Ordre des Frères Mineurs Capucins
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Instruction 4 - Envie

Source: Jean-François de Reims, Capucin (m. 1660), Le directeur pacifique des consciences

La différence avec la haine

Encore que l’envie ait quelque convenance avec la haine, elle est néanmoins différente, en ce que par la haine nous sommes marris du bien de notre prochain, ou lui désirons du mal, à cause de la déplaisance que nous avons de sa personne; mais par l’envie nous sommes marris du bien d’autrui, à cause que nous nous persuadons qu’il est en diminution du nôtre; ou lui désirons du mal, à cause que nous nous persuadons que ce mal nous apporte quelque bien.

Nous dirons premièrement quand c’est chose licite ou illicite de désirer du mal à son prochain, ou être marri de son bien, où l’on sera davantage éclairci de ce qui appartient à la haine, de laquelle nous avons déjà parlé.

Puis nous déclarerons en combien de manières on se peut déplaire du bien d’autrui.

Quand il est licite ou illicite de désirer du mal à son prochain, ou être marri de son bien

Pour bien entendre quand c’est chose licite ou illicite de désirer du mal à son prochain, ou être marri de son bien: il faut savoir qu’il y a deux sortes de maux, et deux sortes de biens. Il y a des maux qui sont absolument maux, et qui ne peuvent apporter aucune utilité au prochain, comme sont la privation de Dieu, les peines de l’enfer, le péché, la privation de la grâce, et des vertus surnaturelles, et choses semblables.

Les autres ne sont pas si absolument maux, qu’ils ne lui puissent apporter quelque utilité, comme est la perte des biens temporels, de l’honneur, de la santé, de la vie, et semblables, qui ne profitent pas peu quelquefois à l’âme.

De même il y a des biens qui sont biens absolument, et qui ne peuvent jamais être nuisibles, comme le Paradis, la grâce de Dieu, les vertus chrétiennes, et choses semblables.

Les autres ne sont pas si absolument biens, qu’ils ne puissent parfois apporter quelque détriment à l’âme, comme sont les biens de fortune, la santé, la vie, et choses semblables, desquelles on peut bien ou mal user.

Cette distinction présupposée, je dis qu’il n’est jamais licite pour quelque cause que ce soit, de désirer au prochain les maux qui sont absolument maux, ni lui envier les biens qui sont absolument biens; vu que lui désirer tels maux, ou lui envier tels biens, ce serait lui désirer absolument du mal, et transgresser notablement le précepte de Charité, qui nous oblige spécialement de lui désirer les biens surnaturels, et de n’être pas marris qu’il les possède.

Quant aux maux, lesquels lui peuvent apporter quelque profit, si on est porté à les lui désirer par une mauvaise fin ou motif, il y a du péché mortel, ou véniel, selon la grandeur ou petitesse du mal qu’on lui désire, et selon la malice de la fin ou motif avec lequel on y est porté.

Si vous désirez par exemple la ruine de quelqu’un, et que vous y soyez porté par une déplaisance que vous avez de lui comme de votre ennemi, voilà un motif de haine qui est illicite; et qui fait que votre mauvais désir est péché mortel.

De même, si vous lui désirez la perte d’un procès, la mort, la maladie, le déshonneur, et autres maux notables, non pour autre fin, qu’à cause qu’il en recevra du dommage; voilà une mauvaise fin, qui fait que votre désir est péché mortel.

Que si les maux que vous lui désirez sont de petite conséquence, et que la fin pour laquelle vous lui désirez, n’a pas une malice mortelle, il n’y aura que péché véniel. Vous désirez par exemple, qu’une personne reçoive quelque petit affront afin qu’elle soit un peu moquée, le mal que vous lui désirez, et la fin pour laquelle vous lui désirez, étant de petite conséquence, le péché n’est que véniel; et ainsi des autres choses qui ne peuvent point apporter un notable préjudice au prochain.

Il faut dire de même des biens qui lui peuvent nuire; car si on était marri qu’il en jouît par une mauvaise fin ou motif, il y aurait péché mortel ou véniel, selon la grandeur ou petitesse des biens qu’on lui envierait.

Si vous étiez marri par exemple de quelque favorable alliance ou succession de votre ennemi, pour la déplaisance que vous avez de sa personne ou afin qu’il soit privé de cet avantage, voilà un mauvais motif, qui fait que la déplaisance volontaire que vous avez de ce bien notable est péché mortel.

Que si les biens dont vous êtes marri sont de petite conséquence, et que vous en soyez déplaisant par un motif qui n’ait pas une malice mortelle, il n’y aura que péché véniel. Par exemple, vous serez marri qu’une personne aura reçu quelque louange, pour quelque petite aversion que vous avez d’elle, il n’y aura que péché véniel.

Mais si on était porté à désirer du mal à son prochain, par un motif de Charité, de Justice, ou de quelqu’autre vertu, non seulement il n’y aurait pas de péché, mais aussi ce serait chose bonne; car alors le mal qu’on lui désire, est comme un moyen qu’on juge expédient ou nécessaire pour empêcher un plus grand mal.

Ainsi désirer une grande maladie à quelque grand pécheur, afin qu’il prenne de celle-ci occasion de se convertir, c’est un désir qui procède de Charité.

Ainsi souhaiter une perte de biens à celui qui s’en sert pour commettre de grandes méchancetés, afin qu’il n’ait plus occasion de faire tant de mal, est un souhait charitable. Ainsi l’on peut désirer la mort à ceux qui pervertissent les autres, comme serait la mort d’un hérétique, qui en corromprait plusieurs par sa mauvaise doctrine, et saint Paul la désirait.

Ainsi l’on peut désirer par un motif de Justice, que les malfaiteurs soient punis, afin de donner exemple aux autres. Il faut dire de même quand on est marri du bien d’autrui par quelque bon motif. Comme si par un motif de Charité on était marri de la prospérité de quelqu’un, à cause qu’il prend de celle-ci occasion de se porter dans de grands péchés: ou si par un zèle de Justice on était fâché que les prélatures et dignités, seraient données à une personne tout à fait incapable.

Trois manières de se contrister du bien de son prochain, avec résolutions et avis nécessaires sur icelles

Or pour mieux donner à connaître quand nous tombons dans le péché d’envie. Il faut savoir que nous pouvons nous contrister du bien d’autrui, principalement en trois manières.

(1) Nous pouvons être fâchés du bien d’autrui, non pas précisément à cause qu’il possède un tel bien, mais bien à cause que nous ne l’avons pas, ce qui s’appelle proprement jalousie.

Par exemple, une Religieuse sera mise de sa Supérieure en quelque office; une autre sera marrie, non pas précisément de ce que cette Religieuse est mise en tel office, d’autant qu’elle l’affectionne, et en fait de l’estime, mais bien à cause qu’elle même est privée de cet office.

Or encore que telles jalousies ne soient pas ordinairement si grand péché, elles sont néanmoins fort dangereuses en Religion, car outre qu’elles ôtent la paix intérieure, elles se changent souvent en envie, voire en haine.

Pour cette cause il se faut bien donner de garde d’affectionner aucun office de la maison tel qu’il soit, car tôt ou tard on en serait inquiété et affligé, étant souvent comme impossible de demeurer en Religion, et avoir les offices qu’on désirerait bien.

À cette sorte d’envie se rapportent les petites envies qui regardent les biens de fortune, lesquelles ne peuvent être condamnées de péché si nous les considérons nûment. Par exemple, un père de famille qui n’aura pas de quoi pourvoir ses enfants honnêtement, voyant ses parents et voisins avoir ce qui leur est convenable, ressentira une certaine tristesse de ne se voir ainsi accommodé, non qu’il soit véritablement marri de ce qu’ils sont à leur aise, mais de ce qu’il ne jouit pas du même bonheur.

Ces envies se ressentent assez communément, même par les personnes craignant Dieu, qui sont d’égale condition, comme entre les Marchands, entre les Justiciers, etc. Et quoique selon la perfection Chrétienne on doive s’efforcer de réprimer tels sentiments imparfaits, néanmoins on ne s’en doit pas inquiéter, pourvu qu’en la volonté on ne soit pas marri de la prospérité du prochain, et qu’on ne reçoive pas de joie de ses pertes.

Je dis en la volonté, d’autant que nous avons naturellement une inclination de paraître, et d’être estimés dans notre condition ; et cette naturelle inclination produit ordinairement en nous une tristesse, voyant ceux de même condition prospérer davantage que nous, et une joie quand nous les voyons moindres que nous ; et tous ces mouvements étant purement naturels, on ne s’en doit pas mettre en peine, pourvu que la volonté n’y consente pas, et qu’elle fasse son devoir de les rejeter.

Et même, comme je viens de dire, le désir raisonnable qu’on aurait d’être plus accommodé, ne peut être condamné de péché, quoique ce soit le plus parfait de ne désirer autre prospérité, que celle que Dieu nous envoie, car c’est celle-là qui est plus utile pour notre salut.

(2) Nous pouvons nous déplaire du bien de notre prochain, à cause que nous l’en estimons indigne, ce qui s’appelle proprement indignation ; et arrive quand voyant quelqu’un promu à quelque charge ou Office, duquel nous le jugeons incapable, nous sommes marris qu’il jouit de ce bien : et ce déplaisir provient quelquefois d’un zèle de Justice, quelquefois aussi du tort qu’on aura reçu de lui.

Or encore que ce soit un acte de Justice, d’être marri que quelqu’un soit promu à une Charge ou Office (principalement qui regarde le bien public) duquel nous le jugeons indigne sans passion, afin que le prochain n’en reçoive pas de détriment : néanmoins pour l’ordinaire, quand nous n’avons pas une parfaite connaissance de son incapacité, mais seulement que nous remarquons en lui quelques petits défauts, c’est plutôt une espèce d’injustice d’être marri qu’il ait cet Office, qu’un zèle bien réglé ; à plus forte raison, si pour cela nous venons à le mépriser, et l’estimer indigne de notre familiarité.

Mais si nous en sommes déplaisants à cause que nous avons reçu quelque déplaisir de lui, et que pour cette cause nous l’estimons indigne de notre conversation ; il est tout évident que c’est une envie et une indignation fort pernicieuse, laquelle serait péché mortel si nous l’avions à grand mépris, en telle sorte que nous serions en volonté de ne le pas assister quand même il serait réduit en une manifeste nécessité ; ou qu’il s’ensuivît quelque notable scandale, comme si le trouvant en quelque compagnie, nous témoignions extérieurement que nous ne pouvons souffrir sa présence. En autres cas elle ne serait que péché véniel ; comme serait si une Religieuse avait quelque dédain de voir une de ses soeurs employée à quelque office du Couvent, à cause qu’elle aurait remarqué en elle quelque manquement.

Et d’autant que ce vice n’apporte pas un petit mal à ceux qui vivent en Communauté, l’âme Religieuse doit être bien fidèle de rejeter promptement tous les mouvements et pensées d’indignation qui se présenteront comme contraires à la Charité. Et comme ils procèdent ordinairement du peu d’estime qu’elle a de ses Sœurs, pour les avoir reconnues de petit esprit, ou de fâcheuse humeur, ou remplies d’imperfections : pour cette cause il faut qu’elle ne s’arrête pas comme les pourceaux sur les ordures, je veux dire sur les défauts de ses Sœurs, tant naturels que moraux, mais plutôt imitant l’abeille qu’elle se jette sur les roses de vertus qu’elle remarquera en elles. Que si elle a les yeux de l’esprit si mal affectés, qu’elle ne puisse considérer aucune vertu en elles, il faut qu’elle les regarde comme les Épouses de Jésus, et comme celles qui portent l’Image et la ressemblance de Dieu, et comme telles elle les doit aimer, chérir, et en faire une grande estime.

(3) Nous pouvons porter à regret le bien d’autrui, parce qu’il semble être en diminution de notre avancement, et c’est ce qu’on appelle proprement envie, et qui arrive plus communément ; car si nous sommes marris qu’un autre jouisse de quelque faveur, amitié, ou autre bien, c’est pour l’ordinaire, à cause que nous nous imaginons qu’il y va de notre intérêt, et que le bien duquel il jouit, est en diminution du nôtre.

Par exemple, une Religieuse s’apercevra que sa Supérieure se servira plutôt du conseil d’un autre que du sien, ou lui témoignera une plus grande confiance, elle en sera aussitôt envieuse, à cause qu’elle s’imagine que cela est en diminution de son bien, d’autant qu’elle voudrait jouir elle-même de cette faveur, soit pour son ancienneté, soit parce qu’elle s’estime elle-même autant ou plus que l’autre, etc.

C’est ici où l’âme Religieuse doit travailler, car le péché d’envie en attire d’autres après soi, et pour l’ordinaire, il est accompagné de l’esprit de vengeance, laquelle augmente tellement la passion, qu’on n’a quasi autre attention que de faire quelque déplaisir à la personne à laquelle on porte envie ; jusques-là qu’on ne fera point de difficulté d’employer les autres Religieuses, voire même les personnes séculières pour mieux venir à bout de ses desseins, ce qui est suffisant de ruiner une maison de réputation ; car les gens du monde voyant ces damnables pratiques dans une maison qu’ils estimaient pleine de dévotion, de mortification, et de sainteté, ne peuvent qu’ils n’en reçoivent une mauvaise opinion. Voilà pour les Religieuses.

Quant aux gens du monde, qui ont pour l’ordinaire beaucoup moins de vertu, ils envient assez communément la prospérité de ceux qui sont de même condition qu’eux. Et afin qu’ils puissent bien juger de leur conscience, en ce qui regarde ce vice, qu’ils rentrent en eux-mêmes, et qu’ils voient s’ils n’ont point un déplaisir secret de l’avancement d’autrui, de ce qu’il se pousse avec son industrie dans des trafics avantageux, de ce que les biens lui viennent à souhait, et que ses entreprises réussissent, etc.

Pareillement s’ils ressentent du contentement quand il a reçu quelque perte ; s’ils se réjouissent en eux-mêmes quand quelque disgrâce lui sera arrivée, comme quelque moquerie, détraction, injure, mépris, et chose semblable ; s’ils se sentent portés à détracter de lui, ou à empêcher son avancement ; s’ils sont marris qu’il est plus honoré ou plus riche qu’eux, etc. Tous ces mouvements acceptés de la volonté, sont autant de témoignages, que l’envie, ennemi mortel de la Charité, loge dans leur coeur : c’est pourquoi s’ils veulent être agréables au Dieu de Charité, qu’ils les rejettent fidèlement par un fervent désaveu sitôt qu’ils se présenteront à eux, s’ils n’aiment mieux être enfants du diable, père de l’envie, et compagnons de son malheur éternel.

Néanmoins que les bonnes âmes ne s’inquiètent pas, pour être agitées de mouvements et pensées d’envie, vu qu’ils sont une occasion de mériter, quand on fait son possible de les rejeter, et ne sont jamais péchés mortels, si on n’y donne un plein consentement.

De l’émulation ou tristesse du bien spirituel du prochain

Pareillement qu’elles ne s’inquiètent pas quand elles ressentiront en elles certaines envies, ou pour mieux dire, émulations ou tristesses du bien spirituel du prochain.

Par exemple, une personne dévote fort désireuse de s’avancer à la perfection, voyant une autre plus humble et plus vertueuse qu’elle, ressentira une certaine tristesse en son coeur, non qu’elle soit marrie absolument que celle-là soit vertueuse, mais d’autant qu’elle-même n’est pas douée de cette vertu ; cette envie n’est pas mauvaise en soi, mais plutôt elle doit être estimée bonne, à cause qu’elle anime cette personne d’embrasser la vertu avec plus de ferveur et de constance.

Néanmoins il s’y glisse souvent de l’imperfection en tels mouvements : car

  1. cette tristesse peut provenir d’un orgueil caché, qui nous fait désirer d’être plus vertueux afin d’être plus estimés, et avoir ce contentement et cette complaisance d’être bien parfaits.

  2. Cette tristesse provient souvent de ce que nous n’avons pas une parfaite conformité avec la volonté de Dieu, laquelle nous oblige à nous contenter même du peu que nous avons, quand bien nous en serions cause par notre négligence ; car encore que nous devions avoir un grand désir de nous perfectionner, et mettre en pratique ce qui nous y porte, si est-ce que quand nous reconnaissons que par notre lâcheté nous sommes peu avancés, il ne se faut pas inquiéter pour cela, mais plutôt s’humilier devant Dieu, et prendre occasion de notre négligence passée, de nous porter plus fermement dans la pratique des vertus et mortifications.

Avis pour la Confession

Il faut ici se confesser, si on s’est réjoui du mal du prochain en sa volonté, et spécifier en Confession le mal duquel on s’est réjoui, afin que le Confesseur en puisse connaître la gravité, principalement s’il est d’importance ; car s’il était de petite conséquence, il ne serait pas nécessaire de le spécifier.

Il faut dire de même, quand l’on est marri selon sa volonté de quelque bien qui lui est arrivé, ou duquel il jouit.

Que si l’âme craignant Dieu a ressenti quelque joie du mal du prochain, et déplaisance de son bien, seulement dans le sentiment, et qu’elle ait tâché de la rejeter, elle ne s’en doit pas confesser : mais si elle l’avait rejeté négligemment, elle pourrait accuser de cette négligence.

Pareillement si elle avait désiré quelque mal au prochain, ou qu’elle aurait été marrie de son bien par quelque motif de vertu, elle ne s’en doit pas confesser ; ni aussi quand elle a ressenti quelque tristesse, voyant les autres plus vertueux qu’elle, par un désir qu’elle a de s’avancer à la perfection.

Mais elle se pourra confesser si elle s’est portée avec quelque dérèglement à désirer une chose qu’un autre avait comme quelque Office, amitié, faveur, ou autre bien. Pareillement si elle s’est portée trop légèrement dans quelque indignation contre quelqu’un, pour quelques petits défauts qu’elle aura reconnu en lui, l’estimant indigne de sa charge, etc.

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