Article premier
De l’observance des conseils et des préceptes évangéliques
(1) En premier lieu, quelques-uns semblent douter, voyons-nous, si les Frères de cet Ordre sont ou non obligés tant aux conseils qu’aux préceptes évangéliques, soit parce qu’on lit au commencement de la Règle : La Règle et la vie des Frères Mineurs consistent à observer le saint Évangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en vivant dans l’obéissance sans propriété et dans la chastelé; soit parce qu’on y trouve encore ces mots : L’année de probation finie, qu’ils soient admis à la profession de l’obéissance, avec promesse de leur part d’observer toujours ce genre de vie et cette Règle, et ces autres, vers la fin : Nous devons observer la pauvreté, l’humilité et le saint Évangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ainsi que nous en avons pris l’engagement.
Notre prédécesseur, le Pape Grégoire IX, d’heureuse mémoire, s’est, il est vrai, expliqué sur cet article et sur quelques autres de cette Règle. Cependant, à cause des assauts déraisonnables ou malveillants livrés aux Frères et à leur Règle ou de plusieurs cas dignes de considération qui se sont présentés depuis, sa déclaration peut sembler obscure sur quelques points, incomplète sur d’autres, et également insuffisante en des détails contenus dans la Règle.
C’est pourquoi nous voulons, par une déclaration qui ne laisse rien à désirer, remédier à l’obscurité et à l’insuffisance de son interprétation, et ôter, avec toute ambiguité, tout sujet de scrupule, en fournissant un exposé complet qui engendre chez tous la certitude.
Nous nous prononçons donc ainsi : les paroles que nous lisons au commencement de la Règle ne sont point en termes absolus, mais sont accompagnées de quelque modification, détermination ou spécification, La Règle et vie des Frères Mineurs consiste à observer le saint Evangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en vivant dans l’obéissance, sans propriété, et dans la chasteté, trois points que cette Règle poursuit fort étroitement.
Néanmoins, elle y ajoute un certain nombre de choses qu’elle exprime sous forme de préceptes, prohibitions, conseils, admonitions, exhortations, ou en des termes différents qui reviennent en réalité à l’une de ces manières de parler. Il semble assez clair par là que, dans l’intention de la Règle, ces mots relatifs à la profession, et qui pourraient paraître formulés d’une manière absolue, promettant d’observer toujours cette vie et cette Règle, aussi bien que les mots de la fin, nous devons observer le saint Evangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ, selon l’engagement formel que nous en avons pris, doivent tous être rapportés au commencement de la Règle, modifié, déterminé ou spécifié, c’est-à-dire, encore une fois, se réduire à l’observance de l’Évangile en la triple modification, détermination ou spécification proposée par cette Règle.
Il n’est pas vraisemblable, en effet, que le Saint lui-même ait voulu qu’une parole exprimée par lui avec une modification, détermination ou spécification, se trouvant répétée comme en passant, fût, sans motif plausible, privée, dans sa répétition, du sens modificatif, déterminatif, spécificatif, attribué à cette parole une première fois.
D’ailleurs, les procédés de l’un et l’autre droit ne nous apprennent-ils pas que souvent ce qui est au commencement se rapporte au milieu et à la fin, et les idées de la fin à celles du milieu ou du commencement, ou même à ces deux endroits. Mais en supposant que l’on dit, d’une manière absolue: je promets d’observer le saint Évangile, à moins que celui qui fait profession n’eût intention de s’obliger à l’observance de tous les conseils (promesse quasi impos- sible à tenir à la lettre, et qui semblerait ainsi jeter son âme en un véritable piége); il paraît évident qu’une telle promesse ne doit pas, sans intention du promettant, être entendue et obliger dans un autre sens que celui-ci : garder l’observance de l’Évangile comme nous l’a proposée Jésus-Christ; ce qui veut dire que ceux qui font la promesse en question observeront les préceptes comme préceptes, et les conseils comme conseils.
Le Bienheureux François montre clairement, par sa manière de procéder dans la structure de sa Règle, que lui aussi attache ce sens aux mêmes paroles, puisqu’il propose certains conseils évangéliques à titre de conseils, sous forme d’avis, d’exhortation, de conseil, en un mot, et certains autres sous forme de prohibition ou en termes de précepte. Cela nous prouve que l’intention du législateur n’a point été que les Frères, par cette profession de la Règle, fussent astreints à tous les conseils aussi bien qu’aux préceptes de l’Évangile, mais seulement aux conseils exprimés dans la même Règle sous forme de commandement ou de défense, ou en des termes équivalents.
À quels conseils évangéliques sont tenus les Frères en vertu de leur profession ?
(2) Après ce que nous venons de dire, pour mettre pleinement en repos les consciences des Frères de cet Ordre, nous déclarons, qu’en vertu de la profession de la Règle, ils sont astreints à observer les seuls conseils évangéliques qui se trouvent exprimés dans la Règle même d’une manière préceptive ou en des termes équivalents.
Toutefois, il y a dans l’Évangile certains autres conseils auxquels les exigences de leur état les obligent plus que les autres chrétiens, d’autant que par cet état de perfection qu’ils ont embrassé au jour de leur Profession, ils se sont offerts au Seigneur comme un holocauste d’agréable odeur, en se vouant au mépris de toutes les choses du monde. Et pour tout ce qui est d’ailleurs contenu dans la Règle, préceptes, conseils, et le reste, le voeu de leur profession les y oblige de la manière en laquelle chaque chose leur est proposée dans cette même Règle, et non autrement.
Cela veut dire qu’ils sont tenus à l’observance des points qui sont prescrits dans cette Règle en des termes exprimant proprement l’obligation, et que, pour l’observance des autres points énoncés sous forme d’avis, d’exhortation, de direction et d’instruction, ou en tous autres termes, il est d’autant plus convenable qu’ils l’embrassent de bonne foi, qu’en se faisant les imitateurs de leur illustre Père, ils ont entendu suivre le plus près possible les traces de Jésus-Christ.