Le premier Général : Saint François d’Assise
Esquisse biographique
1 Origines de l’Ordre franciscain et sources historiques du récit 2 Jésus-Christ révèle à Saint François la vie à mener 3 L’imitation du Christ 4 La conformité de la vie franciscaine avec celle du Christ 5 À quoi doivent ressembler les maisons des frères
(1) Le premier Général et Fondateur de l’Ordre des Mineurs fut notre Père Séraphique Saint François. Dieu le convertit miraculeusement des vaines préoccupations de ce monde. Notre Sauveur Jésus-Christ lui révéla comment il devait vivre selon la forme du Saint Évangile, et qu’il devait écrire sa Règle pour lui-même et pour tous ceux qui, désormais, voudraient l’observer. Le Père Séraphique commença donc l’Ordre des Mineurs en 1206, comme cela apparaît dans le Memoriale de l’Ordre. Le Pape Innocent III approuva la première Règle pour lui, et plus tard celle que nous avons actuellement fut approuvée par le Pape Honorius. Comme cela est évident dans les Chroniques de l’Ordre, l’ensemble de l’Ordre observa cette Règle inviolablement dans son plus haut degré de perfection pendant vingt ans, du vivant du Père Séraphique Saint François.
Je sens que je ne dois pas passer sous silence les choses merveilleuses que le Seigneur Dieu accomplit par l’intermédiaire de notre Père Saint François. Afin que l’on ne pense pas que je parle de moi-même, j’ai estimé devoir rapporter ce qu’écrivent à ce sujet les Trois Compagnons du Père Saint François, à savoir le Frère Léon, le Frère Rufin d’Assise et le Frère Ange de Rieti. Cela figure dans leur légende intitulée La Légende des Trois Compagnons. Voici ce qu’ils disent.
(2) Avec une grande humilité, comme un petit enfant, Saint François comprit et accepta que la volonté de Jésus-Christ lui avait été transmise du ciel concernant les choses qu’il écrivit dans la Règle. Il était assuré que toutes ces choses étaient conformes à la volonté de Jésus-Christ. Car lorsqu’Il lui apparut un jour crucifié, Il lui dit : « François, suis-moi. » Le Saint-Esprit l’embrasa par ces paroles. Lorsqu’il vit le Sauveur du monde, qui voulait mourir sur la croix et mourir entre deux larrons pour le salut de tous, il résolut fermement de suivre le Christ nu. Il envisageait de s’éloigner de sa patrie et de se séparer de tous les tumults du monde, tout comme nous lisons que Sainte Marie-Madeleine et d’autres Saints achevèrent leur vie dans de rudes déserts avec une pénitence remarquable par amour du Christ. Ou bien, en véritable échange avec le Seigneur qui est mort pour nous, devait-il aller parmi les infidèles et, tel un Apôtre du Christ, leur prêcher la sainte foi et recevoir le martyre pour cette foi.
(3) Laquelle de ces deux voies serait la plus agréable au Seigneur Dieu ? Comme il doutait de cela, pendant de nombreux jours il se tourna entièrement vers le Seigneur Dieu par une prière dévote. Avec un immense désir et beaucoup de larmes, il demanda à Sa Majesté, de qui viennent toutes les grâces et de qui nous recevons tout bien en ce monde, de l’éclairer et de l’assurer. Alors, par Sa miséricorde habituelle et infinie, Il lui apparut à nouveau et lui dit : « Suis-moi et reste proche des pas de ma pauvreté et de mon humilité. Car suivre ma vie, me ressembler et se conformer à la vie que j’ai menée dans le monde avec mes Apôtres avec tout amour et toute perfection, ce n’est rien d’autre que le but de toute perfection. De là découlent, en ce monde et dans l’autre, tous les dons et les richesses spirituelles que j’ai promis à tous ceux qui me suivront parfaitement. Ils recevront l’accomplissement de toute grâce et de toute gloire que j’ai préparé pour mes élus. Alors, si tu t’attaches à moi de tout ton cœur, de tout ton esprit, de toute ton âme et de toute ta force, pour que toute ton intelligence soit en moi et à mon sujet, et que toutes tes paroles soient pour ma gloire et pour l’aide et le soutien de mes élus, ordonnant toutes tes actions pour ma gloire et mon amour, je serai tellement satisfait de toi que tu seras mon serviteur et je te soutiendrai toujours. Et comme j’ai dit à mes Apôtres que lorsqu’ils seraient interrogés par les princes du monde, ils ne devaient pas penser à ce qu’ils devaient répondre, car le Saint-Esprit parlera par leur bouche, ainsi je parlerai par ta bouche. Celui qui t’écoutera, m’écoutera. Celui qui t’accueillera, m’accueillera. Celui qui te bénira, sera béni par moi. Celui qui te maudira, ne restera pas impuni. Toi donc et tous les Frères que je te donnerai, vous vivrez à mon image, comme des étrangers et des pèlerins, morts au monde et à vous-mêmes en toutes choses, et vivants uniquement pour moi. Fonde donc ta personne, ta Règle et ta vie sur la pauvreté et sur la nudité de ma croix. Car tous les dons des richesses de la grâce et de la gloire que je partage sont fondés sur, situés dans, et trouvés dans ma pauvreté. L’infinie et bienheureuse fécondité de tous mes dons découle de l’observance et de la véritable pratique de mon humilité. Car les hauteurs de mon humilité sont montrées dans l’Évangile à tous ceux qui le suivront en ce monde. Et celui qui le suivra trouvera la paix et la miséricorde, un immense repos en ce monde, espérant dans les mérites de ma passion et dans ma miséricorde, et, de là, par la foi, l’espérance et la charité, dans la vie future, dans ma demeure éternelle, ils recevront la fécondité de mon essence divine, en quoi consiste l’accomplissement de toute joie et de toute gloire.
« Sache que je veille toujours et que je suis satisfait de ceux qui aiment véritablement et possèdent mon humilité et ma pauvreté. C’est pourquoi la Congrégation de ton Ordre sera appelée l’Ordre des Frères Mineurs, afin que par ce nom ils comprennent qu’ils doivent être véritablement humbles de cœur, plus que tous les autres. Je glorifierai merveilleusement quiconque est revêtu de ce vêtement, car l’humilité fut le vêtement de mon honneur et de ma louange. Par conséquent, quiconque sera vêtu de cet habit à sa mort trouvera ouvertes les portes de mon royaume. »
(4) « Sache donc, François, que j’ai demandé à mon Père, en cette dernière époque, un peuple pauvre, humble, serein et doux. Dans la pauvreté et l’humilité, il sera semblable à moi en tout et ne sera heureux qu’en moi seul. Dans ce monde, je me reposerai spirituellement dans ce peuple et je trouverai la paix dans leurs cœurs.
De même que le Père se repose et demeure en moi, ainsi ce peuple se reposera et placera toute son espérance en moi, et aura confiance en ma providence pour tout et en tout. De même que je dépends de mon Père par la génération infinie, ce peuple dépendra spirituellement de ma providence et ne voudra rien posséder de terrestre, mais espérera en ma providence pour tous ses besoins. Il se reposera totalement en moi, tout comme je me repose complètement en mon Père et dans le Saint-Esprit.
C’est pourquoi mon Père m’a donné toi, ainsi que ceux qui, de tout leur cœur, avec une foi sincère et une charité parfaite, viendront à moi par toi et par ton intermédiaire. Je te promets que je les conduirai et les ferai paître, et ils seront mes enfants adoptifs. Je serai leur père, et celui qui t’accueillera, m’accueillera. Quant à celui qui te persécutera et te méprisera, mon jugement sera sur les persécuteurs et les dédaigneux. Ma bénédiction reposera sur tous ceux qui t’accueilleront et te soutiendront dans mon service. »
« Mon Évangile sera votre règle. Ma vie sera la vôtre et ma croix sera votre repos. Mon amour sera votre vie. Ma mort sera votre espérance et résurrection. Les insultes et blasphèmes que j’ai reçus dans ce monde seront vos honneurs et vos richesses, bénédictions et louanges. Mon acceptation de la mort et des tourments sera votre vie, votre joie et votre gloire. Ne désirez donc rien sous le ciel. Votre part et votre richesse en ce monde consisteront à vous humilier et à vivre soumis à toute créature, à être les plus petits, acceptant d’être affligés et vilipendés. Telle sera votre joie.
(5) Ainsi les lieux où vous vivrez en étrangers et pèlerins pour me servir et me louer seront humbles et pauvres, construits avec des matériaux simples, de boue et d’osier. Ils seront éloignés du bruit et de la vanité du monde. Ils seront sous la juridiction, la propriété et la domination d’autrui. Acceptez ces lieux avec humilité, avec la permission, l’obéissance et la bonne volonté des Ordinaires et du Clergé. Habitez-les comme des étrangers et des pèlerins aussi longtemps qu’il plaira aux véritables propriétaires et aux Ordinaires. Soyez toujours prêts à partir avec joie et gratitude envers ceux qui vous y ont accueillis jusque-là. Ainsi, ils seront comme moi, car en s’exerçant à mon service, ils vivront dans d’autres lieux comme étrangers, à l’image de mon propre pèlerinage, puisque, Seigneur de toutes choses, je n’ai rien voulu posséder sur la terre si ce n’est ce que je tenais sous le pouvoir d’autrui. Prêchez donc ma vie par l’exemple, et mon nom par les œuvres et par les paroles. Car lorsqu’on vous chassera et qu’on vous expulsera, vous quitterez ces lieux plus facilement, parce que vous n’y résidez pas. Par cet exemple, vous montrerez parfaitement que vous n’avez aucun attachement à ces lieux.
Le Testament
6 Le Testament est une déclaration de la Règle 7 Soumission et respect de la hiérarchie ecclésiastique 8 La manière de s’habiller et les rapports avec les séculiers 9 Le travail manuel et la mendicité 10 Les privilèges 11 Les gloses ne doivent pas être faites
(6) C’est pourquoi, lorsqu’il était proche de la mort, il fit son Testament dans lequel il dit : « Après que le Seigneur m’eut donné des Frères et des compagnons, personne ne me montra ce que je devais faire. Cependant, le Très-Haut me montra que je devais vivre selon la forme du saint Évangile. Lorsque ces choses me furent révélées, je les fis écrire brièvement et simplement, et Sa Sainteté me les confirma. » Il écrivit le Testament comme une clarification de la Règle et pour une observance plus saine et plus pure de celle-ci, afin que les Frères sachent, dans toute humilité, être toujours soumis à la Sainte Église et aux Prélats de cette Église. C’est pourquoi il ajoute : « Afin que nous observions la Règle et le saint Évangile d’une manière meilleure et plus catholique. » Ainsi, il montra clairement que ce qu’il avait écrit dans le Testament et dans la Règle, il l’avait reçu du Christ.
(7) Les Trois Compagnons disent donc que le Saint voulait que nous soyons soumis à l’Église, afin que nous obéissions non seulement aux Prélats majeurs, mais aussi aux plus humbles prêtres qui vivent selon la norme de la Sainte Église. Lorsqu’il voyageait et rencontrait des prêtres, il leur baisait non seulement les mains, mais bien souvent aussi les pieds de leurs chevaux. Telle était sa dévotion envers eux, puisqu’ils sont les ministres de la Sainte Église et des Très Saints Sacrements. Il considérait la grande dignité dont le Seigneur Dieu les avait ornés en leur donnant le pouvoir de fermer et d’ouvrir le ciel, et de consacrer le Corps et le Sang du Sauveur du monde. Il ne voulait pas non plus prêcher contre la volonté des prêtres et des recteurs, même les plus insignifiants. Il voulait également que les théologiens et les prédicateurs de la Parole soient tenus en grande vénération, considérant que par les Saintes Écritures ils nous administrent esprit et vie. Il ne voulait pas non plus que son Ordre s’éloigne des rites et cérémonies de la Sainte Église dans la célébration et les offices, mais qu’il se conforme toujours à elle en toutes choses. C’est pourquoi il disait : « Qu’ils fassent l’Office selon l’ordre de la sainte Église romaine. »
(8) Ensuite, il organisa son Ordre en donnant aux Frères une norme concernant l’habit, lorsqu’il écrivit pour eux l’exemple de la manière dont lui, le Père Saint François, et tous les premiers Pères s’habillaient. Il disait : « Nous nous contentions d’une seule tunique, rapiécée dedans et dehors, et nous ne voulions rien de plus. » Il espérait que cette indication d’un tel Père suffirait pour les fils bons et zélés qui voudraient le suivre, cependant sans ôter l’autorité que la Règle nous donne de pouvoir utiliser une seconde tunique ou un manteau à la place, tout comme nous trouvons que ce Père et tous ses compagnons portaient parfois cet habit.
Ce Père voulait aussi que ses Frères conversent avec toute humilité et douceur afin qu’ils montrent qu’ils sont soumis à tous dans une totale humilité, en bannissant d’eux toute manifestation d’orgueil intérieur et extérieur dans leur manière de parler, de converser et en toutes choses.
(9) Notre Père saint François voulait également que les Frères qui avaient la grâce de pouvoir travailler, travaillent de leurs mains et reçoivent en échange la nourriture nécessaire, se conformant ainsi aux premiers Pères qui tous avaient intégré le devoir de travailler dans leur Règle. Il fit cela pour éviter l’oisiveté et pour se rapprocher davantage des saints Apôtres. Il est écrit au sujet de l’Apôtre Paul que, bien qu’il écrivît des épîtres et guidât l’Église, il vivait néanmoins de son travail. En fait, il s’en glorifie en disant : « De ces mains j’ai gagné ce qui était nécessaire à la subsistance de moi-même et de mes compagnons. » Car le Seigneur dit : « Il vaut mieux donner l’aumône que de la recevoir. » C’est pourquoi notre Père saint François a écrit dans son Testament : « J’ai travaillé de mes mains et je veux travailler, et je veux fermement que mes Frères travaillent. » La plupart des compagnons de saint François vivaient de leur propre travail. Cependant, sachant qu’il était difficile pour tout l’Ordre de vivre uniquement du travail, il permit en second lieu de pouvoir mendier ce qui leur était nécessaire. C’est pourquoi il dit : « Si le salaire de leur travail ne leur est pas donné, qu’ils aient recours à la table du Seigneur. » Les Trois Compagnons disent donc que le bienheureux François avait appris cela du Christ, qui mendia pour vivre pendant les trois jours qu’Il passa dans le temple. Pour les évangélisateurs pauvres, il est un grand honneur de demander l’aumône pour l’amour de Notre Seigneur, puisque toutes les créatures ne peuvent égaler l’amour de Dieu, car Sa Majesté les a créées pour le bénéfice de l’homme. Toutefois, après le péché du premier homme, Dieu nous a accordé ces choses par grâce et non par justice, puisque nous nous sommes éloignés de notre Père par le péché. Ainsi, c’est par l’aumône et par grâce que nous recevons toutes ces choses, que nous soyons élus ou réprouvés. Ses grâces et ses dons pleuvent sur les dignes comme sur les indignes. Il le fait par amour pour Son Fils bien-aimé Jésus-Christ. Par conséquent, ce qui est demandé et donné pour l’amour de Dieu et de Jésus-Christ, Son Fils, qui s’est fait pauvre pour nous enrichir, nous rendre bienheureux et nous sanctifier en ce monde par la grâce et dans l’autre par la gloire, devrait plutôt être appelé nourriture des Anges que nourriture des hommes. Il disait que l’aumône était l’héritage qu’Il avait acquis avec Son précieux sang. Tous les fidèles pauvres sont héritiers de cet héritage et, par lui, deviennent maîtres comme de fidèles fils de Jésus-Christ. Ils reçoivent cet héritage en son saint nom, comme s’ils réclamaient ce qui leur revient légitimement par le saint nom de Jésus-Christ, disant : « Donnez-nous l’aumône pour l’amour de Jésus-Christ, c’est-à-dire, donnez-nous cette part qui nous revient justement et que le Sauveur du monde nous a laissée en héritage. »
(10) Il ne voulut jamais non plus que les Frères recherchent des privilèges de la Sainte Église à aucun moment. Il disait : « Je commande fermement qu’ils ne reçoivent pas de lettres de la cour romaine. » Ces privilèges nous ôtent la simplicité et la pureté du renoncement à toute chose terrestre. De plus, ils nous imposent subrepticement la juridiction et la possession des biens terrestres.
(11) Il ne voulut pas non plus que les Frères développent ou commentent la Règle, car le sens littéral de la Règle en est le vrai sens. Une fois, il se réunit en secret avec quelques-uns de ses compagnons, à savoir frère Bernard de Quintavalle, frère Gilles, frère Ange, frère Masseo et frère Léon. Il leur dit : « Sachez, mes bien-aimés, que bien que je sois la créature la plus basse du monde, néanmoins, afin que vous grandissiez en révérence et en confiance envers votre vocation et la Règle, Dieu m’a révélé qu’Il ne s’est montré familièrement qu’à très peu de saints aussi rares qu’Il l’a fait pour moi et qu’Il le fait encore. Toutes les fois que je me recommande à Lui afin qu’Il daigne me montrer quelque chose pour le bien de l’Ordre, Il se manifeste avec bonté et répond à toutes mes préoccupations. Je ne fais rien concernant la direction de l’Ordre que le Christ n’ait d’abord confirmé comme étant Sa volonté. »
Comment saint François rédigea la première Règle
12 Les premiers compagnons de François 13 La seconde Règle franciscaine 14 Confirmée par le Pape
(12) Avant que notre Père saint François ait écrit la Règle, il plut au Seigneur Dieu d’augmenter l’Ordre jusqu’à douze Frères. Il les donna au Père Séraphique saint François comme compagnons bien-aimés et frères, semblables aux douze Apôtres, au milieu desquels se trouvait le Bon Pasteur, Jésus-Christ. Il n’était pas comme quelqu’un qui voulait être servi par eux. Il était comme le dernier, le plus humble. Car cette immense Bonté n’est pas descendue du ciel pour être servie mais pour servir. De la même manière, le humble François était humble parmi ses compagnons. Il les servait avec tant de charité, se considérant le plus petit non seulement parmi ses frères mais encore parmi toutes les créatures. Il voulait se conformer entièrement à Celui qui l’avait appelé du monde à un état si élevé. Éclairé par le Christ, il ne désirait rien d’autre que suivre les traces et les enseignements de son Seigneur. Il comprit que c’était la volonté de Dieu d’écrire des normes et un mode de vie conforme à l’Évangile du Christ et à la vie apostolique, car peu après, ils furent au nombre de douze. Leurs noms étaient : frère Bernard de Quintavalle d’Assise, frère Pierre Catani, frère Gilles, frère Sabbatino, frère Jean de la Chapelle, frère Morico, frère Philippe Longo, frère Constantin, frère Barbare, frère Philippe le laïc, frère Bernard de Violanti et frère Ange Tancrède d’Arieti.
(13) Ainsi, pendant que saint François était en prière, avec beaucoup de larmes il se recommanda au Seigneur Dieu afin qu’Il lui montre ce qu’il devait faire. Le Seigneur lui apparut avec bonté et lui dit : « Recueille-toi et écris ce que je vais te montrer, puis présente-le à mon Vicaire » (c’est-à-dire le pape Innocent III). « Demande-lui de ma part de le confirmer pour toi et pour tous tes compagnons, ainsi que pour tous ceux qui voudront l’observer. Ceux qui l’accueilleront et l’observeront avec humilité recevront mon Esprit. Ils seront revêtus de la lumière de ma splendeur. Mais ceux qui le mépriseront et le violeront seront enveloppés dans l’obscurité et les ténèbres du péché. Ils deviendront pires que les autres hommes pour être tombés d’une vocation et d’un état si élevés. »
S’étant retiré, notre Père saint François écrivit donc la seconde Règle, car auparavant il en avait rédigé une très longue par lui-même. Elle n’était pas divisée en chapitres et ne fut jamais mise en pratique dans l’Ordre. On peut en voir quelques exemples que possèdent les Pères Zoccolants, comme on peut les observer dans le couvent d’Arezzo en Toscane. Le pape Innocent III approuva cette Règle et tout l’Ordre l’observa pendant quelques années. Cependant, il n’est pas généralement cru que le Christ la lui ait révélée, sans quoi il n’aurait pas été nécessaire d’en rédiger une autre, la troisième, que nous observons aujourd’hui. On croit que celle-ci lui fut révélée par le Christ de vive voix. Une fois qu’elle fut écrite, frère Élie la lui usurpa, comme cela sera expliqué en son temps.
(14) Ainsi, quand cette seconde Règle fut écrite, notre Père saint François rassembla tous ses compagnons et, avec cette compagnie sainte et dévote, se présenta devant Sa Sainteté le pape Innocent III, lui demandant confirmation. Cependant, comme Sa Sainteté estimait que cette Règle était trop austère et difficile à observer, compte tenu de la nature humaine, il encouragea avec bonté notre Père saint François à adopter une autre règle plus facile, ou à se soumettre à l’une des Règles déjà approuvées.
Cependant, il demeura ferme dans sa première intention. Il affirma que le Christ l’avait envoyé demander à Sa Sainteté la confirmation de cette Règle, et non d’une autre. Sa proposition resta ferme. Alors, mûs par l’Esprit Saint, en présence des Cardinaux et de Sa Sainteté, messire Jean de Saint-Paul, évêque de Sabine et Cardinal, ainsi que messire Hugues, évêque d’Ostie, prirent la défense de saint François. Ils plaidèrent avec efficacité que Sa Sainteté devait approuver la Règle. Et il plut au Très-Haut Dieu, qui n’arrête jamais d’éclairer le Pasteur de la Sainte Église, de faire voir en songe au pape, cette nuit-là, un pauvre homme semblable à saint François. Il soutenait sur son dos l’église de Saint-Jean-de-Latran qui menaçait de s’effondrer, et il la soutenait vaillamment.
Instruit par l’Esprit Saint, saint François se présenta de nouveau le lendemain matin devant Sa Sainteté et lui exposa la parabole d’une pauvre femme. Elle avait enfanté des fils pour un Roi et les avait nourris au désert. Comme ils ressemblaient beaucoup au Roi, celui-ci, passant par ce désert, reconnut ses enfants. Les aimant, il les tira du désert, les fit manger à sa table au palais et les fit héritiers de son royaume. Par cette parabole, il voulait montrer que les serviteurs de Dieu lui ressemblent par la grâce. Quand Sa Majesté reconnaît ceux qu’Il a créés et régénérés par Sa mort, Il ne peut manquer de prendre soin d’eux comme de Ses propres enfants.
Comme il semblait surtout impossible à Sa Sainteté de pouvoir vivre sans rien posséder en commun, notre Père saint François voulut lui montrer que Dieu prendrait soin d’eux, comme Il le lui avait promis dans la révélation. Et c’est au nom du Christ qu’ils lui demandaient la confirmation de cette Règle.
Alors Sa Sainteté comprit que ce que demandait saint François venait du Christ et non d’une invention humaine. Il en remercia Dieu, accorda à saint François tout ce qu’il avait demandé, et avec grande bonté le bénit ainsi que ses compagnons. Par son autorité, il les établit prédicateurs de l’Évangile et leur promit, dès lors, de leur accorder tout ce qui serait nécessaire au bon gouvernement et à la croissance de l’Ordre. En quittant Rome, Sa Sainteté voulut que les Frères laïcs aient une petite tonsure afin qu’ils puissent prêcher l’Évangile du Christ plus dignement.
Comment l’Ange de Dieu lui apparut sur la route
15 L’apparition d’un Ange 16 Dans l’ermitage de Rivotorto 17 Saint François console ses compagnons affligés
(15) Il plut à la très haute et infinie Vérité de leur montrer par les faits ce qu’elle leur avait promis par des paroles. Car, ayant déjà reçu la règle approuvée, les serviteurs de Dieu retournèrent dans la vallée de Spolète avec grande ferveur. Et comme il plaisait à Sa Majesté, en chemin ils se trouvèrent en des lieux isolés, fort éloignés des maisons, et n’ayant rien à manger. Le moment du repas était passé, et ils étaient épuisés par la fatigue du voyage. Ne pouvant plus avancer à cause de leur faiblesse, voici que survint le secours du Seigneur. Un jeune homme très beau leur apparut soudain et leur donna du pain.
Quand il se mit à parler de la Providence de Dieu, et de la manière dont Il prend soin de ses serviteurs avec bonté et tendresse, ils se sentirent intérieurement illuminés, leurs cœurs embrasés d’amour pour Dieu au point qu’ils reconnurent clairement qu’il s’agissait de l’Ange de Dieu. Ils furent si profondément consolés par les paroles de l’Ange qu’ils en restèrent stupéfaits et émerveillés. Et lorsqu’ils regardèrent son visage, il disparut soudain de devant eux, les laissant ravis, hors d’eux-mêmes.
Revenus à leurs sens, ils tombèrent tous ensemble à genoux sur le sol et renouvelèrent leur profession, promettant à Dieu d’observer la Règle et de ne jamais faillir à sa véritable observance à cause d’aucune tentation, diabolique ou humaine, ni par quelque nécessité corporelle, même s’il fallait mourir. Après avoir rendu grâce à Dieu d’innombrables fois, ils reprirent leur chemin, comprenant et étant bien instruits de combien Dieu aimait l’Ordre et combien clairement Il leur avait montré que cet Ordre venait de Lui. Par les paroles de l’Ange, ils reconnurent que Dieu prend plus soin du corps et de l’âme de Ses serviteurs qu’une mère de son enfant bien-aimé. Ils sont son premier souci au ciel et sur la terre. Ils comprirent qu’il est impossible que Dieu ne pourvoie pas à leurs besoins corporels et spirituels. Il est toujours prêt à entendre leurs prières et à accomplir en eux leurs saints désirs. Car Il a dit : « Je ne vous laisserai pas et ne vous abandonnerai pas. » Et ailleurs : « Ne craignez point, petit troupeau, car il a plu à votre Père de vous donner le Royaume des cieux » — combien plus alors les choses nécessaires à la vie.
(16) Lorsqu’ils furent revenus dans la vallée de Spolète, ils vécurent dans la plus grande pauvreté dans une cabane appelée Rivo Torto. Ce fut le premier couvent de l’Ordre, à environ un mille de la ville d’Assise. Dans ce petit lieu, il plut au Seigneur Dieu de commencer Son Ordre, et Il y accomplit des merveilles. Le bienheureux François et sa sainte compagnie s’y étaient rassemblés, et comme ils étaient inconnus et que l’Ordre était nouveau, ils souffraient souvent du manque de pain et d’autres moyens de subsistance. Comme le racontent les Trois Compagnons, ils survivaient souvent uniquement avec des navets. Les parents les persécutaient, car à cette époque, il semblait aux hommes du monde impossible, et une grande folie, que quelqu’un se prive volontairement de richesses et vive dans une telle pauvreté par amour pour le Christ, ayant méprisé les choses du monde.
Car ils avaient connu auparavant notre Père saint François comme un homme généreux et fortuné, se délectant des plaisirs mondains et vains. Il en allait de même pour le bienheureux Bernard, qui était un gentilhomme riche. Et maintenant, ils le voyaient pieds nus, mal vêtu, mendiant des morceaux de pain. À leurs yeux, cela paraissait vain et insensé. Ainsi, tous les persécutaient et les méprisaient grandement.
Mais d’un autre côté, la Bonté divine ne manquait pas de les éclairer intérieurement et de les réconforter. C’était chose merveilleuse. Bien que saint François sût que dans d’autres régions et cités que la sienne, ils auraient été reçus comme religieux, pourtant il n’abandonna ni ne quitta le lieu où il expérimentait persécution et mépris. Car il était enflammé de l’amour de Dieu et du mépris de soi-même, si bien que là où il savait pouvoir être mortifié et souffrir davantage par amour pour Jésus-Christ, là il restait. Aussi l’Esprit Saint fit d’eux de vaillants combattants contre le monde lui-même.
Comme les Frères s’étaient multipliés sous leur Père et maître saint François, ils croissaient aussi chaque jour en vertu. Et comme ils étaient appelés Mineurs, ainsi l’étaient-ils en tout, par amour pour le Christ, tant en paroles qu’en conduite. Ils étaient humbles et méprisés aux yeux de tous, soumis à toute créature. Ils s’aimaient entre eux d’un amour admirable.
Une fois, deux d’entre eux allaient mendier des choses nécessaires pour l’amour de Dieu. Un homme méchant jeta une pierre sur l’un d’eux. Son compagnon, s’en rendant compte, se plaça aussitôt devant lui pour recevoir la pierre à sa place plutôt que son frère.
Leurs paroles, lorsqu’ils parlaient de l’amour de Dieu, étaient si pleines de dévotion et d’ardeur qu’elles inspiraient cet amour à tous ceux qui les écoutaient. Ils se vénéraient mutuellement avec une telle religiosité qu’aucun d’eux n’était considéré comme le plus grand, car tous étaient tenus pour grands. Ils étaient joyeux, riaient avec modestie, et leur esprit était toujours gai et content. Jamais ils n’étaient oisifs, et souvent ils allaient travailler aux champs une partie de la journée et recevaient ce dont ils avaient besoin comme salaire.
Lorsque notre Père saint François envoyait certains d’entre eux dans des contrées lointaines, ceux qui restaient se dissolvaient en larmes, tant il leur était pénible de se séparer les uns des autres. Quelle que fût la difficulté ou la rudesse d’un commandement, jamais ils ne le contredisaient, mais accomplissaient avec empressement les préceptes de leur Père. Ils étaient très fervents dans la sainte prière, et souvent ils étaient attaqués par le diable, par le sommeil ou par la nécessité corporelle. Pour ne pas dormir et rester vigilants, ils s’attachaient afin de rester debout et de ne pas succomber au sommeil. Certains utilisaient du fer, d’autres s’attachaient avec du bois ou des cordes de saule tressées.
(17) En ce petit lieu, notre Père saint François leur apparut transfiguré en un char de feu. C’était chose étonnante. Car tandis que saint François priait dans le jardin de Saint-Rufin, l’église cathédrale de la ville, il fut élevé en esprit et ravi dans ce char. Trois fois il fit le tour du petit lieu, et son éclat extérieur était tel qu’il illumina tout autour. Bien qu’il fût en pleine nuit, cette clarté pénétra par les fenêtres, et le bruit fut si grand qu’il réveilla ceux qui dormaient. Ceux qui étaient éveillés furent saisis d’émotion, car ils se connaissaient intérieurement par une lumière surnaturelle. Et par les fenêtres, ils virent clairement le Père et maître transfiguré d’une manière merveilleuse, à l’image du Sauveur du monde.
Peu de temps après, lorsque la vision disparut, il revint corporellement auprès de ses fils et leur révéla l’avenir de l’Ordre. Il leur dit : « Ne craignez pas d’être si peu nombreux, car le Seigneur Dieu m’a révélé qu’Il veut répandre cet Ordre saint dans le monde entier. Des hommes saints de toutes les nations sous le ciel viendront pour prendre l’habit. Ils viendront de toutes conditions : ornés de science, de noblesse, tant clercs que laïcs. Je vous le dis : dans peu de temps, le Seigneur Dieu augmentera cet Ordre, car le bruit de leurs pas résonne déjà à mes oreilles. »
Comme ils ne possédaient pas de livres dans ce lieu pour pouvoir réciter l’Office, notre Père saint François fit ériger une grande Croix près de la maisonnette et, d’une voix forte, il chanta : Ecce lignum crucis, venite adoremus. Puis chacun se retira pour faire l’oraison mentale et d’autres prières privées.
Comment saint François alla chez le Sultan et composa ensuite la seconde Règle que nous observons aujourd’hui
18 Zèle pour le salut des âmes 19 Troubles dans l’Ordre pendant l’absence du Fondateur 20 Il retourne en Italie 21 Il écrit la Règle à Fonte Colombo 22 La conduite du frère Élie et des Ministres 23 Une petite variation introduite dans le texte par le Pape 24 Observation du saint Évangile
(18) Presque comme un Séraphin enflammé, le divin François resplendissait partout par son enseignement et ses miracles. Il montrait que l’Esprit du Christ vivait en lui. Il ne pouvait trouver de repos tant qu’il ne mourait pas en prêchant la sainte foi du Christ, par amour pour Lui. Il désirait toujours se conformer parfaitement à Sa Très Haute Majesté, qui voulut mourir en croix pour le salut universel. Lui aussi désirait mourir pour le salut de son prochain et s’offrir à la mort comme une victime pure en sacrifice. La treizième année de sa conversion, son Ordre avait tant grandi qu’il envoya ses frères deux à deux dans toutes les terres de la chrétienté pour prêcher l’Évangile de Jésus-Christ. Tel le Bon Pasteur qui commença d’abord à faire avant d’enseigner, afin qu’on ne puisse lui dire qu’il commandait aux autres tout en se tenant tranquille, enflammé d’amour, il se mit en chemin pour aller prêcher la foi au grand Sultan de Babylone.
(19) Bien que, lorsqu’il entra en terre d’infidèles, ils l’aient saisi et maltraité fortement, il plut pourtant au Créateur suprême qu’il soit conduit devant le Sultan. Il lui prêcha la foi avec ferveur. Après de nombreuses questions, le Sultan écouta ses paroles avec bienveillance et lui donna permission de prêcher dans tout son royaume. Cependant, tandis qu’il était absorbé par cette prédication, Notre-Seigneur lui révéla l’état de son Ordre et lui fit comprendre que Sa Majesté ne voulait pas encore le prendre à Lui de cette manière, car pour le bien de tout l’Ordre il était nécessaire qu’il demeure encore quelque temps dans le monde. En effet, frère Élie et ses partisans s’étaient mis d’accord et avaient retranché de la Règle le chapitre qui commandait aux Frères de ne rien emporter pour la route. Les Compagnons de saint François et tous les Frères zélés le supportaient difficilement et s’y opposaient avec constance et ferveur. Toutefois, parce qu’ils étaient simples et agissaient avec humilité et charité, ils ne purent l’emporter sur les Frères savants et ceux qui gouvernaient l’Ordre. Ces derniers, irrités contre eux, les jetèrent pour la plupart en prison. Beaucoup fuirent dans des lieux déserts. Les Frères relâchés firent cela persuadés que le Père saint François ne reviendrait plus. Tous connaissaient son désir de mourir pour le Christ et pensaient que les infidèles l’auraient martyrisé. Mais Notre-Seigneur ne voulut pas qu’il subît le martyre de cette façon, car Il voulait qu’il achevât sa vie par une autre voie, plus méritoire encore. Il ne le priva pas du mérite du saint martyre, mais le transforma en une autre forme de souffrance.
(20) Alors, lorsque le Père saint François vit que c’était la volonté de Dieu qu’il retourne en Italie, il revint avec grande hâte, laissant ce prince bien disposé. Quand il trouva tout l’Ordre en désordre, il réprimanda fermement les persécuteurs et rassembla autour de lui les brebis errantes, dispersées au jour du nuage sombre de l’ignorance des Frères relâchés. Il chercha le conseil de Notre-Seigneur Jésus-Christ sur ce qu’il devait faire pour donner à son Ordre une direction plus solide. Notre-Seigneur lui apparut avec bonté et lui dit de se retirer en un lieu solitaire et d’écrire à nouveau la Règle.
(21) Il choisit comme lieu le plus approprié et le plus retiré le petit ermitage dans la vallée de Rieti appelé Fonte Colombo. Retiré dans une cellule solitaire à quelque distance de là, il ordonna sous sainte obéissance que nul n’ose venir à lui sauf frère Léon d’Assise et frère Bonizzon de Bologne. Frère Bonizzon l’écrivit avec grand soin, et lorsqu’il eut terminé, il la remit à frère Léon pour qu’il la garde. Toutefois, frère Élie supporta très mal cette Règle. Par le biais de quelques-uns de ses partisans, il réussit subrepticement à s’en emparer. Il pensait ainsi empêcher le Saint de composer une Règle plus rigoureuse que la première. Mais, comme dit le proverbe, « les grandes eaux ne peuvent éteindre la charité ». Ainsi les intrigues et l’opposition des relâchés ne purent empêcher le dessein de Notre-Seigneur Dieu pour le séraphique François, à savoir que les Frères Mineurs aient cette Règle que Sa Majesté avait révélée dans son intégralité. Il était comme Moïse le législateur, qui, par un jeûne de quarante jours sans manger, avait obtenu les tables de la Loi, écrites du doigt du Dieu vivant. À cause de la gloutonnerie et de l’idolâtrie du peuple, ce capitaine zélé et véritable serviteur de Dieu les brisa en voyant Dieu si déshonoré. Mais il ne manqua pas de revenir, et par un autre jeûne de quarante jours, il recouvra ce que leur convoitise leur avait fait perdre. Ainsi, par un second jeûne de quarante jours, le législateur François réécrivit la même Règle que Notre-Seigneur lui avait révélée.
(22) Alors, quand frère Élie vit qu’il n’avait pu empêcher la Règle, il ne put trouver le repos, pas plus que ses partisans. Cependant, lorsque beaucoup de Ministres de différentes Provinces se réunirent, ils allèrent trouver frère Élie. Ils lui dirent qu’il devait faire quelque chose, puisqu’il était le Vicaire de l’Ordre, car ils n’avaient pas l’intention de s’obliger à une autre Règle. Frère Élie répondit : « Je ne veux pas y aller si vous ne venez pas avec moi. » Heureux de cela, ils se rassemblèrent tous au pied de la cellule où résidait le Père saint François. Ils n’osaient pas aller contre l’obéissance, car il avait ordonné que personne n’aille à lui. Ils ne voulaient pourtant pas partir sans lui parler, de peur que leur voyage ne fût vain. Debout au pied de la cellule, ils crièrent à haute voix : « Frère François, nous comprenons que tu es en train de faire une autre Règle. Tu la fais pour toi et non pour nous, car nous n’avons pas l’intention de nous obliger à une autre Règle. » Lorsque François, l’homme de Dieu, entendit ce tumulte, il ordonna à ses compagnons d’écouter de quoi il s’agissait. Alors, comme chef de la conspiration, frère Élie cria au nom de tous : « Père, ce sont les Ministres de différentes Provinces qui ont appris que tu faisais une autre Règle. Considérant l’esprit et la ferveur que Dieu t’a donnés, ils craignent que tu n’en fasses une autre, plus rigoureuse. Ayant pris en compte la fragilité humaine et la faiblesse des Frères qu’ils dirigent, ils n’auront pas le cœur de l’observer. C’est pourquoi ils veulent que tu comprennes que tu fais cette Règle pour toi et non pour eux. »
Quand François, l’homme de Dieu, entendit ces paroles, il se retira dans sa cellule. En pleurant abondamment, il dit : « Mon Seigneur, ne t’avais-je pas dit que les Frères ne voudraient pas écouter ? Maintenant, que Votre Majesté les satisfasse. » Alors, il entendit immédiatement une voix dans l’air qui disait : « François, ne sois pas triste. Tout ce qu’il y a dans la Règle, c’est moi qui l’y ai mis. Il n’y a rien qui vienne de toi. Je veux qu’elle soit observée à la lettre, à la lettre, à la lettre, sans commentaire. Je sais ce que peut la faiblesse humaine et combien je veux aider ceux qui veulent l’observer simplement. Ne t’inquiète pas pour ceux qui veulent : il y aura toujours quelqu’un pour l’observer par ma grâce. » Alors le Père saint François, se tournant vers les Ministres, leur dit : « Avez-vous entendu cela ? »
(23) Confus et effrayés par cela, ils s’en allèrent tous. Lorsque saint François eut terminé d’écrire la Règle, il partit avec frère Léon pour la présenter au Pape, selon le commandement du Seigneur. Sa Sainteté en fut très satisfaite. Il aimait beaucoup saint François, étant certain qu’il possédait l’Esprit de Dieu. Comme un père attentionné, il l’accueillit avec bonté. Lui donnant sa bénédiction, il l’écouta avec une grande affection. Après avoir bien considéré les choses que saint François lui demandait au nom du Christ, il lui accorda tout, se conformant à son prédécesseur le pape Innocent III. Il lui dit : « Béni soit celui qui, fortifié par l’Esprit du Christ, observe fidèlement et avec dévotion cette vie et cette Règle jusqu’à la mort, car toutes les choses qui y sont écrites sont catholiques et saintes. »
Il plut à Sa Sainteté seulement de modérer une phrase de la Règle qui disait ceci : « En quelque lieu que se trouvent les Frères, s’ils ne peuvent observer la Règle spirituellement et littéralement, qu’ils aient recours à leurs Ministres. Lorsque ceux-ci ne pourvoient pas à leurs besoins, ils peuvent se retirer au désert, seuls ou accompagnés. » Le Pape lui dit : « François, cela pourrait être une raison très puissante pour que de nombreux Frères orgueilleux quittent l’Ordre sous prétexte de vouloir observer la Règle. C’est pourquoi je ne veux pas changer le sens mais seulement modérer les termes, afin que les Frères sachent qu’ils sont obligés de ne pas demeurer là où ils ne peuvent observer la Règle, et que les Ministres sachent qu’ils sont obligés de pourvoir à leurs besoins. » Le Père saint François répondit : « Saint Père, il n’y a rien de moi dans la Règle. Le Christ y a tout mis. C’est pourquoi je ne peux et ne dois rien enlever de ce que le Christ y a placé. Comme Son Vicaire, que Votre Sainteté fasse ce qui lui plaît. La Règle est déposée à vos saints pieds. Notre-Seigneur sait très bien que le temps viendra où les Supérieurs de cet Ordre persécuteront ceux qui voudront observer la Règle. C’est pourquoi Il vous donne cette liberté. » Alors Sa Sainteté modifia ces paroles, disant : « En quelque lieu que se trouvent les Frères où ils ne peuvent observer la Règle spirituellement, ils doivent » – remarquez le précepte – « et peuvent » – remarquez la liberté qu’elle accorde aux sujets pour qu’ils ne soient pas empêchés – « avoir recours à leurs Ministres. Toutefois, que les Ministres les accueillent avec bonté et charité, et que les sujets aient une telle familiarité et autorité » – dans ce cas – « qu’ils puissent dire et commander à leurs Ministres comme un seigneur à ses serviteurs. »
(24) Avec la sainte Règle confirmée, le bienheureux François prit congé de Sa Sainteté. Il partit avec une grande joie et retourna dans la vallée de Spolète. Parce que les Frères relâchés dont nous avons parlé plus haut avaient retiré ce chapitre de la première Règle et pensaient par conséquent ne pas être obligés par le saint Évangile du Christ, saint François déclara : « Les Frères pensent tromper Dieu et moi en croyant que leur tromperie pourrait leur être utile, au point qu’ils ne seraient plus obligés d’observer l’Évangile. Afin qu’ils soient sans excuses, j’ai inséré dans la Règle, au début et à la fin, que les Frères sont obligés à l’observance de l’Évangile du Christ. »
Comment Jésus-Christ donna les Stigmates au Père saint François
25 L’empreinte des Stigmates 26 Comment et quand cela arriva 27 Les efforts du Père Séraphique pour en cacher les effets visibles
(25) Toute l’Église orthodoxe tient avec une foi certaine que le Père Séraphique saint François reçut les sacrés stigmates de Notre-Seigneur. Cependant, la manière dont il reçut dans son saint corps l’empreinte et les sceaux du Roi suprême par l’immense bonté du Christ, nul ne l’a écrite aussi complètement ni avec autant de détails que les Trois Compagnons dans la Légende des Trois Compagnons. Ceux-ci étaient frère Rufin, frère Léon d’Assise et frère Ange de Rieti. Ce que le Docteur Séraphique a écrit à propos de notre Père saint François tire son origine de cette Légende, comme d’une source plus authentique. Toutefois, en partie par souci de brièveté, dans son œuvre le saint Docteur écrit seulement comment les plaies apparurent aux mains, aux pieds et au côté du Saint. C’est pourquoi, ayant trouvé la manière dont cela arriva dans un livre appelé Le Miroir des Frères Mineurs, je désire la mettre ici par écrit pour l’édification de tous. Cela se passa ainsi.
(26) Il semble que, tandis que notre Père saint François se trouvait sur la montagne de l’Alverne, le Christ lui révéla qu’il devait se préparer. Car Sa Majesté voulait opérer en lui des choses qui n’avaient jamais été faites en aucun autre saint auparavant. Éclairé par le Saint-Esprit, il adopta deux moyens pour se préparer plus divinement : le jeûne et la prière. Et pour être plus illuminé encore, il invoqua son Avocat, saint Michel Archange, et le supplia d’intercéder auprès de la Divine Majesté pour lui obtenir la vraie grâce de se préparer dignement. Ainsi, comme Moïse le législateur, qui, pour recevoir les tables de pierre sur lesquelles la Divine Majesté avait écrit la sainte loi, voulut jeûner quarante jours, de même le Père Séraphique. Après avoir jeûné pendant les quarante jours de saint Michel Archange, près de l’aube, le jour de l’Exaltation de la Croix, il se tenait là, les yeux levés vers le ciel. Il commença à ressentir une douceur dans l’amour de Dieu, qui, plus que d’habitude, brûlait dans son cœur. Et voici qu’il vit soudainement descendre un Séraphin du ciel. Avec six ailes ardentes, il illumina toute la montagne de l’Alverne et les lieux alentours comme si le soleil se levait. En descendant à travers l’air vers lui, le Père saint François reçut une immense joie en voyant sous ces ailes la très gracieuse forme de la sainte Humanité du Fils de Dieu. En même temps, il fut transpercé d’un immense chagrin en Le voyant crucifié. Son esprit fut transformé dans le Seigneur plus qu’il ne l’avait jamais été. Le Seigneur lui parla alors, mais saint François ne voulut jamais révéler à personne les paroles qu’Il lui dit. Ensuite Il lui dit : « François, prépare-toi, car je veux faire en toi des merveilles. » Saint François répondit : « Seigneur, Vous savez que je me suis préparé par tous Vos saints commandements. »
Soudain, le Seigneur étendit Sa main droite sur la main droite du Père saint François. Aussitôt, ce contact du Christ blessa sa main droite. À cause de cette empreinte, il poussa un cri, comme un homme frappé dans sa propre chair. En criant, il dit : « Ô Seigneur Jésus ! » Puis il tomba aussitôt à terre. Étourdi et doucement émerveillé, il fixa le visage du Seigneur qui lui dit à nouveau : « Relève-toi, François. Tends-moi ton autre main. » Lorsqu’il fit cela, le Seigneur s’approcha avec Sa main gauche et lui imprima la plaie de la même manière, ce qui le fit tomber une nouvelle fois à terre, en poussant un cri fort et douloureux. Alors le Seigneur dit : « Lève-toi, François, et prépare-toi. » Le Seigneur posa Ses pieds sur ceux de saint François et y imprima les plaies aux deux pieds. Blessé, il tomba encore une fois à terre. Finalement, le Seigneur lui dit à nouveau : « François, relève-toi afin que J’achève cette œuvre en toi, car J’ai déjà décidé de faire en toi de grandes choses. » Le divin François répondit : « Ô mon Seigneur, qui pourrait supporter de telles souffrances ? » Le Seigneur répondit : « Ô François, qu’aurais-tu fait si tu avais ressenti la douleur que Moi j’ai subie au moment de Ma Passion – les gifles au visage, les crachats, les coups, la couronne d’épines, la flagellation avec tant de coups violents et durs, le lourd fardeau de la croix, le déshonneur d’avoir été crucifié entre deux voleurs devant tout le peuple, les insultes des scribes et des pharisiens, la mort cruelle que j’ai subie pour toi et pour tous au temps de Ma Passion – comment aurais-tu pu la supporter ? » Se relevant, avec une douleur et un amour immenses, le divin François dit : « Mon Seigneur, quel est le commandement de Votre Majesté ? Je suis prêt à toutes les souffrances. »
Alors le bienheureux Jésus l’embrassa tendrement et pressa Son côté contre celui de saint François, et Lui imprima la plaie dans le côté. Plus qu’il ne l’avait jamais fait, François poussa un cri de douleur. En pleurant, il dit : « Ô doux Jésus ! » Puis il retomba à terre, comme mort.
(27) En un éclair, le Seigneur disparut de la vue de François. Hors de lui, en extase, son âme ravie dans le Christ et à cause de la grande douleur physique qu’il ressentait, il resta au sol jusqu’à None, l’heure à laquelle il avait l’habitude de manger. C’est pourquoi l’on pense que l’empreinte des stigmates eut lieu durant la journée, à l’aube. Frère Léon avait pour habitude d’appeler le Père saint François à l’heure du repas. Il s’y rendit et le trouva étendu par terre. En s’approchant, il pensa qu’il y était à cause d’une faiblesse physique. Il le releva et le remit debout. Comme un homme qui s’éveille d’un profond sommeil, lorsqu’il ouvrit les yeux, il fixa son fils bien-aimé, frère Léon. Alors frère Léon lui dit : « Mon cher Père, les Frères vous attendent. Ils désirent vivement que vous mangiez avec eux. » Le bienheureux François répondit : « Va, mon fils. J’arrive. » Il se rendit au réfectoire du mieux qu’il put. Lorsqu’il se lava les mains, il ne lava que le bout des doigts. Il fit toujours ainsi tant qu’il porta les sacrés stigmates.
Pendant de nombreux jours, il ne voulut pas révéler aux Frères l’empreinte des saints stigmates. Plus tard cependant, après avoir demandé conseil à certains de ses compagnons les plus intimes, il dévoila une partie du mystère avec une grande humilité et discrétion.
Que Notre Seigneur Jésus-Christ soit béni, Lui qui a daigné accorder ce don magnifique à Sa sainte Église, et en particulier à l’Ordre séraphique de saint François. Le voir orné des sceaux du Très-Haut nous donne un grand courage pour marcher sur les traces de notre Père. Amen.
La forme que Saint François a stipulée et voulue pour l’habit
28 L’habit franciscain a la forme de la croix 29 Son tissu, sa couleur et sa taille 30 Saint François portait la cagoule pointue
(28) François, remarquable confesseur du Christ, ne manqua pas de faire connaître la forme de l’habit que tout l’Ordre devait observer afin qu’il soit conforme à Notre Seigneur Jésus-Christ en tout, y compris dans les vêtements. Comme il est écrit dans les Conformités pour mémoire perpétuelle de tous les Frères, l’habit de l’Ordre devait avoir la forme de la croix. Ainsi, par l’exemple et la parole, il fit connaître la forme et les dimensions de l’habit, sa longueur et sa largeur, ainsi que le type de tissu en rapport avec sa modestie et sa couleur. Selon frère Léon, frère Masseo et ses autres compagnons, ils reçurent la forme de l’habit de Saint François lui-même.
(29) Concernant la matière, il voulait qu’elle soit un tissu pauvre, comme il l’écrivit dans la Règle. Il devait être de couleur cendre ou pâle afin de représenter le corps pâle du Christ mort. Le tissu devait être lourd, raccommodé à l’intérieur comme à l’extérieur, pour garder le corps au chaud et qu’un seul habit suffise. Sa largeur devait être telle qu’il ne soit pas nécessaire de le plier lorsqu’il était attaché à la taille. Il ne devait pas toucher le sol. Les manches devaient atteindre le bout des doigts et couvrir complètement les mains sans dépasser leur longueur. Elles devaient être assez larges pour que les mains puissent y passer facilement. La cagoule devait être carrée et assez longue pour couvrir le visage, afin que l’habit puisse représenter la croix et, par sa pauvreté, prêcher le mépris du monde et montrer que le Frère Mineur doit être mort et crucifié au monde. Il était destiné à subjuguer la nudité et à répondre aux besoins physiques de ceux qui s’étaient fait pauvres par amour du Christ. Pour eux, il sera un signe extérieur de leur humilité et une véritable indication qu’ils portent la honte de la croix du Christ.
(30) Par conséquent, on ne doit pas dire que Saint François n’a jamais porté la cagoule pointue, puisqu’il est aussi écrit dans les Chroniques de l’Ordre que la cagoule que tout l’Ordre portait était pointue et que celle-ci fut abandonnée à l’époque de Michel de Césène.
Notes biographiques
31 Le gouvernement de François 32 La grandeur de ses œuvres 33 Sa mort 34 Ses biographes
(31) Ainsi, de l’année 1206 jusqu’en 1226, le bon Père et Fondateur de l’Ordre des Mineurs, Saint François, gouverna tout l’Ordre d’une manière très sainte, puisque Sa Sainteté l’avait fait Général et Père de tout l’Ordre. Par son exemple et son enseignement, il le maintint toujours dans la véritable observance de la Règle, sans jamais dévier ni à gauche ni à droite. Au contraire, tout l’Ordre suivait la voie droite, suivant la norme et la vie que le Seigneur Dieu lui avait montrées par l’intermédiaire du Séraphique François.
(32) Je ne veux pas m’étendre trop longuement en racontant les œuvres magnifiques que notre Père Saint François accomplit en si peu de temps, puisque le Séraphique Saint Bonaventure en a abondamment écrit, tout comme les Chroniques de l’Ordre. Que ce que j’écris suffise à faire savoir que l’Ordre des Frères a une Règle donnée par lui et que de nombreux Pontifes Suprêmes l’ont authentifiée et approuvée. Un nombre innombrable d’hommes remarquables ont observé cette Règle. Leurs nombreux miracles, qui les rendirent illustres, témoignent à quel point ils furent agréables à Dieu, en particulier notre Père Saint François. C’est pourquoi la sainte Église les a canonisés. Le grand nombre et la diversité des miracles opérés dans toutes sortes de maladies et à l’heure de la mort nous montrent combien François, remarquable confesseur du Christ, lui était agréable. Je ne dirai rien sur la manière dont, puisqu’il se conformait à Notre Seigneur Jésus-Christ dans ses actes, le Christ voulut l’orner des saints stigmates. Ainsi, la ressemblance qu’il portait dans son âme par la grâce et les œuvres qu’il fit montrait clairement que le Christ habitait dans son cœur. Il voulut donc imprimer dans son corps et son cœur les œuvres extraordinaires du Très-Haut Rédempteur et, de cette manière, se faire semblable à Lui afin que son âme très sainte, ornée par la grâce de Dieu, méritât d’être assumée par Lui dans la jouissance parfaite de l’essence divine ; et que son saint corps soit un exemple pour montrer au monde entier combien Sa Très-Haute Majesté récompense généreusement ceux qui Le servent fidèlement. Car il n’y a pas de plus grand honneur que de porter l’empreinte du Très-Haut Fils de Dieu et de Lui ressembler.
(33) Ainsi, le Père Séraphique vint à son lieu bien-aimé, Notre-Dame des Anges, afin d’y finir le cours de sa vie là où il avait commencé son Ordre. Tout prêt et rempli de Dieu, le grand chef et guide des Frères Mineurs passa auprès de son Créateur. Son corps fut porté dans la ville d’Assise où il repose, tandis qu’au ciel il prie toujours pour ses enfants.
À la louange et à la gloire de Notre Seigneur Jésus-Christ. Amen.
(34) Par ordre de Grégoire IX, frère Thomas de Celano écrivit la vie et les miracles du Père Saint François. Lorsqu’il les lui présenta, Sa Béatitude les approuva. Le notaire apostolique Jean de Ceperano fit de même. Frère Rufino, frère Léon et frère Ange, les Trois Compagnons, écrivirent la Légende des Trois Compagnons. Le Séraphique Saint Bonaventure rédigea les Grandes et Petites Légendes du Père Saint François, reprenant…