Chapitre cinquième
(1) Le Saïnt Fondateur de cet Ordre, traçant la mesure de la pauvreté promise dans la profession de la Règle dit : Que les Frères n’aient rien en propre ni maison, ni lieu, ni autre chose, mais que se regardant comme voyageurs et étrangers dans ce siècle, servant le Seigneur dans la pauvreté et l’humilité, ils aillent avec confiance demander l’aumône. De plus, quelques Pontifes romains, nos prédécesseurs, ont déclaré que ce renoncement à la propriété doit s’entendre tant de chaque particulier que de la communauté. C’est pourquoi ils ont reçu entre leurs mains et celles de l’Eglise Romaine, la propriété et le domaine de toutes les choses concédées, offertes et données aux Frères (celles dont la présence et l’usage de fait sont autorisés dans l’Ordre, ou pour les besoins des Frères), ne leur laissant ainsi que le simple usage de fait.
Or, on a soumis à notre examen certaines choses que l’on disait se pratiquer dans l’Ordre, et qui paraissaient répugner à sa pureté et aller contre le voeu en question, afin que nous pussions discuter les points auxquels nous croirions devoir remédier. On nous a dit par exemple :
(2) Que les Frères, non-seulement souffrent qu’on les institue héritiers, mais même le procurent.
Qu’ils reçoivent des revenus annuels, quelquefois en si notable quantité, que certains couvents en vivent totalement.
Que lorsqu’on règle leurs affaires aux tribunaux,même en matières temporelles, ils assistent les avocats et procureurs, et se présentent personnellement pour les solliciter.
Qu’ils acceptent et procurent exécution des dernières volontés, et se mêlent quelquelois des dispositions et restitutions à faire par suite d’usure ou de détournements injustes.
Qu’en certains endroits, ils ont non-seulement des jardins excessifs, mais encore de vastes vignes, dont ils retirent, pour les vendre, grande quantité de légumes et de vin.
Qu’au temps des moissons et des vendanges, les Frères, en mendiant ou en achetant, recueillent du grain et du vin, les renferment dans des celliers et greniers, en telle abondance, qu’ils peuvent vivre le reste de l’année sans recourir à l’aumône.
Qu’ils bâtissent des églises et autres édifices, ou en procurent l’érection, et cela avec un tel excès pour la quantité, l’élégance du style et la somptuosité, qu’on dirait des habitations, non pas de pauvres, mais de grands seigneurs.
Ils ont aussi, en beaucoup d’endroits, des ornements d’église si nombreux et si notablement précieux, qu’ils surpassent en cela les grandes églises cathédrales.
De plus, ils reçoivent indistinctement des chevaux et des armes, quand on leur en offre, aux funérailles.
Toutefois, la généralité des Frères, et spécialement ceux qui gouvernent l’Ordre, ont affirmé que ces griefs, ou une bonne partie, n’existaient pas dans l’Ordre, et que s’il se rencontre quelques Frères coupables sur ces points, on les punit sévèrement. Enfin, ont-ils ajouté, depuis bien longtemps des statuts fort stricts ont été faits dans l’Ordre, à plusieurs reprises, pour prévenir de tels abus.