Chapitre premier
De l’observance des préceptes et des conseils évangéliques
(1) En premier lieu, on lit ces paroles au commencement de la Règle : La Règle et la vie des Frères Mineurs consistent à observer le saint Evangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en vivant dans l’obéissance, sans propriété et dans la chasteté; et plus loin : L’année de probation étant écoulée, qu’ils soient recus à l’obéissance, promettant d’observer toujours cette vie et cette Règle; et encore, vers la fin : Observons la pauvreté, l’humilité et le saint Evangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme nous l’avons promis fermement.
Ces différentes paroles ont fait naitre le doute suivant : Les Frères de cet Ordre sont-ils, en vertu de la profession de leur Règle, tenus ou non à tout le contenu de l’Evangile, tant préceptes que conseils ? Quelques-uns disent qu’ils sont tenus à tout, d’autres prétendent qu’ils sont tenus seulement à ces trois conseils : vivre dans l’obéissance, la chasteté, le détachement de la propriété, et à ceux qui sont proposés dans la Règle en termes exprimant l’obligation.
Pour nous, suivant, au sujet de cet article, les traces de nos prédécesseurs, et cherchant à y introduire un peu plus de clarté, nous avons cru devoir répondre ainsi : comme tout voeu déterminé doit porter sur quelque chose de certain, celui qui a voué la Règle ne peut être regardé comme tenu, par suite de ce voeu, aux conseils évangéliques qui ne sont pas contenus dans la Règle. Ce qui prouve que telle a été l’intention du Bienheureux François, auteur de la Règle, c’est qu’il a introduit dans cette Règle un certain nombre de conseils évangéliques, en s’abstenant de parler des autres. Si en effet par ces mots : La Règle et la vie des Frères Mineurs consistent, etc., il eût entendu les obliger à tous les conseils de l’Evangile, n’aurait-il pas été superflu et puéril d’en exprimer quelques-uns, en supprimant les autres ?
(2) Mais comme il est de la nature du terme restrictif d’exclure ce qui lui est étranger, mais d’inclure tout ce qui lui appartient, nous déclarons et prononçons que lesdits Frères, en vertu de la profession de leur Règle, sont non-seulement obligés, proprement et absolument, aux trois voeux indiqués, mais encore sont tenus d’accomplir toutes les choses ayant trait à ces trois points qui sont proposées dans la Règle même.
Si ceux qui promettent d’observer la Règle en vivant dans l’obéissance, sans propriété, et dans la chasteté, n’étaient astreints qu’à ces trois points entendus d’une manière stricte et absolue, nullement à tout ce qui est encore contenu dans la Règle comme modification de ces trois obligations, il serait complétement nul et vain de proférer ces paroles : Je promets de toujours observer cette Règle, puisqu’alors de ces paroles ne naitrait aucune obligation.
Il ne faut cependant pas croire que le Bienheureux François ait eu l’intention qu’une obligation égale pesât sur ceux qui professent sa Règle, à l’égard de tous les points de cette Règle qui modifient les trois voeux ou des autres détails qu’elle renferme. Lui-même, plutôt, distingue évidemment entre les transgressions, les unes mortelles par suite du voeu prononcé, les autres moins graves, puisque à certains articles il applique une parole de précepte, ou quelque terme équivalent à un précepte, et que, pour certains autres, il se contente d’expressions différentes.
Des choses qui équivalent à des préceptes,
(3) Outre les points formulés expressément dans la Règle en termes de précepte, exhortation ou monition, il s’en trouve d’exprimés au mode impératif, négativement ou affirmativement. On est resté jusqu’ici dans le doute si les Frères sont tenus à ces points, comme à des points ayant force de précepte. Ce doute, parait-il, loin d’avoir été diminué, s’est accru encore par suite de la déclaration de notre prédécesseur le pape Nicolas III, d’heureuse mémoire. On sait qu’il prononça que les Frères, en vertu de leur profession de la Règle, sont astreints aux conseils évangéliques qui sont exprimés dans la Règle sous forme de précepte ou de prohibition, ou en termes équivalents, et en outre à l’observance de tous les points prescrits dans la Règle par paroles exprimant l’obligation. Les Frères nous ont donc supplié de daigner déclarer, pour la tranquillité de leurs consciences, quelles sont les choses qui doivent être regardées comme équivalentes à des préceptes, et obligatoires.
Heureux de voir la sincérité de leurs consciences, considérant qu’en ces matières qui regardent le salut de l’âme, on doit, pour éviter de graves remords, prendre le parti le plus sûr, nous répondons ainsi : Les Frères, il est vrai, ne sont pas tenus à l’observance de tout ce qui est proposé dans la Règle sous forme d’impératif, comme s’il s’agissait de préceptes ou de choses équivalentes à des préceptes. Mais il est bon, pour le maintien de la pureté et de la rigueur de la Règle, qu’ils sachent être obligés aux points qui vont suivre, comme équivalents à des préceptes.
Pour qu’on puisse avoir un abrégé de ces points qui, par la force des termes, ou à raison de la matière dont il s’agit, ou pour ces deux causes réunies, peuvent être régardés comme équivalents à des préceptes, nous déclarons que ces articles contenus dans la Règle, savoir :
De n’avoir pas plus de deux tuniques, une avec capuce et une autre sans capuce.
De ne pas porter de chaussures, et de ne pas aller à cheval, hors le cas de nécessité.
Que les Frères doivent porter des vêtements vils.
Qu’ils sont tenus à jeûner depuis la féte de tous les Saints jusqu’à la Nativité de Notre-Seigneur, et les vendredis.
Que les clercs doivent s’acquitter de l’office divin selon la Règle de la sainte Eglise Romaine.
Que les Ministres et Custodes doivent pourvoir avec sollicitude aux besoins des malades et au vêtement des Frères.
Que les autres Frères doivent servir celui d’entre eux qui serait tombé malade.
Que les Frères ne doivent pas précher dans le diocèse d’un Evéque, quand il y sera opposé.
Qu’aucun n’ose prêcher au peuple, s’il n’a été examiné, approuvé et investi de cette mission par de Ministre général ou quelque autre de ceux auxquels il appartient, d’après la déclaration dont nous avons parlé.
Que les Frères qui reconnaîtraient ne pouvoir observer l’esprit de la Règle qu’ils ont promis de suivre, doivent et peuvent recourir à leurs Ministres.
Tout ce qui est contenu dans la Règle relativement à la forme de l’habit tant des Novices que des Profès, aussi bien qu’au mode de réception et à la Profession (à moins, pour ce qui est de l’habit des Novices, que ceux qui les reçoivent n’en jugent autrement selon Dieu, comme le dit la Règle); toutes ces choses, disons-nous, doivent être gardées par les Frères comme obligatoires.
L’Ordre en question pense communément, tient et a tenu depuis une antiquité reculée, que partout où se trouve dans la Règle cette expression qu’ils soient tenus (teneantur), elle a force de précepte, et crée aux Frères une obligation semblable.