Chap. 15 - On amène Jésus-Christ lié chez le pontife Anne
Source: Croset 1898
On amène notre Sauveur Jésus-Christ lié chez le pontife Anne. Ce qui arriva dans cette rencontre, et ce que sa très sainte Mère y souffrit.
1256 Il faudrait, pour parler dignement de la passion, des affronts et des peines de notre Seigneur Jésus-Christ, se servir de paroles si vives et si efficaces, qu’elles pussent pénétrer plus avant qu’une épée à deux tranchants, et arriver par une intime douleur dans le plus profond de nos coeurs. Les peines de cet adorable Seigneur ne furent point. communes, il ne s’en trouvera jamais de semblables aux siennes. Sa personne sacrée n’était point comme celle des autres enfants des hommes; il ne souffrit point pour ellemême ni pour ses péchés, mais pour nous et pour nos propres crimes. Or, il ne faut pas que les termes dont nous nous servons pour parler de ses douleurs soient communs, mais extraordinaires et efficaces, afin de nous en faire concevoir un juste sentiment.
Mais, hélas! il ne m’est pas possible de donner cette force à mes paroles, ni de trouver celles que mon âme désire pour manifester ce secret! J’en dirai pourtant ce que je pourrai, me servant des termes qui me seront inspirés, quoique la petitesse de mon talent amoindrisse la grandeur de l’intelligence que j’en ai, et que ces termes ne répondent pas à ce que j’en conçois. Que la force et la vivacité de la foi que les enfants de l’Église professent suppléent donc à la faiblesse de mon discours. Et si les paroles sont communes, faisons en sorte que la douleur soit extraordinaire, la pensée très relevée, la pénétration vive, la considération profonde, la reconnaissance sincère et l’amour fervent, et croyons que tout cela sera fort au-dessous de la vérité de l’objet et du retour que nous devons à notre divin Rédempteur comme serviteurs, comme amis et comme enfants adoptés par le moyen de sa passion et de sa mort.
1257 Le très doux Agneau Jésus-Christ ayant été pris et lié dans le jardin, fut amené chez les pontifes et premièrement chez Anne (Joan., XVIII, v. 13). Le traître disciple avait prévenu par sa malice cette troupe turbulente de soldats et de ministres; il leur avait dit de ne se point fier à son Maître, mais de le tenir étroitement lié, qu’il le croyait un magicien, et qu’il pourrait bien échapper de leurs mains (Marc, xiv, v. 44). Lucifer et ses princes des ténèbres les irritaient secrètement, afin qu’ils traitassent le Seigneur avec toute sorte de cruauté et de mépris. Et comme ils étaient tous assujettis à la volonté de Lucifer, ils exercèrent sur la personne de leur Créateur toutes les inhumanités qui leur furent permises.
Ils le lièrent avec une fort longue chaîne d’une telle manière, qu’ils lui en firent divers tours à la ceinture et au cou, laissant les deux bouts libres : ils avaient attaché à cette chaîne des menottes, qu’ils mirent aussi aux mains du Seigneur qui avait créé les cieux, les anges et tout le reste de l’univers. Et les ayant ainsi liées, il les lui firent passer par derrière. Ils portèrent cette chaîne de la maison du pontife Anne, où elle servait pour élever une porte d’une prison qui y était, et ce fut avec intention d’en lier notre divin Maître. Ils ne furent pourtant pas satisfaits ni assurés de cette manière inouïe de lier une personne, car ils lui attachèrent ensuite sur cette pesante chaîne deux cordes assez longues; ils lui en passèrent l’une sur le cou, et la lui croisant sur la poitrine, ils lui en environnèrent le corps et l’attachèrent avec des noeuds fort serrés, laissant encore les deux extrémités assez longues par le devant, afin que deux soldats tirassent par là notre adorable Seigneur. Ils se servirent de l’autre corde pour lui lier les bras, et lui en ayant fait aussi divers tours à la ceinture, ils laissèrent les deux bouts qui pendaient par derrière où il avait les mains liées, afin que deux autres soldats pussent le tirer et le relever.
1258 Le Saint et le Tout-Puissant se laissa lier et amener de cette sorte, comme s’il eût été le plus méchant et le plus faible des hommes, parce qu’il s’était chargé de toutes nos iniquités et de la faiblesse ou impuissance que nous avions à faire le bien dans laquelle nous étions tombés par ces mêmes iniquités. Ces gens sans pitié le lièrent dans le jardin et le maltraitèrent non seulement avec les mains, avec les cordes et avec les chaînes, mais aussi avec leurs langues : car ils vomirent, comme des vipères, le venin sacrilège qu’ils avaient, par des blasphèmes et par des injures inouïes contre la Personne que les anges et les hommes adorent et qui est glorifiée dans le ciel et sur la terre.
Ils partirent tous de la montagne des Oliviers avec un grand tumulte et beaucoup de criailleries, menant au milieu d’eux le Sauveur du monde, les uns le tirant par les cordes de devant, les autres par celles qui lui liaient les bras par derrière, et cela avec une violence inconcevable; quelquefois ils le faisaient marcher avec précipitation; quelquefois ils le faisaient reculer et l’arrêtaient tout court; d’autres fois ils le traînaient tantôt d’un côté et tantôt d’un autre, et c’était avec une rage diabolique. Ils le faisaient souvent tomber, et comme il avait les mains liées par derrière, il tombait le visage contre terre, qui en était tout meurtri et tout plein de poussière. Quand il tombait, ils se jetaient sur lui et lui donnaient des coups de pieds, passant sur sa personne sacrée et sur son vénérable visage; et comme ils mêlaient dans toutes ces insultes de grands cris et des sanglantes moqueries, ils le couvrirent d’opprobres, comme Jérémie l’avait déploré auparavant.
1259 Au milieu d’une fureur si impie, dont Lucifer enflammait ces ministres impitoyables, il était lui-même fort attentif aux oeuvres de notre Sauveur, dont il prétendait éprouver la patience et connaître s’il était véritablement un simple mortel; car l’incertitude où il en était tourmentait plus son orgueil que toutes ses autres peines. Et comme il reconnut la douceur et la patience que Jésus-Christ témoignait parmi tant de mauvais traitements et qu’il les recevait avec un air tranquille et majestueux, sans aucun trouble et sans la moindre altération, ce dragon infernal entra dans une plus grande colère, et comme s’il eût été un homme furieux et enragé, il résolut de prendre les cordes dont les bourreaux se servaient et de tirer lui-même, assisté des autres démons, le Sauveur avec plus de violence, pour tâcher d’altérer la douceur de sa divine Majesté.
Mais la très pure Marie qui découvrait par une claire vision du lieu de sa retraite tout ce qui se passait à l’égard de son très saint Fils, empêcha ce malicieux dessein, et quand elle eut connu l’entreprise téméraire de Lucifer, usant de son pouvoir de Reine, elle lui commanda de ne point s’approcher de la personne sacrée de Jésus-Christ pour l’offenser. Dans ce même temps, cet ennemi perdit ses forces, et il ne lui fut pas possible de rien exécuter : aussi il n’était pas convenable que sa méchanceté se mélât de cette manière dans la passion et dans la mort du Rédempteur.
Il lui fut néanmoins permis de porter ses démons à irriter les Juifs fauteurs de la mort du Sauveur, parce qu’il dépendait de ceuxci d’y consentir ou d’y résister par leur libre arbitre. Lucifer se prévalut de cette permission, et s’adressant à ses ministres d’iniquité, leur dit : « Quel homme est celui-ci qui est né dans le monde, qui, par sa patience et par ses oeuvres, nous tourmente et nous détruit? Personne depuis Adam jusqu’à présent n’a eu une telle tranquillité dans les souffrances. Nous n’avons jamais vu entre les mortels tant d’humilité ni tant de douceur. Comment pouvons-nous souffrir dans le monde un si rare et si puissant exemple, capable de l’attirer entièrement après soi? Si celui-ci est le Messie, il ouvrira sans doute le ciel et détruira les voies par où nous conduisons les hommes dans nos tourments éternels, et nous serons vaincus et frustrés de nos prétentions.
Et quand il ne serait qu’un simple mortel, nous ne devons pas permettre qu’il laisse aux autres un si grand exemple de patience. Venez donc, ministres de mon audacieuse grandeur, persécutons-le par le moyen de ses ennemis, qui, étant assujettis à mon empire, ont reçu la furieuse envie que je leur ai communiquée contre lui ».
1260 L’auteur de notre salut se soumit à toute la rage que Lucifer avait inspirée à cette troupe de Juifs, cachant le pouvoir qu’il avait de les anéantir ou d’empêcher les outrages qu’ils lui faisaient, afin que notre rédemption fût plus abondante. Or le menant lié et maltraité de la sorte, ils arrivèrent chez le pontife Anne, devant lequel ils le présentèrent comme un criminel digne de mort. C’était la coutume des Juifs de présenter ainsi liés les malfaiteurs qui méritaient le dernier supplice, et ces liens étaient comme autant de témoins du crime qui méritait la mort; et ils amenaient de cette sorte le Sauveur comme lui signifiant la sentence avant que le Juge l’eût prononcée.
Le pontife Anne parut dans une grande salle, où il s’assit sur un tribunal fort superbe qu’il y avait. Le prince des ténèbres Lucifer, environné d’une grande multitude de démons, se mit aussitôt à son côté. Les ministres et les soldats présentèrent Jésus-Christ chargé de chaînes au pontife, et lui dirent : « Nous vous amenons, Seigneur, ce méchant homme, qui a troublé tout Jérusalem et toute la Judée par ses sortilèges et par ses méchancetés; son art magique ne lui a pourtant servi de rien dans cette occasion pour échapper de nos mains ».
1261 Notre Sauveur Jésus-Christ était assisté d’un nombre presque infini d’anges, qui l’adoraient, le glorifiaient et admiraient les jugements impénétrables de sa sagesse; de ce que sa Majesté permettrait d’être présenté comme coupable et pécheur devant le pontife, de ce que ce méchant prêtre était regardé comme juste et zélé pour l’honneur du Seigneur, quoiqu’il prétendît de le lui ôter aussi bien que la vie d’une manière sacrilège, et de ce que le très-doux Agneau demeurait dans le silence sans ouvrir la bouche, comme l’avait dit Isaïe (c. LIII, v. 7). Le pontife l’interrogea d’un ton impérieux touchant ses disciples et touchant la doctrine qu’il enseignait (Joan., XVIII, v. 19 et suiv.). Il lui fit cette demande pour en calomnier la réponse, en cas qu’il dit quelque chose qui lui donnât la moindre occasion de la mal interpréter. Mais le Maître de la sainteté, qui est le guide de la sagesse, et qui redresse les plus sages, offrit au Père éternel cette humiliation qu’il recevait, étant présenté comme coupable devant le pontife, et interrogé par lui comme criminel et auteur d’une fausse doctrine.
Notre Rédempteur répondit touchant sa doctrine avec un air humble et tranquille : « J’ai parlé publiquement au monde, j’ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple, où tous les Juifs s’assemblent, et je n’ai rien dit en secret. Pourquoi m’interrogez-vous? Interrogez ceux qui ont entendu ce que je leur ait dit, ceux-là savent ce que j’ai enseigné ».
Le Sauveur fit cette réponse, s’en remettant à ses auditeurs, parce que sa doctrine était de son Père éternel, qu’on aurait calomnié le témoignage que sa Majesté en aurait rendu, et que la vérité et la vertu se justifient d’elles-mêmes parmi leurs plus grand ennemis.
1262 Il ne répondit point touchant ses apôtres, parce qu’il n’était pas alors nécessaire, et qu’ils se trouvaient dans une telle disposition qu’ils ne pouvaient point être loués de leur Maître. Et quoique cette réponse qu’il fit touchant sa doctrine fût si pleine de sagesse et si convenable à la demande qui lui en avait été faite, il y eut pourtant un des ministres qui se trouvaient auprès du pontife, qui eut la témérité de donner un soufflet à cet adorable Seigneur; et non content de l’avoir frappé, il le reprit, disant : « Est ce ainsi que tu réponds au pontife? » Le Sauveur reçut ce sanglant affront, priant le Père éternel pour celui qui le lui avait fait, et il était même préparé à présenter l’autre joue s’il eût été nécessaire, pour recevoir un autre soufflet, accomplissant en tout la doctrine qu’il avait enseignée.
Mais afin que cet insensé et téméraire ministre ne fût point enflé ni sans confusion d’une méchanceté si inouïe, le Seigneur lui répartit avec beaucoup de sénérité et de douceur : « Si j’ai mal parlé, rendez témoignage du mal que j’ai dit; mais si j’ai bien parlé, pour quelle raison me frappez vous? »
O spectacle digne d’une nouvelle admiration pour les esprits célestes! Combien de sujet ont et doivent avoir les colonnes du ciel et tout le firmament de trembler d’en entendre seulement faire le récit! Cet adorable Seigneur est celui, comme Job assure, qui est si sage et si puissant, que personne ne lui peut résister et demeurer en paix en lui résistant; qui transporte les montagnes et ceux même qu’il renverse dans sa fureur ne s’en aperçoivent pas; qui remue la terre de sa place et qui fait que ces colonnes sont ébranlées, qui commande au soleil et le soleil ne se lève point, qui tient les étoiles enfermées comme sous le sceau, qui fait des choses grandes et incompréhensibles, à la colère daquel personne ne peut résister, et sous qui fléchissent ceux qui gouvernent le monde, et cependant c’est le même qui souffre pour les hommes et qu’un impie ministre frappe sur le visage.
1263 Le sacrilège serviteur fut confus dans sa méchanceté par la réponse humble et efficace que fit le Sauveur. Mais ni cette confusion, ni celle que pouvait avoir le pontife, de ce que l’on commettait un tel crime en sa présence, ne furent point capables de les émouvoir ni d’adoucir les autres ennemis de l’Auteur de la vie. Pendant qu’on le maltraitait de la sorte, saint Pierre et l’autre disciple, qui était saint Jean, arrivèrent chez Anne. Saint Jean qui en était fort connu y entra facilement; mais saint Pierre demeura dehors jusqu’à ce que le disciple bien-aimé eût parlé à la portière; et à sa considération elle le laissa entrer, pour voir ce qui se passait à l’égard du Rédempteur. Les deux apôtres entrèrent dans la cour de la maison, et cette cour était devant la salle du pontife; saint Pierre s’approcha du feu où les soldats se chauffaient, parce qu’il faisait froid alors. Cette servante qui gardait la porte, ayant considéré avec attention saint Pierre, l’aborda et lui dit : « N’êtes-vous pas des disciples de cet homme? » Elle lui fit cette demande avec quelque espèce de moquerie, de quoi saint Pierre eut honte par une grande lâcheté; et dans cette crainte il lui répondit : « Non je n’en suis point ». Après avoir fait cette réponse, il s’écarta de la compagnie et sortit de la maison d’Anne, mais il suivit ensuite son Maître chez Caïphe, où il le renonça deux autres fois, comme je le dirai en son lieu.
1264 Le renoncement de Pierre causa une plus grande douleur à notre divin Maître que le soufflet qu’il reçut, parce que le péché était contraire et horrible à son immense charité, mais les peines lui étaient aimables et douces pour vaincre par elles nos propres péchés. Après ce premier renoncement, Jésus-Christ pria le Père éternel pour son apôtre et disposa que la grâce et le pardon lui seraient préparés par le moyen de l’intercession de la très pure Marie, et qu’il les recevrait après les trois renoncements. Cette auguste Princesse voyait de son oratoire tout ce qui se passait ainsi que nous l’avons marqué. Et comme elle avait dans son sein le propitiatoire et le sacrifice, y ayant son Fils et son Seigneur consacré, elle lui adressait ses affectueuses prières exerçant des actes héroïques de compassion, de reconnaissance et d’adoration.
Quand elle eut connu le renoncement de saint Pierre, elle pleura amèrement et elle n’arrêta point ses larmes qu’elle n’eût su que le Très-Haut ne lui refuserait point ses grâces, et qu’il le relèverait de sa chute. Cette très miséricordieuse Mère sentit aussi toutes les douleurs de son Fils et dans les mêmes endroits que lui. Et lorsque le Seigneur fut lié avec les cordes et les chaînes, elle sentit une si grande douleur aux mains que le sang en sortit comme si elles eussent été fortement liées, et il lui arriva la même chose dans toutes les autres blessures qu’il recevait sur sa personne sacrée. Comme les peines de son corps s’unissaient à celles qu’elle ressentait dans son âme de voir souffrir notre Seigneur Jésus-Christ, elle versa dans ce douloureux martyre des larmes de sang, le bras du Seigneur étant l’auteur de cette merveille. Elle sentit aussi le soufflet que l’on donna à son très saint Fils, comme si cette main sacrilège eût frappé en même temps et le Fils et la Mère. Dans tous ces mauvais traitements que le Sauveur recevait, elle invita les saints anges à glorifier et à adorer leur Créateur avec elle pour réparer les outrages que les pécheurs lui faisaient, et adressant ses très prudentes et très douloureuses raisons aux mêmes anges, elle s’entretenait avec eux du triste sujet de sa compassion et de ses larmes.
Instruction que la grande Reine de l’Univers m’a donnée
1265 Ma fille, la lumière divine que vous recevez pour connaître les mystères de mon très saint Fils et les miens sur ce que nous avons souffert pour le genre humain et sur le peu de retour qu’il nous rend pour tant de bienfaits, vous appelle à de grandes choses. Vous vivez dans une chair mortelle, et par conséquent vous êtes exposée à toutes ces ingratitudes; mais la force de la vérité que vous connaissez produit en vous plusieurs mouvements d’admiration, de douleur et de compassion pour le peu de réflexion que font les mortels sur de si grands mystères et pour les biens qu’ils perdent par leur lâcheté.
Or, si vous êtes dans ces sentiments, quelle sera la considération des anges et des saints sur ce sujet, et celle que je ferai à la vue du Seigneur, de voir le monde et les fidèles dans un état si dangereux et dans un oubli si déplorable, après que mon très saint Fils a souffert une mort si cruelle, et dans le temps qu’ils peuvent m’avoir pour leur Mère et pour leur avocate et que la très sainte vie du Sauveur et la mienne leur servent d’exemple? Je vous dis en vérité, ma très chère fille, que ma seule intercession et les seuls mérites que je représente au Père éternel de son Fils et du mien, peuvent apaiser sa juste colère, et empêcher qu’il ne détruise le monde, et qu’il ne punisse rigoureusement les enfants de l’Église, qui savent la volonté du Seigneur et ne l’accomplissent point.
Mais je suis fort indignée d’en trouver si peu qui s’affligent avec moi, et qui consolent mon Fils dans ses peines, comme dit David (Ps. LXVIII, V. 21). Cette dureté sera un sujet d’une plus grande confusion pour les mauvais chrétiens au jour du jugement; parce qu’ils connaîtront alors avec une douleur irréparable, que non seulement ils ont été ingrats, mais inhumains et cruels envers mon très saint Fils, envers moi et envers eux-mêmes.
1266 Faites donc, ma fille, réflexion sur votre obligation, élevez-vous sur tout ce qui est terrestre et au-dessus de vous-même; car je vous appelle et je vous choisis, afin que vous m’imitiez et que vous m’accompagniez en ce que les créatures me laissent si seule, après tant de faveurs que mon très saint Fils et moi leur avons faites. Considérez avec toutes vos attentions combien il a coûté à mon Seigneur de réconcilier les hommes avec son Père et de leur mériter son amitié. Affligez-vous de ce qu’il y a un si grand nombre qui vivent dans cet oubli, et qui font tous leurs efforts pour détruire et pour perdre ce qui a coûté le sang et la mort de Dieu même, et ce que je leur ai procuré dès ma conception, et que je tâche de le leur acquérir pour leur salut.
Pleurez amèrement de ce qu’il se trouve dans la sainte Église plusieurs successeurs de ces pontifes hypocrites et sacrilèges, qui sous prétexte de piété condamnèrent Jésus-Christ; de ce que l’orgueil et plusieurs autres grands péchés sont autorisés et applaudis; de ce que l’humilité, la vérité, la justice et les vertus sont opprimées; et de ce qu’il n’y a que l’avarice et que la vanité qui triomphent. Il y a fort peu de personnes qui connaissent la pauvreté de Jésus-Christ, et il s’en trouve encore moins qui veuillent l’embrasser.
La sainte foi est opprimée et ne s’étend point à cause de l’ambition excessive des puissants du monde; cette foi est morte et sans fruit dans plusieurs catholiques; tout ce qui doit avoir vie, est mort; et tout se dispose à une perte irréparable. Les conseils de l’Évangile sont oubliés, les préceptes transgressés, la charité presque éteinte. Mon Fils et mon Dieu a présenté ses joues avec une patience et une douceur inconcevables pour être frappé. Qui est celui qui pardonne une injure pour l’imiter? Au contraire le monde a fait des lois pour se venger, et non seulement les infidèles, mais aussi les enfants de la foi et de la lumière les pratiquent.
1267 Je veux que, dans la connaissance de ces péchés, vous imitiez ce que je faisais dans la passion, et ce que j’ai fait durant toute ma vie; car j’exerçais pour tous les actes des vertus contre les vices. Pour les blasphèmes et les injures que l’on disait à mon adorable Fils, je le bénissais et le louais; pour les infidélités que l’on pratiquait à son égard, je croyais en lui; et ainsi de toutes les autres offenses. C’est ce que je veux que vous fassiez dans le monde où vous vivez et que vous connaissez. Que l’exemple de Pierre vous fasse fuir aussi les dangers des créatures; car vous n’êtes pas plus forte que cet apôtre de Jésus-Christ, et si vous tombez quelquefois comme faible, pleurez aussitôt comme lui, et ayez recours à mon intercession. Réparez vos fautes ordinaires par la patience dans les adversités, recevez-les avec joie, sans trouble et sans aucune distinction, quelles qu’elles puissent être; soit les maladies, soit les insultes des créatures, soit les peines que le tumulte des passions ou les attaques de vos ennemis invisibles causeront dans votre esprit. Vous pouvez souffrir en tout cela, et vous le devez supporter avec foi, espérance et magnanimité; et je veux que vous sachiez qu’il n’y a point d’exercice plus profitable pour l’âme que celui des souffrances, parce qu’elles éclairent, détrompent et éloignent le coeur humain des choses terrestres, et le portent au Seigneur, qui vient au-devant de lui; car sa divine Majesté se trouve avec les affligés, les délivre et les protège.