Instruction 7 - Mensonge
Source: Jean-François de Reims, Capucin (m. 1660), Le directeur pacifique des consciences
Mentir n’est autre chose que parler contre sa pensée, ou dire autrement qu’on ne pense, et il y a trois sortes de mensonges.
Les uns sont dits par manière de risée et de récréation, et pour cette cause sont nommés mensonges joyeux.
Les autres sont offerts pour garantir notre prochain ou nous-mêmes de quelque mal, comme quand nous proférons quelque mensonge pour éviter quelque répréhension, quelque honte, confusion, mépris; ou bien pour être estimé davantage, pour s’excuser, ou pour semblables causes; comme sont aussi ceux qu’on fait pour défendre son prochain de quelque défaut qu’on lui impute: et tels mensonges sont appelés officieux.
La troisième sorte, sont ceux qu’on appelle mensonges pernicieux, lesquels se font avec intention de nuire au prochain, ou qui lui apportent du dommage.
Tous ces mensonges se peuvent commettre en trois manières:
En assurant une chose être vraie, laquelle est néanmoins fausse.
En assurant une chose fausse, laquelle est néanmoins vraie.
En affirmant une chose, de la vérité de laquelle on doute.
Tous ces mensonges ne sont jamais licites pour quelque fin qu’on les puisse dire, et sont toujours péché véniel, et même le pernicieux est péché mortel, excepté en trois cas :
Quand il apporte seulement quelque petit dommage au prochain, et qu’on n’a pas eu intention de lui nuire notablement.
Quand il est fait sans une délibération parfaite, laquelle est toujours nécessaire pour le péché mortel.
Quand il est fait sans avoir prévu le dommage qu’il pouvait apporter, et qu’on ne l’a pu prévoir moralement parlant.
On serait néanmoins en ces deux derniers cas obligé d’empêcher le dommage notable, si on le pouvait faire en disant la vérité, ainsi que nous avons dit parlant de la restitution de l’honneur, ou des biens.
Il y a une autre sorte de mensonge, qu’on peut nommer inconsidéré, et c’est quand nous proférons quelque mensonge faute de prendre garde à nos paroles. Tels mensonges ne sont pas grands péchés de soi, puisqu’ils ne se disent pas délibérément: mais d’autant que nous devons prendre garde de ne proférer rien qui ne soit pour une bonne fin, ils sont toujours au moins paroles oiseuses, à cause de cette inconsidération.
Aux mensonges se rapportent les exagérations que l’on fait, pour faire valoir davantage ce qu’on dit, lesquelles sont autant de mensonges, si elles expliquent la chose autrement qu’on la croit, et faut s’en accuser comme de mensonges.
On peut mettre au rang des menteurs, ceux qui usent de paroles feintes et doubles en leurs discours, les entendant tout autrement qu’ils ne les disent: et quoiqu’ils croient par ce moyen éviter le mensonge, ils s’y plongent néanmoins davantage, car telle duplicité est entièrement contraire à la simplicité chrétienne, laquelle nous oblige à être tels en nos paroles que nous sommes au coeur : mais le mal est que ceux qui ont de l’inclination à cela, croient que c’est la marque d’un bel esprit de procéder de la sorte en leurs paroles; ainsi se flattent dans leur propre imperfection.
Or, quoique nous devions fuir toute duplicité en nos paroles, si est-ce que si l’occasion se présente d’éviter quelque péché, ou quelque grand mal en nous ou en notre prochain, nous pouvons nous servir prudemment de dissimulation aux paroles, qui se peuvent entendre en deux sens, et les dire au sens qui sera utile selon l’occasion qui se présente, quoique nous sachions qu’on l’entende de l’autre sens; mais aux paroles ordinaires l’usage en est illicite. Joint qu’elles ne peuvent pas être faites prudemment, quand elles sont faites sans cause raisonnable, et toutes ces finesses et déguisements sont souvent causes de plusieurs refroidissements de charité.
Que l’âme craignant Dieu prenne garde, que toutes ses paroles soient accompagnées de vérité, vu qu’elle fait profession de plaire au Dieu de vérité, qui a en horreur tous mensonges; et puisque les paroles lui sont données de Dieu, pour expliquer au prochain les connaissances et pensées qu’elle a au dedans, elle ne doit pas contrarier par ses paroles ce qu’elle a dedans le coeur: c’est pourquoi si par mégarde elle profère quelque mensonge, elle doit aussitôt donner à connaître la vérité, ou en s’expliquant, ou en s’excusant de n’avoir pas bien pris garde à ses paroles. Et si elle reconnaît avoir contracté une mauvaise habitude de proférer de petits mensonges, ou d’exagérer et diminuer par trop ce qu’elle raconte, qu’elle arrache cette mauvaise plante; car le diable, comme père de mensonges, se plaît grandement en ce vice.
Avis pour la Confession
On s’accusera ici, si on a proféré quelque mensonge préjudiciable au prochain, et on spécifiera le dommage qu’on lui a apporté s’il est notable: que s’il appartient à la détraction, l’on s’en accusera en la détraction.
Quant à l’âme craignant Dieu, elle s’accusera si elle a fait quelque mensonge, et spécifiera toujours si c’est en choses légères ou en choses de conséquence, afin que le Confesseur en puisse connaître la gravité: elle pourra aussi spécifier, pour mieux donner à connaître sa conscience, et s’amender plus efficacement, si elle l’a fait de propos délibéré, ou si elle l’a fait par inadvertance, ou par exagération; ou pour s’excuser, etc.
Que si elle l’a commis en détractant de quelqu’un, qu’elle s’en accuse en la détraction, en la manière que je l’ai expliqué en son lieu. Quant aux dissimulations, si elle en a usé prudemment et avec raison, qu’elle ne s’en confesse pas, mais bien si elle en a usé sans nécessité.