Nous n'avons besoin que de Dieu seul
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Bienheureuse Angèle de Foligno :
Or voici, mes enfants, ce que j’ai à vous dire ; Sachez (et retenez-le bien) que VOUS N’AVEZ BESOIN DE RIEN QUE DE DIEU SEUL. Trouver Dieu, recueillir et unir à lui votre cœur, voilà votre unique affaire de conséquence et de nécessité.
Et voici ce qu’il vous faut pratiquer pour atteindre à ce grand point.
(3) I. Il faut premièrement, pour bien recueillir votre cœur, et pour le rapprocher de Dieu, que vous donniez absolument congé à toutes vos vieilles coutumes et habitudes inutiles, à toutes vos amitiés, visites et conversations vaines de l’un et de l’autre sexe ; à toutes vos sciences et connaissances de même qualité, à toute curiosité, à tout désir de nouveauté et de savoir ce qui se passe dans le monde, à tous soins et à toutes occupations non-nécessaires, en un mot, il faut se défaire entièrement de tout ce qui ne fait que distraire et que répandre l’esprit au dehors.
(4) II. Après cela, il faut avec tous les efforts dont on est capable tâcher d’entrer et de pénétrer dans l’abîme intérieur de notre grande misère, et là y bien considérer
- combien malheureusement nous avons usé du temps passé ;
- en quel état sont à présent et nos inclinations et nos actions ;
- comment nous continuerons à vivre ; et
- comment si tôt que nous aurons rendu l’esprit, nous aurons pour partage éternel un traitement correspondant à tout ce que nous aurons fait sur la terre.
Il ne faut point passer ces considérations à la légère et sans y bien penser chaque jour ; du moins prenons-les à cœur durant la nuit, pour réparer de la sorte ce qui pourrait avoir manqué aux réflexions du jour.
(5) III. Il ne faut pas moins s’efforcer ensuite de tâcher à bien connaître la grande miséricorde de DIEU, et à ne pas oublier l’immense bonté qui a porté Jésus-Christ à venir se rendre le compagnon de toutes nos misères ; puisque toute notre perfection ne consiste qu’en ces deux points, je veux dire, en la CONNAISSANCE DE DIEU, et en celle DE NOUS-MÊMES.
(6) Pour moi, il m’est impossible de vous entretenir de quoi que ce soit que de cette double connaissance, premièrement de celle de DIEU, et puis de celle de nous-mêmes, qui nous fait voir que l’homme étant toujours dans une sorte prison qui le prive de tout bien, ne doit pas se fonder sur soi-même ; mais chercher hors de soi le bien qui ne se peut trouver dans son triste état.
(7) Ô mes très-chers enfants, tenez pour indubitable que toutes les visions célestes, toutes les révélations divines, toutes les contemplations et tous les dons possibles, ne nous sont rien du tout sans la véritable et la solide connaissance de Dieu et de nous-mêmes. Je vous le redis et vous l’assure encore dans la vérité, que sans cette connaissance-là, tout ne profite de rien à personne. C’est pourquoi je suis surprise que vous me demandiez des lettres, puisque des paroles ne vous sauraient donner ni profit ni consolation, sinon que je les emploie à vous entretenir de cette salutaire connaissance. Aussi ai-je du dégoût pour tout autre sujet ; et il m’est même imposé d’en-haut de tenir le silence sur tout autre matière que sur celle-ci. Priez donc Dieu qu’il vous donne, comme à tous ses autres enfants, sa divine lumière sur ce sujet, aussi bien que la grâce de demeurer fermement fondés sur une vérité si importante.
(8) Il est incontestable que la connaissance de Dieu vous est absolument nécessaire. Car puisque notre fin dernière est le Royaume des cieux, et que nous ne pouvons ni ne devons l’obtenir que par les mêmes moyens et les mêmes voies par lesquelles Jésus-Christ, l’adorable Dieu-Homme, l’a acquis ; il paraît, qu’il est absolument nécessaire de bien connaître ce Dieu-homme, sa vie, ses œuvres et les moyens par lesquels il est entré dans la gloire ; afin que par l’imitation de ses œuvres, et qu’en nous transformant en lui, nous puissions, assistés de sa grâce et de ses mérites, devenir après lui et avec lui les possesseurs de ce Royaume divin.
(9) Mais surtout est-il nécessaire de connaître ce Dieu-homme en tant qu’il a été affligé et crucifié pour nous, et comme nous ayant laissé le patron et la forme de bien vivre que nous devons imiter : Car c’est en cela qu’il nous a donné par des preuves les plus incontestables la connaissance de l’infinité et de l’incompréhensibilité de son Amour beaucoup plus clairement que par aucun autre de tous les bienfaits de Dieu : en conséquence de quoi, si nous ne voulons pas être des monstres d’ingratitude, il faut que nous en devenions tout changés et tout transformés en son divin Amour, jusqu’à l’aimer comme il nous a aimés, à aimer de même tous nos prochains, et compatir souverainement à notre Bien-aimé, qui a tant pâti pour nous, et qui par un très-pur amour qu’il nous porte, a bien voulu embrasser pour notre salut les souffrances et la mort de la CROIX.
(10) La méditation et la connaissance de ce pur Amour, qui a porté Dieu à faire tant de choses pour nous et pour notre rédemption, est aussi sans doute un motif et un moyen très-puissant pour nous avancer dans la connaissance de nous-mêmes : car considéré que Dieu, l’Être très-haut et le Souverain, s’est bien voulu livrer à la mort pour nous ; cela ne nous incite et ne nous dispose-t-il pas à penser un peu qui nous sommes, et qu’il faut bien que nous soyons des créatures d’une nature excellente et de grand prix ? Et en effet, si l’homme n’était une créature des plus nobles et de très-grand prix devant Dieu, le Seigneur aurait-il voulu tant faire et tant souffrir à sa considération ?
(11) Une autre utilité de la connaissance du Dieu incarné et crucifié pour nous, est, que nous nous en trouvons émus à prendre un très-grand soin de notre salut éternel. Car si un Dieu si grand et si souverainement élevé au-dessus de nous, a pris si fort à cœur l’affaire de notre Rédemption et de notre salut, que d’avoir opéré tant de merveilles pour nous le procurer ; à plus forte raison devons-nous nous-mêmes prendre à cœur ce même salut, qui est notre affaire ; et coopérer de tout notre pouvoir par la pénitence à la bonne volonté que Dieu a de nous y introduire.
(12) Il y a encore beaucoup d’autres divins profits, qui sont renfermés dans cette connaissance de Jésus-Christ Dieu-Homme et crucifié pour nous ; mais le principal est, que la considération de ce que nous sommes sauvés par ses souffrances, allume dans les cœurs le feu d’une très-grande dilection.
(13) Mais pour en venir à ce grand Amour, il est absolument nécessaire que ces réflexions-là passent en méditation continuelle, et en une très-profonde connaissance de cet adorable Dieu-Homme mourant sur la croix : Car nous ne l’aimons qu’à mesure de ce que nous le connaissons bien : c’est pourquoi plus de connaissance nous aurons de lui, plus parfait aussi et plus pur en sera l’amour que nous aurons pour lui, aussi-bien que notre transformation en lui. De même, à mesure que nous l’aimerons et que nous serons transformés en son amour, à mesure aussi serons-nous transformés en l’état des souffrances que notre âme contemplera dans cet adorable Homme-Dieu si affligé et si plein de douleurs. Car comme il arrive ordinairement qu’on a de l’amour pour un objet autant qu’on le voit et qu’on le connaît, de même l’âme ressent par un tendre amour les peines et les douleurs de son bien-aimé, et y est transformée aussi avant qu’elle est frappée de leur vue et de leur connaissance.
(14) L’âme donc n’est pas moins transformée en conformité aux souffrances amères de son doux Amant crucifié, qu’elle l’est en son amour par la parfaite connaissance et par la contemplation de Dieu et de soi-même.
(15) Car en considérant bien d’un côté la sur-infinie hautesse de la Majesté de Dieu, (qui me semble être plutôt blasphémée que définie par aucune expression ;) et voyant d’autre côté la bassesse effroyable et l’extrême indignité des pécheurs, avec lesquels néanmoins cette sublime Majesté a bien voulu faire amitié et alliance par le lien de la consanguinité, et même donner sa vie pour eux en mourant honteusement sur un gibet ; plus l’âme pénétrera et approfondira cette merveille infinie, plus profondément et plus passionnément se sentira-t-elle changer et transformer toute entière en l’amour de cet adorable Dieu-humanisé.
(16) Quand ensuite l’âme considère que ses péchés et ceux des autres hommes sont tels, que tout ce qu’elle en saurait connaître est plutôt une ignorance qu’une connaissance, tant leur grandeur et leur nombre est au-delà de sa compréhension ; quand éclairée par la lumière divine elle s’aperçoit que c’est elle seule qui a été la cause des douleurs extrêmes et infinies qui ont affligé le Fils de Dieu ; quand elle envisage comment cette sur-infinie Bonté et Majesté a bien voulu devenir homme mortel pour une si chétive créature, et endurer pour elle des peines et des tourments indicibles si longtemps qu’a vécu en ce monde sa divine Majesté, qui quoi que Créateur du Ciel et de la terre, a néanmoins bien voulu y faire une fin si ignominieuse ; quand, dis-je, une âme voit et considère bien toutes ces choses ; elle en devient toute transformée en douleurs : et plus elle les approfondit et les considère, plus aussi se sent-elle toute pénétrée de tristesse et d’affliction.
(17) De plus, l’âme venant à découvrir que l’homme, cette misérable créature, a encouru par ses péchés la destitution de tous biens, a mérité des peines éternelles, et qu’il est devenu un juste objet de risée à Dieu et à ses Anges, aussi bien qu’aux Démons et à toutes les créatures ; s’apercevant de plus que cette haute Majesté, le Dieu-homme JÉSUS-CHRIST, de très-riche qu’il était, s’est rendu très-pauvre pour relever les hommes de leur pauvreté ; que de très-heureux et jouissant de toutes les délices, il s’est rendu l’homme de douleurs, pour délivrer les hommes de leurs douleurs éternelles et infinies par l’immensité de celles qu’il a endurées en satisfaisant pour eux ; et qu’enfin ce Dieu de gloire, qui est infiniment élevé au-dessus de toutes les louanges, est devenu humble, abject, et obéissant ; a bien voulu être méprisé, avili, injurié ; a bien voulu paraître et être tenu comme la plus chétive et la plus méprisable de toutes les créatures pour retirer l’homme de son état d’opprobre, et le rétablir dans celui de gloire et d’honneur ; quand dis-je l’âme envisage et considère bien toutes ces choses de près, il faut nécessairement qu’elle en soit vivement frappée au cœur, et qu’elle en devienne comme toute transformée en douleurs : et plus elle envisage ces choses et les considère, plus aussi se redouble dans son cœur ce sentiment et cette transformation douloureuse.
(18) Si bien que plus une âme connaît d’un côté la Grandeur et la dignité de Dieu ; la miséricorde, et la bonté immense qu’il nous a fait connaître aussi bien par des effets réels que par la révélation ; et d’autre côté, plus la même âme encore connaît la misère de l’homme, ses défauts, son indignité, son ingratitude, son infidélité, sa bassesse ; plus aussi est-elle touchée et pénétrée de l’amour du Dieu-homme Jésus et de ses douleurs, et plus se sent-elle toute transformer à sa ressemblance, en quoi consiste toute la Perfection de l’homme.