Don d'étoffe et l'adoption de la capuche pointue
88 The foundation year 89 Fra Matteo’s encounter with a mysterious poor man 90 The value and meaning of this encounter 91 Enlightened by God, Fra Matteo dresses in lowly cloth and heads off for Rome straightaway
(88) Puisque c’était l’année sainte, le Dieu bon et compatissant commença notre Congrégation (depuis toujours appelée les Frères Capucins) en l’an de la glorieuse et toujours bienheureuse Nativité du Fils unique de Dieu, en janvier 1525.
(89) Dans les Marches d’Ancône, près des montagnes d’Amándola et de Montefortino, se trouve un château du territoire de la ville de Fermo, appelé Montefalcone. Sur ce territoire, les Pères Zoccolanti ont un couvent appelé Saint-Jacques. À cette époque, le Père Frère Matteo da Bascio y vivait. Il avait environ trente ans.
Il arriva un jour que la plupart des Pères qui vivaient dans ce couvent se rendirent à une fonction liturgique non loin de là. Après avoir terminé cette fonction, ils retournaient au couvent pour manger. C’était un jour de jeûne. Selon la volonté de Dieu, il arriva que Fr. Matteo resta en arrière sur le chemin, comme c’était son habitude. Il se trouvait bien loin derrière les autres. C’était au coeur de l’hiver, et ces régions sont très froides en raison de leur proximité avec la montagne de la Sibylle.
Une fine couche de neige étant tombée cette nuit-là, les frères se hâtèrent de rentrer, à cause du froid et de la faim qui les pressaient. Comme il plut au Très-Haut, voilà que, non loin du couvent, le serviteur de Dieu, Fr. Matteo, leva les yeux. Il vit un pauvre homme étendu sur le sol, presque complètement nu et grelottant violemment à cause du froid extrême. En voyant cet homme dans une telle misère, Fr. Matteo fut pris d’une profonde compassion. Il ralentit un peu, fixa son regard sur lui et le contempla avec bienveillance. Le pauvre homme, s’en apercevant, se recommanda humblement en pleurant à Fr. Matteo. Il le supplia de lui donner quelque chose pour se couvrir et se protéger du froid. Mais Fr. Matteo pensa en lui-même : “Que puis-je lui donner, à ce pauvre homme ?” Ne sachant quoi lui offrir, il était tiraillé intérieurement. Il répondit : “Que puis-je te donner ? Je n’ai rien.” Le pauvre homme lui dit : “Donne-moi quelque chose pour que je puisse me couvrir.” Une telle compassion saisit alors Matteo qu’il sentit qu’il ne pouvait partir sans lui donner quelque chose, mais d’un autre côté, il ne savait toujours pas quoi.
Cependant, comme il plut à Dieu, il se rappela avoir cousu quelques pièces de tissu à l’intérieur de son habit quelque temps auparavant. L’idée lui vint d’habiller ce pauvre homme du Christ avec ces morceaux d’étoffe du mieux qu’il pouvait. Il se retira à l’écart, ôta rapidement son habit, détacha les pièces et les utilisa pour habiller ce pauvre homme de Jésus-Christ du mieux qu’il le put.
(90) Reprenant la route vers le couvent, il se sentit intérieurement heureux d’avoir fait du bien à ce pauvre homme. Il se retournait souvent pour le regarder, content de l’avoir vêtu de ces morceaux de tissu. Mais voilà que, après avoir parcouru une courte distance, Fr. Matteo se retourna pour le voir et ne le vit plus du tout. Il en fut stupéfait. Il ne semblait pas possible qu’en si peu de temps cet homme ait pu disparaître de sa vue. Il retourna donc sur ses pas et chercha partout si le pauvre homme s’était caché quelque part. Il ne le trouva plus, même s’il s’agissait d’un endroit complètement découvert.
Dès lors, le désir de savoir où se trouvait cet homme le saisit. Il alla longuement à différents carrefours pour tenter de l’apercevoir, pensant que, comme souvent les pauvres qui reçoivent une aumône précieuse, il aurait pu s’éloigner rapidement. Ne le trouvant toujours pas, il commença à réfléchir et à se dire en lui-même : “Était-ce, peut-être, Notre Seigneur Jésus-Christ qui m’est apparu sous cette forme ?” Il semble que quelqu’un, je ne sais qui, parla alors en lui et dit : “Qui crois-tu que c’était, sinon celui-là même qui apparut comme lépreux à saint François lorsqu’il était encore vêtu du siècle ? Déjà converti au Seigneur, notre Père saint François portait encore l’habit séculier, mais il avait résolu dans son coeur de ne jamais refuser une demande faite pour l’amour de Dieu, dans la mesure du possible.
Il se rendait à cheval vers Notre-Dame des Anges, à une courte distance d’Assise. À la porte se trouvait un hôpital de lépreux appelé hôpital de Parete. Là, il rencontra un lépreux affreusement défiguré. Bien que celui-ci ait demandé l’aumône très humblement au saint jeune homme François, qui avait décidé de ne jamais refuser, comme tout jeune homme il fut rebuté par la puanteur des plaies du lépreux. Il éperonna son cheval et passa outre sans rien lui donner, sans même le regarder en face. Le Saint-Esprit le réprimanda un peu plus tard.
Révolté contre lui-même, il se souvint de sa ferme résolution de ne jamais refuser l’aumône. Il se reprit avec force et, dans une grande ferveur, fit demi-tour. Pour mieux se mortifier, il descendit de cheval, embrassa le lépreux et lui baisa le visage là où se trouvait la plaie la plus horrible. Il plaça la bourse dans la main du lépreux pour lui donner l’aumône. Et voilà que celui qui paraissait auparavant lépreux se révéla être Jésus-Christ, le Sauveur de tous, qui, pour le salut du monde entier, voulut apparaître comme un lépreux sur le bois de la croix à cause de toutes les nombreuses flagellations. Et il disparut des bras de François. C’est ainsi que François fut enflammé d’un immense zèle pour renoncer totalement au monde et servir les lépreux par amour du Christ.
À cause de cette disparition extraordinaire du pauvre homme, la pensée pénétra le coeur du grand serviteur de Dieu, Fr. Matteo, et il n’en douta jamais, que ce pauvre était Jésus-Christ. Il se décida donc à le suivre dans la pauvreté la plus extrême. Dès lors, il se remémora toujours l’image de ce pauvre homme tel qu’il l’avait vu gisant sur le sol. Plus il se donnait à la prière, plus cette scène occupait sa mémoire. Il se réprimandait lui-même et disait : “Frère Matteo, tu as promis la pauvreté, mais d’autres l’observent mieux que toi.” En méditant combien notre Seigneur avait voulu souffrir pour nous, il pria avec ferveur le Seigneur dans sa miséricorde de lui montrer le chemin et la manière d’observer la pauvreté pour mieux le servir.
(91) Un jour, tandis qu’il priait, il se sentit touché par l’amour de Dieu plus que d’habitude. Il fondit en larmes. Il ne pouvait plus continuer sans revêtir cet habit. Cependant, craignant qu’il ne s’agît d’une ruse du démon, il n’osa pas partir. Il s’inquiétait que son zèle ne fût une illusion diabolique destinée à l’éloigner de l’Ordre. Il décida de se recommander plus ardemment au Seigneur avant de prendre la décision de revêtir cet habit. Il persévéra encore quelques jours et sentit son esprit totalement transformé en Dieu. Presque ravi en extase, il entendit clairement une voix qui l’appelait, sans voir personne. Elle lui dit : “Sache, Frère Matteo, que c’est la volonté de Dieu que tu observes la Règle parfaitement : à la lettre, à la lettre, à la lettre, comme tu Lui as promis. C’est ce que Dieu a dit à Fonte Colombo aux Ministres qui s’opposaient au Père saint François.” Fra Matteo comprit alors clairement que c’était une révélation divine et que Sa Majesté voulait restaurer l’habit et le mode de vie du Séraphique François.
Assuré en lui-même et confirmé extérieurement par la voix que ce n’était pas une tromperie du démon mais bien la volonté de Dieu, une nuit, il prit la décision et trouva la tunique la plus grossière et la plus pauvre qui se trouvait là. Il trouva une étoffe usée et fabriqua une capuche pointue. Comme il n’était pas encore sûr de la forme, celle qu’il fit ne ressemblait pas exactement à celle que nous, Capucins, portons aujourd’hui. Plus tard, il en fut plus certain après avoir vu l’habit du Père saint François conservé comme relique au Sacro Convento à Assise, et il en fit un autre, plus semblable à celui qu’il avait vu. Silencieusement, il quitta le couvent de Montefalcone, décidé à aller à Rome auprès de Sa Sainteté pour demander la permission d’observer la Règle avec cet habit et mener une vie apostolique, allant prêcher à travers le monde. Comme pèlerin et étranger en ce monde, il voulait se détacher de tout attachement terrestre et se contenter d’imiter la suprême pauvreté du Christ et de notre Père saint François. Par expérience, disait-il, il savait que l’Ordre ne lui permettrait pas d’observer pleinement la Règle.
Comme toujours, cependant, notre Seigneur met à l’épreuve ses serviteurs dans toutes leurs bonnes oeuvres. Ces oeuvres ne Lui plaisent pas si elles ne sont pas accompagnées de la sainte croix, si chère à notre Sauveur, qui ne s’est jamais séparé de la croix en ce monde, mais s’y est toujours attaché étroitement. La croix fut sa compagne chère et bien-aimée, et à la fin de sa vie, il voulut avoir la croix pour lit. À sa mort, il ne voulut rien d’autre que la sainte croix comme lit. Et ainsi, notre Seigneur voulut aussi rassurer son serviteur que cette oeuvre venait bien de Lui : faire de Fr. Matteo un être à Son image. Car, comme on le racontera plus loin, cet homme de Dieu fut maltraité dès le lendemain.