Article quatrième
Des aumones pécuniaires
(1) La Règle défend aux Frères sous rigueur de précepte, de recevoir, par eux ou par d’autres, en aucune façon, toute monnaie ou argent; précepte qu’ils désirent garder constamment, sentant, par les termes de cette injonction, l’obligation qu’ils ont de s’y conformer.
Nous voulons, dès lors, épargner à leur âme toute souillure, relativement à l’observation de ce précepte, et à leurs consciences tout sujet d’inquiétude et de reproche. C’est pourquoi, à cause des morsures des détracteurs, abordant cette question plus à fond que ne l’ont fait nos prédécesseurs, et entreprenant d’y poser des règles plus nettes, nous déclarons tout d’abord, que les Frères doivent s’abstenir des prêts et emprunts, le contrat de mutuum ne leur étant pas permis, vu leur état.
Ils pourront, cependant, dans une nécessité actuellement urgente (s’ils voyaient manquer les aumônes et avec elles la facilité de satisfaire autrement), dire, pour donner satisfaction, sans toutefois se lier par aucune obligation, qu’ils se proposent de travailler sincèrement à effectuer tel paiement avec le secours des aumônes ou de leurs amis.
(2) En ce dernier cas, les Frères feront en sorte que celui qui donnera l’aumône opère en tout ou en partie, selon que Dieu le lui inspirera, la restitution en question, par lui-même ou par une autre personne qu’il choisira à son gré, sans la nommer aux Frères, s’il est possible.
Si cependant il ne le voulait ou ne pouvait faire, soit parce que son départ est proche, ou qu’il ne connaît pas de personnes fidèles auxquelles il veuille confer cette commission, soit pour tout autre motif, nous disons alors et déclarons que les Frères n’enfreindront nullement la pureté de leur Règle, et n’en souilleront en aucune façon l’observance, en se chargeant eux-mêmes de lui faire connaître, de lui nommer, ou même présenter quelqu’un à qui l’on puisse confier l’exécution de cette affaire, si celui qui fait l’aumône le trouve bon et consent aux subrogations ci-après mentionnées. Toutefois, cela doit se faire de façon que le donateur conserve pleinement, franchement et intégralement par devers lui, le domaine, la propriété et la possession de cet argent, avec entière liberté de le reprendre, tant qu’il n’aura pas été converti en l’emploi auquel il est destiné.
Quant aux Frères, ils ne pourront avoir aucun droit, administration ou disposition, à l’égard de cette somme, ni aucune action, poursuite, droit quelconque, en jugement ou hors jugement, contre la personne en question, qu’elle ait été ou non désignée par eux, de quelque condition qu’elle soit, et de quelque manière qu’elle se conduise dans cette commission.
Il est permis néanmoins aux Frères d’insinuer, spécifier ou exposer leurs besoins à cette personne, et de la prier de payer. Ils peuvent aussi l’inviter et exhorter à se comporter fidèlement en l’affaire qui lui est confiée, à ne pas perdre de vue le salut de son âme dans l’exécution; mais de telle sorte, encore une fois, qu’ils s’abstiennent absolument de toute administration ou gestion de cet argent, et de toute action ou poursuite contre ladite personne.
(3) Mais nous supposons que cette personne, nommée ou non par les Frères, se trouve empêchée d’accomplir par elle-même ce qui a été dit, par suite d’absence, de maladie, de refus, de l’éloignement des lieux où doit s’opérer le paiementou remboursement, et dans lesquels elle ne voudrait pas se transporter, ou de toute autre circonstance. Alors les Frères pourront, en droiture de conscience, nommer et subroger une autre personne, à ces fins et autres (s’ils ne peuvent ou ne veulent recourir au premier donateur), et en user avec cette personne comme nous avons déclaré qu’ils pouvaient le faire avec la première.
II semble, en effet, que communément et en général, le ministère de deux personnes, par voie de subrogation, comme il est dit, peut suffire à l’exécution de ces affaires, le paiement dont nous parlons pouvant, supposons-nous, être expédié promptement. Si cependant parfois, en raison de l’éloignement du lieu dans lequel doit être opérée la satisfaction, ou de quelque autre occasion ou circonstance, il arrivait que le ministère d’un plus grand nombre de personnes ainsi subrogées parût opportun, qu’il soit permis aux Fréres, dans ce cas, selon la nature de l’affaire (et en s’en tenant au mode indiqué), de prendre, nommer ou présenter un plus grand nombre de personnes, pour remplir cet office.
Des besoins futurs
(4) Il est nécessaire et expédient de pourvoir à tous les besoins des Frères, non-seulement à ceux qui donnent lieu présentement à quelque paiement ou satisfaction, comme nous venons de dire, mais encore aux besoins qui menacent de se produire, qu’ils soient de nature à pouvoir être expédiés promptement, ou qu’ils soient du nombre, comparativement restreint, de ceux qui d’ordinaire demandent un certain temps pour qu’on y ait pourvu, comme l’impression des livres, la construction des églises ou d’édifices à usage d’habitation, l’achat de volumes ou d’étoffes en des lieux éloignés, et autres choses semblables.
Nous voulons donc pourvoir utilement à tous ces besoins, s’il s’en présentait, sans nous départir des restrictions apportées plus haut; et comme nous avons clairement distingué à propos des précédentes nécessités, de même nous déclarons que, dans les autres, les Frères peuvent, en toute sûreté de conscience, procéder de cette manière : S’il vient à se présenter une nécessité actuelle ou prochaine à laquelle on puisse pourvoir en peu de temps ou même en certaine rencontre, avec quelque retard, comme au cas précédent, alors qu’en tout et partout, tant à l’égard de celui qui donne l’aumône, qu’en vers la personne nommée ou substituée, on procède en la forme indiquée à l’article du paiement à effectuer pour des besoins passés.
(5) Parlons maintenant d’un besoin qui, bien qu’il puisse être actuel et pressant, entraîne cependant, de sa nature, une longueur de temps. Selon toute apparence, en raison de la distance des lieux en lesquels ce besoin obligerait de se transporter, ou de diverses autres circonstances, il arriverait souvent, que, pour l’expédition de cette affaire nécessaire, l’argent à ce destiné devrait passer par diverses mains et diverses personnes.
Or, ne serait-il pas quasi impossible que le maître principal ou celui qui fournit l’argent, et celui qu’il aura substitué à sa place, et le troisième encore, subrogé, s’il y a lieu, par cette deuxième personne elle-même substituée, fussent mis en même temps au courant de l’affaire.
Nous prononçons donc et déclarons, en cette matière, outre les deux modes d’exécution prescrits pour le cas de nécessités passées et de nécessités urgentes d’expédition prompte ou simplement quelque peu retardée, nous déclarons, disons-nous, que, pour conserver intacte la pureté de la Règle et de ceux qui la professent, si celui qui a fait l’aumône est présent, ou quelque messager pour lui, s’il peut et s’il veut s’en charger, les Frères doivent le prier expressément de vouloir bien régler le tout de ses consentement, volonté et autorité propres. Il saura que, dans ce cas, comme dans les deux précédents, il conservera toujours la propriété de cette somme, avec complète liberté de la reprendre pour lui, jusqu’à ce qu’elle soit passée en l’objet auquel elle est destinée, quelles que puissent être les personnes entre les mains desquelles se trouvera cet argent, qu’elles aient été désignées par lui ou par les Frères. Si cette personne consent à ce que nous venons de dire, les Frères pourront user, en toute sécurité, de l’objet acheté ou acquis par qui que ce soit avec cet argent (en la manière indiquée).
Et pour plus grande clarté de tout ce qui vient d’être exposé, nous déclarons, par cet arrêté valable à perpétuité, qu’en s’en tenant aux moyens qui viennent d’être indiqués relativement à l’argent, dans leurs besoins passés ou leurs nécessités présentes, les Frères ne peuvent encourir le jugement ou le reproche de recevoir de l’argent, par eux ou par personne interposée, contre leur Règle et la pureté de la profession de leur Ordre. N’est-il pas manifeste en effet, après ce que nous venons de dire, que les Frères restent ainsi étrangers, non-seulement à la réception, à la propriété, au domaine, et à l’usage de l’argent en lui-même, mais jusqu’à son moindre contact.
Que faut-il faire, si celui qui a donné l’aumône vient à mourir
(6) Nous supposons que celui qui donne vient à mourir avant que l’argent ait été employé à l’achat licite de l’objet à acquérir ou dont on doit se procurer l’usage. Si en donnant il a déclaré ou exprimé que la personne qui en a été chargée doit employer cette somme pour l’usage nécessaire des Frères, quoi qu’il puisse lui arriver à lui-même, qu’il vive ou qu’il meure, dans ce cas, que le donateur ait laissé ou non quelque héritier, les Frères peuvent, nonobstant la mort du bienfaiteur ou la contradiction de l’héritier, recourir à la personne chargée de l’argent, pour en obtenit l’emploi indiqué, comme ils pouvaient avoir recours au propriétaire lui-même.
Que faire de l’argent resté après qu’il a dépourvu au besoin indiqué
(7) Comme nous avons sincèrement à coeur la pureté de cet Ordre, nous répondons que, si quelque somme d’argent vient a être donnée, comme au cas précédent, pour un besoin déterminé, les Frères pourront prier le donateur de permettre que le surplus de cet argent, s’il en reste après l’acquisition de l’objet spécifié, soit employé à d’autres choses nécessaires aux mêmes Frères. S’il n’y consent pas, que ce surplus, s’il y en a, [lni?] soit rendu. Les Frères néanmoins devront soigneusement faire en sorte de ne pas consentir sciemment à un don d’une valeur plus grande que la valeur probable de l’objet nécessaire pour l’acquisition duquel ce don est fait.
Mais comme le sérieux exposé qui précède pourrait encore être l’occasion de quelque méprise pour le donateur ou le donataire, nous voulons pourvoir plus nettement aux intérêts de ceux qui donnent, à la sainteté de l’Ordre, à la paix de quelques esprit simples, et au salut des âmes. Pour le faire plus sûrement, nous élucidons ainsi qu’il suit, en la présente constitution valable à perpétuité, le vrai sens des choses, facile du reste à concevoir pour tout jugement sain, et nous voulons qu’il puisse parvenir à la connaissance de tous. Toutes les fois donc que de l’argent est envoyé ou offert aux Frères (à moins que celui qui l’envoie ou offre ne s’en explique autrement), on doit le regarder comme offert et envoyé exactement dans les conditions ou le mode ci-dessus.
Il n’est pas vraisemblable, en effet, qu’une personne, sans rien exprimer, ait l’intention de fixer à son aumône un mode d’emploi qui aurait pour effet de priver le donateur du mérite de son action, et ceux aux besoins desquels il entend ainsi pourvoir, du fruit de ce don ou de la pureté de leur conscience.