Ordre des Frères Mineurs Capucins
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Le compagnon oublié du Christ : l’abjection

Source: Google Books

De la seconde des compagnes de Jésus-Christ, qui est l’abjection ou l’avilissement. Combien les Chrétiens y sont maintenant opposés. Raisons pourquoi il faut endurer le mépris, soit qu’on ait tort ou non.

(1) La seconde des compagnes, dont le Fils de Dieu s’est associé durant qu’il a vécu sur la terre, a été un parfait mépris de soi, une grande abjection, et une ignominie honteuse, volontaire, et extrême qu’il a voulu subir ici continuellement. Car il y a voulu vivre comme un serviteur et comme un vil esclave que personne ne daignerait réclamer ni protéger, et même comme un esclave des plus scélérats et des plus perdus. Aussi voyons-nous comment il a été déchassé, exilé, affronté, moqué, lié, frappé, bastonné, fouetté, et enfin sans que personne se soucia de le défendre ni d’écouter raison à son sujet, mis comme un vil et misérable esclave au rang des scélérats et des voleurs, condamné avec eux, et puni comme eux du dernier supplice par une mort des plus infâmes et des plus honteuse. Il s’est aussi toujours défendu par paroles et par effets de l’honneur temporel quand on lui en a voulu faire en ce monde ; et il l’a évité et fui aussi constamment, qu’il a embrassé de bon coeur et souffert volontairement une infinité d’opprobres, auxquels il n’avait point donné de sujet ni d’occasion.

(2) Et par effet, quelle cause, quel sujet pouvait avoir donné aux hommes le Seigneur de tout le monde, quelle injure, quel tort leur avait-il fait, pour les obliger à le persécuter presque tous, à le tourner même en ridicule, et joindre contre lui la dérision à la cruauté ? A peine était-il né et emmailloté dans une crèche, que la persécution le chasse dans des pays étrangers : Venu en âge parfait, les uns le traitent de Samaritain idolâtre, de démoniaque et de possédé ; les autres d’homme adonné au manger et au boire, de séducteur, et de faux-prophète : Voici, disaient-ils, un mangeur et un buveur, un homme qui bien loin d’être du nombre des véritables prophètes et des justes, et bien loin de faire des miracles par la vertu de Dieu, ne chasse les démons que par la vertu du prince des démons. Les uns le menaient sur le haut des montagnes et sur le bord des précipices pour l’en précipiter. D’autres levaient des pierres contre lui pour le lapider. On criait de tous côtés contre sa personne en mille manières : les uns en faisaient des railleries sanglantes, d’autres machinaient secrètement contre sa vie ; et les autres en publiaient des calomnies infamantes, lui imputant le blasphème et le dessein de tromper les peuples par les illusions de ses paroles et par l’apparence de ses actions spécieuses ; de sorte qu’on lui donnait la chasse partout, et que personne ne voulait lui servir d’asile. Enfin s’étant unis pour se saisir honteusement de sa personne, ils le firent comparaître en jugement, le traînant lié comme un criminel d’un tribunal à l’autre et d’un juge à l’autre. C’était alors à qui lui cracherait au visage, à qui lui donnerait des soufflets, à qui l’habillerait comme un fou d’un vieux manteau royal, à qui le couronnerait d’épines, à qui lui insulterait par des révérences et des génuflexions moqueuses, à qui lui frapperait le tête à coups de verge en lui voilant le visage ; enfin c’était à qui serait le plus adroit à inventer les moyens de le couvrir de toutes sortes d’opprobres, pendant que d’autre côté ces cruels bourreaux n’étaient pas moins ardents à le tourmenter et à le déchirer à coups de fouet ; que ne pouvant assez satisfaire leur cruauté, ils grinçaient de rage les dents contre lui comme des chiens sanguinaires, qui après l’avoir déclaré méchant et scélérat, le condamnèrent au dernier supplice où ils le firent trainer et exécuter tout nu. Pendant cela, de ses propres disciples l’un l’avait trahi, l’autre renié, et tous ensemble l’avaient abandonné et laissé seul entre les mains de cette troupe de cruels, qui s’en étant saisis, le firent servir de spectacle à tout un monde rassemblé alors de toutes parts à l’occasion de la plus solennelle de toutes les fêtes. Ce fut à leurs yeux qu’ils l’exposèrent publiquement, pendu tout nu à une croix, sur laquelle ils le firent mourir avec autant d’insultes que de cruauté, sa mort, ses pleurs et ses prières mêmes ne leur étant pas moins à dérision que tout le reste de sa vie. Hé bien, disaient les uns, te voilà, toi, qui sais détruire le Temple et le rétablir en trois jours ! C’est, disaient d’autres, c’est celui qui sait sauver les autres ; mais cependant il ne saurait se garantir soi-même ! Et semblables insultes. Et en même temps que ses habits servent de matière au jeu des uns, il y en a d’autres qui vont malicieusement donner du vinaigre et du fiel à ce pauvre mourant qui leur demandait si humblement un peu d’eau pour se désaltérer. Après sa mort même on ne le laisse pas encore en repos : on lui perce le coeur d’une lance, et si quelqu’un n’eût demandé son corps pour l’ensevelir par charité, il courait risque d’être laissé sur la terre tout nu et sans sépulture. Les uns vont encore le traiter de séducteur ; Nous nous souvenons, disent-ils à Pilate, de ce qu’a dit ce séducteur quand il vivaient encore : D’autres suppriment la vérité de sa résurrection, et d’autres la nient tout ouvertement : de sorte que pendant sa vie, à sa mort, et après sa mort, il n’a été que dans un avilissement, un mépris, et un déshonneur perpétuel, état qu’il a voulu rechercher et subir, pour atteindre par là en tant qu’homme à l’état de la résurrection glorieuse, et pour nous élever par ce même moyen à l’état de la gloire souveraine.

(3) Voilà comment ce glorieux Fils de Dieu, notre Docteur et notre véritable Maître, est devenu notre patron et notre exemple, pour nous apprendre à mépriser la gloire temporelle ; et pour nous montrer que bien loin de la devoir rechercher, nous devons plutôt la rejeter lorsqu’elle nous est offerte et présentée : puisque lui-même n’a jamais recherché que la gloire de son Père ; et que pour la sienne propre, tant s’en faut qu’il l’ait recherchée, qu’au contraire il l’a rejetée et méprisée, s’abaissant du Ciel jusque sous les pieds de ses disciples, et s’étant anéanti soi-même en prenant la forme d’un serviteur, et devenant obéissant jusqu’à la mort : et encore, quelle mort ? non certes une simple mort, mais une mort des plus déshonorables et des plus ignominieuses, et tout ensemble, des plus douloureuses, c’est à savoir, la mort infâme et cruelle de la croix.

(4) Mais hélas, hélas ! Où trouver à présent quelqu’un qui chérisse cet apanage et cette société du Fils de Dieu ? Où trouver des personnes qui fuient les honneurs, et qui aiment la honte annexée à la pauvreté, à des états bas, à des offices abjects, et à toutes les choses humiliantes ? Où en trouver qui n’aient point d’aversion pour être anéantis, abaissés, méprisés ? Chacun ne désire-t-il pas d’être loué et estimé à raison du bien qu’il a, qu’il fait, qu’il dit, ou qu’il s’imagine d’avoir et de faire ? Et ne court-on pas même après les flateurs jusqu’à applaudir honteusement à toutes leurs vaines flateries ? En vérité il n’y a personne qui n’ait corrompu sa voie en abandonnant celle de Dieu : et l’on peut dire positivement, qu’il n’y en a pas un seul qui fasse et qui pratique ce bien solide dont je viens de parler. Si néanmoins il y en avait quelqu’un d’excepté, ce ne pourrait être qu’une âme qui fut unie avec Jésus-Christ comme un membre avec son chef, par le lien d’un amour véritable et vivant ; et qui voyant que son Roi, son Maître et son divin Chef a voulu aimer et chérir cette compagnie là, veut se rendre conforme à sa divine volonté par l’amour qu’elle lui porte.

(5) J’entends, ce me semble, que plus d’un me dira ici : Pour ce qui est de moi, assurément j’aime Dieu ; et je cherche même à l’aimer encore davantage : c’est pourquoi je me soucie aussi fort peu de l’honneur du monde, et qu’on me le refuse ; toutefois je ne saurais souffrir qu’on me fasse du déshonneur ; et je ne puis consentir à être ni abaissé, ni outragé, ni affronté et couvert de confusion devant le monde. Voilà une marque évidente d’une bien petite foi, d’une faible justice, d’un amour bien borné, et d’une très grande tépidité ! Celui qui parle ainsi doit considérer, ou bien qu’il a commis en effet des choses pour lesquelles il est digne de honte et de confusion, (et il y en a peu qui soient innocents sur cet article), ou qu’il n’en a point commises. S’il en a commis, soit manifestement ou en secret, et qu’il veuille agir en véritable pénitent, et non pas en faux juste, il est très juste qu’il souffre et qu’il endure non seulement avec patience ; mais même en s’y plaisant de corps et d’esprit ; parce que la peine de cette honte et de cette confusion, quand il la souffre avec patience, satisfait à ce qu’il doit à Dieu et au prochain selon la volonté de la justice de Dieu. Mais s’il n’a rien commis de mauvais ni par effet ni de volonté, il doit souffrir encore la honte et la confusion, si Dieu le permet ainsi, avec cent fois plus de patience et de joie que dans le premier cas ; parce qu’alors tout ce qu’il endure de confusions et d’opprobre, lui tourne à augmentation de grâce ; et que la grâce s’augmentant, lui devient le sujet d’une plus grande mesure de gloire et de récompense : et il n’y a point de doute que les âmes saintes et les vrais amis de Dieu ne croissent et ne se perfectionnent de la sorte par le moyen des humiliations lorsqu’elles leur arrivent sans que ce soit par leur faute, et qu’ils les souffrent avec patience : tout de même aussi que se perfectionnent ceux qui endurent pour l’amour de Dieu la pauvreté et les autres afflictions. Certainement Jésus-Christ n’a aimé les opprobres, et fui les honneurs, que pour apprendre par là à ses amis comment en l’imitant ils pourront croître en mérite et en grâce.

Voilà comment cette seconde compagnie a toujours été indissoluble d’avec la vie de Jésus-Christ, de laquelle si nous voulons bien considérer le commencement, le milieu et la fin, nous verrons, qu’elle n’a été que pure humiliation, par déshonneur et avilissement continuel, le Fils de Dieu ayant toujours été improuvé et rebuté du monde, et de tous ceux qui aiment le monde.

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