur paisible conversation et par la douceur de la vertu.

Bienheureux seront ceux qui sèmeront dans les larmes et qui pleureront, car ils recevront par ce moyen le pain d’intelligence et de vie, et ils cueilleront après le fruit de la joie éternelle ».

1276 « Bienheureux seront aussi ceux qui auront faim et soif de la justice et de la vérité; car je leur mérite une nourriture qui les rassasiera et qui surpassera tous leurs désirs, soit dans la grâce, soit dans la récompense de la gloire.

Bénis seront les miséricordieux qui auront compassion de ceux qui les offensent et les persécutent, comme je le fais, en leur pardonnant et en leur offrant mon amitié et ma grâce, s’ils veulent la recevoir; et je leur promets au nom de mon Père une miséricorde abondante.

Bénis soient ceux qui ont le coeur pur, qui m’imitent et qui crucifient leur chair pour conserver la pureté de l’esprit. Je leur promets la vision de la paix et d’arriver à celle de ma divinité par ma ressemblance et par ma participation.

Bénis soient les pacifiques qui, sans chercher leurs intérêts, ne résistent point aux maux et les reçoivent avec un coeur sincère et tranquille sans aucun esprit de vengeance; ils seront appelés mes enfants, parce qu’ils ont suivi l’inclination de leur Père céleste; je les conçois et les écris dans ma mémoire et dans mon entendement pour les adopter comme miens.

Que ceux qui souffriront persécution pour la justice soient bienheureux et héritiers de mon royaume céleste, parce qu’ils ont souffert avec moi, je veux qu’ils soient éternellement avec moi, où je suis moi-même (Joan., XIII, v. 26).

Que les pauvres se réjouissent, que les petits et les méprisés du monde reconnaissent leur bonheur; et vous qui souffrez avec humilité et avec patience, supportez les adversités avec joie intérieure, puisque vous me suivez par les voies de la vérité. Renoncez à la vanité, méprisez les ostentations et les applaudissements de la superbe et trompeuse Babylone; passez par le feu et par les eaux de la tribulation jusqu’à ce que vous soyez arrivés à moi qui suis la lumière, la vérité et votre guide qui vous conduit au repos et au bonheur éternel ».

1277 Notre Sauveur Jésus-Christ s’occupait de ces oeuvres si divines et priait pour les pécheurs, lorsque cette assemblée de personnes remplies de malice l’environnaient, comme des chiens enragés (ainsi que dit David) (Ps. xxi, v. 17), et le chargeaient d’affronts, d’opprobres, de coups et de blasphèmes. La Vierge sacrée l’imitait en ce qu’il faisait et souffrait, faisant la même prière pour les ennemis; et dans les bénédictions que son très saint Fils donna aux justes et aux prédestinés, elle se constitua leur mère, leur avocate et leur protectrice; et elle fit au nom de tous des cantiques de louange et de reconnaissance de ce que le Seigneur laissait aux pauvres et aux méprisés du monde de si grandes marques de ses complaisances.

Pour cette raison et pour plusieurs autres qu’elle connut dans les oeuvres intérieures de Jésus-Christ, elle fit avec une ferveur inconcevable un nouveau choix des souffrances, des mépris, des tribulations et des peines pour tout le reste de la passion et de sa très sainte vie.

1278 Saint Pierre avait suivi notre Sauveur de la maison d’Anne jusqu’à celle de Caïphe, mais il se tint toujours un peu à l’écart, parce que la crainte qu’il avait des Juifs le rendait timide; néanmoins l’amour qu’il portait à son Maître diminuait quelque peu de cette crainte. Il ne fut pas difficile à cet apôtre de s’introduire dans la maison de Caiphe à cause de la multitude des personnes qui entraient et qui sortaient, étant aussi favorisé de l’obscurité de la nuit. Il fut pourtant aperçu entre les portes de la cour par une autre servante, qui était portière, comme l’était celle de la maison d’Anne; et s’étant approchée des soldats qui se chauffaient dans cette même cour, elle leur dit : « Cet homme-là est un de ceux qui étaient avec Jésus de Nazareth »; et une personne de la compagnie lui dit : « Vous êtes véritablement galiléen et un de ses disciples ». Saint Pierre le nia et jura qu’il n’en était point; après cela il s’éloigna du feu et de la compagnie (Matt., XIV, v. 67 et 71; c. xxvi, v. 72; Luc, xxii, v. 58-59; Marc, xiv, v. 68).

Mais, quoiqu’il sortît de la cour, il ne put pas se résoudre de s’en écarter jusqu’à ce qu’il eût vu la fin de tout ce qui arriverait au Sauveur; car il était retenu par l’amour qu’il lui portait et par la compassion naturelle qu’il avait des peines dans lesquelles il le laissait. Après qu’il eut tourné et épié environ une heure dans cette même maison de Caïphe, un parent de Malchus, à qui l’Apôtre avait coupé l’oreille, le reconnut et lui dit : « Vous êtes galiléen et disciple de Jésus; je vous ai vu avec lui dans le jardin » (Joan., XVIII, v. 26).

Alors saint Pierre se voyant découvert entra dans une plus grande crainte; et il se prit à détester et à jurer qu’il ne connaissait point cet homme. Aussitôt le coq chanta pour la seconde fois; de sorte que la parole que son divin Maître lui avait dite fut ponctuellement accomplie : qu’avant que le coq chantât deux fois il le renoncerait cette nuit trois fois (Marc, XIV, v. 71 et 30).

1279 Lucifer employa toutes ses ruses et toutes ses forces pour faire tomber saint Pierre. Il excita premièrement les servantes des pontifes comme plus volages, et ensuite les soldats, afin que les uns et les autres affligeassent l’Apôtre par leurs demandes; et il troubla le saint par de violentes tentations: parce qu’il le vit dans le danger et spécialement quand il commença à chanceler. Par ces cruelles attaques. le premier renoncement de saint Pierre fut simple, le second avec serment, et il ajouta au troisième des imprécations contre lui-même.

C’est ainsi que l’on tombe d’un moindre péché dans un plus grand, quand on prête l’oreille aux tentations de l’ennemi. Mais saint Pierre ayant entendu le chant du coq, se souvint de la prédiction de son divin Maître, parce que sa Majesté le regarda avec sa douce miséricorde. La Reine de l’univers lui procura ce bonheur par ses charitables prières car elle connut, du cénacle où elle était, les renoncements que l’Apôtre avait faits, et tout ce qui avait contribué à sa chute, prévenu de la crainte naturelle et beaucoup plus de la tentation de Lucifer. Dans cette connaissance elle se prosterna aussitôt, et pria avec beaucoup de larmes pour saint Pierre, représentant la fragilité du saint et les mérites de son adorable Fils.

Le même Seigneur excita le coeur de Pierre et le reprit avec clémence par le moyen de la lumière qu’il lui envoya, afin qu’il reconnût sa faute et qu’il la pleurât. L’Apôtre sortit immédiatement de la maison du pontife, brisant son coeur par l’intime douleur qu’il avait de sa chute. Et pour la pleurer amèrement il alla dans une grotte, maintenant appelée la grotte du chant du coq, où il pleura avec un sensible repentir. Dans trois heures il recouvra la grâce et obtint le pardon de ses péchés, n’ayant pourtant jamais été privé des saintes inspirations. Notre auguste princesse lui envoya un de ses anges, avec mission de le consoler secrètement et de le porter à avoir espérance du pardon, afin qu’il ne lui fût pas retardé par le peu de fermeté qu’il pourrait avoir dans cette vertu. Le saint ange partit avec ordre de ne point se manifester à Pierre, parce que son péché était encore trop récent. Cet esprit céleste exécuta tout ce qui lui avait été ordonné, sans que l’Apôtre s’en aperçut; ainsi ce grand pénitent fut fortifié et consolé par les inspirations de l’ange et reçut le pardon de ses péchés par l’intercession de la très pure Marie.

Instruction que notre grande Reine m’a donnée

1280 Ma fille, le secret mystérieux des opprobres, des affronts et des mépris que reçut mon très saint Fils, est un livre scellé qui ne peut être ouvert ni entendu que par la divine lumière, comme vous l’avez connu, et qu’il vous a été découvert en partie, quoique vous en écriviez beaucoup moins que vous n’en pénétrez, parce que vous ne sauriez le déclarer entièrement. Mais comme ce livre vous est ouvert dans le plus intime de votre coeur, je veux qu’il y soit écrit et que dans la connaissance de cet exemplaire vivant et véritable vous étudiez la science divine, que ni la chair ni le sang ne peuvent vous enseigner parce que le monde ne la connaît point et qu’il ne mérite pas de la connaître. Cette divine philosophie consiste à apprendre et à aimer le très heureux sort de ceux qui sont pauvres, humbles, affligés, méprisés et inconnus parmi les enfants de la vanité. Mon très saint et très aimé Fils établit cette école dans son Église quand il prêcha et proposa à tous les huit béatitudes sur la montagne.

Et il mit depuis cette doctrine en pratique, comme un Maître qui fait ce qu’il enseigne, quand il renouvela dans sa passion les chapitres de cette science qu’il exerçait en lui-même; comme vous l’avez écrit. Mais quoiqu’elle soit présente aux catholiques et qu’ils aient ce livre de vie devant les yeux, il s’en trouve pourtant fort peu qui entrent dans cette école et qui étudient dans ce livre; et il y a une infinité d’insensés qui ignorent cette science, parce qu’ils ne se disposent point à en être instruits.

1281 Les mortels ont de l’horreur pour la pauvreté, et sont affamés des richesses, sans que leur vanité puisse les désabuser. Il s’en trouve une infinité qui se laissent empor. ter à la colère et à la vengeance, et qui méprisent la douceur. Il en est fort peu qui pleurent leurs véritables misères, et le nombre de ceux qui cherchent les consolations terrestres est très grand; à peine en trouve-t-on un qui aime la justice et qui ne soit injuste et infidèle envers son prochain. La miséricorde est éteinte, la pureté des coeurs violée, et la paix troublée; personne ne veut pardonner; et bien loin de vouloir souffrir pour la justice, les hommes font tous leurs efforts pour éviter les peines qui leur sont si justement dues. C’est pour cela, ma très chère fille, qu’il s’en trouve très peu qui soient bienheureux et qui reçoivent les bénédictions de mon très saint Fils et les miennes. Vous avez plusieurs fois connu la juste colère du Très-Haut contre ceux qui font profession de la foi, de ce qu’à la vue de leur exemplaire et du Maître de la vie, ils vivent presque comme des infidèles, et sont bien souvent plus horribles qu’eux; car ce sont eux qui méprisent véritablement le fruit de la rédemption, qu’ils avouent et qu’ils connaissent; ils commettent le mal avec impiété dans la terre des saints, et se rendent indignes du remède qui leur a été mis entre les mains avec tant de miséricorde.

1282 Je veux, ma fille, que vous fassiez tous vos efforts pour devenir bienheureuse, suivant parfaitement mon exemple selon les forces de la grâce que vous recevez pour entendre cette doctrine cachée aux sages et aux prudents du monde. Je vous découvre chaque jour de nouveaux secrets de ma sagesse, afin que votre coeur s’enflamme, et que vous vous excitiez à porter votre main à des choses fortes.

Je vais maintenant vous faire connaître un exercice que je faisais, dans lequel vous pourrez en partie m’imiter. Vous savez déjà que dans le premier instant de ma conception je fus pleine de grâce, sans tache du péché originel et sans participer à ses effets par ce privilège singulier, je fus dès lors bienheureuse dans les vertus, sans y sentir aucune répugnance, et sans être obligée de satisfaire pour aucun péché propre.

Néanmoins la science divine m’enseigna que, comme j’étais fille d’Adam en la nature qui avait péché, quoique je ne la fusse point dans le péché commis, je devais m’humilier plus bas que terre. Et comme j’avais les sens de la même espèce que ceux par lesquels la désobéissance avait été commise, aussi bien que ses mauvais effets que l’on sentit alors que l’on a éprouvé depuis dans la condition humaine, je devais par cette seule relation, les mortifier, les humilier et les priver de l’inclination qu’ils avaient en cette même nature. De sorte que j’agissais comme une très fidèle fille de famille, qui regarde comme sienne propre, la dette de son père et de ses frères, quoiqu’elle ne l’ait point contractée, et qui tâche de la payer avec d’autant plus de soin, qu’elle aime son père et ses frères, et qu’elle les voit dans l’impuissance d’y satisfaire, ne prenant aucun repos qu’elle ne les ait délivrés de cette obligation.

C’est ce que je faisais à l’égard de tout le genre humain, dont je pleurais les misères et les péchés; et comme j’étais fille d’Adam, je mortifiais en moi les sens et les puissances par lesquels il avait péché, et je m’humiliais comme confuse et coupable de sa désobéissance et de son péché, quoique je ne l’eusse point contracté faisant la même chose pour les autres, qui sont mes frères en la même nature. Vous ne sauriez m’imiter en ces circonstances, parce que vous avez participé au péché. Mais c’est ce qui vous oblige à m’imiter dans les autres choses que je faisais sans en avoir été touchée puisque l’obligation que vous avez de satisfaire à la justice divine, après l’avoir contractée, vous doit solliciter de travailler sans cesse et pour vous et pour votre prochain, et de vous humilier jusque dans le néant; car un coeur contrit et humilié porte la divine clémence à user de miséricorde (Ps. L, v. 19).

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