Prologue
Nicolas, Évêque, Serviteur des serviteurs de Dieu, pour servir de perpétuelle mémoire.
(1) Le semeur est sorti pour semer sa semence. Ce semeur, c’est Jésus-Christ, Fils de Dieu, venu du sein de son Père en ce monde, couvert du vêtement de humanité, pour semer la parole de l’Évangile sur tous les hommes, bons et mauvais, savants et ignorants, zélés et lâches.
C’est lui qui, réalisant cette parole du prophète : il se fera laboureur en cette terre, a répandu indistinctement sur tous sa semence, qui est la doctrine de l’Évangile; c’est lui encore qui, voulant attirer tout à lui, est venu sauver l’universalité des hommes et s’est, pour le salut de tous, immolé à Dieu son Père, se donnant lui-même pour prix du rachat de l’humanité.
De cette semence répandue sur chacun par la charité communicative de Dieu, une partie, il est vrai, est tombée le long du chemin, c’est-à-dire en des coeurs ouverts aux suggestions du démon; une autre partie sur la pierre ou sur les coeurs que n’a pu pénétrer le soc de la foi; une autre encore parmi les épines, c’est-à-dire les coeurs humains que déchirent les soucis des richesses.
Aussi lisons-nous que ces différentes parties de la divine semence ont été, la première, écrasée sous les pieds des affections dépravées; la seconde, desséchée par la privation de la rosée de la grâce; la troisième, étouffée par les soucis désordonnés. Cependant, une certaine partie de cette semence a trouvé une bonne terre, un coeur doux et docile, pour la recevoir.
(2) Ce coeur est assurément la Religion douce et docile des Frères Mineurs, dont la racine a été jetée dans la pauvreté et l’humilité par le saint confesseur de Jésus-Christ François. C’est ainsi que, naisssant de la vraie semence, cette religion a, par sa Règle, répandu ce germe divin sur les fils qu’elle engendre à sa vie, et par elle, à Dieu, dans l’observance de l’Evangile.
Voilà les fils qui, selon l’enseignement de saint Jacques, ont reçu dans la douceur de leur coeur le Verbe Elernel, fils de Dieu, greffé en la nature humaine dans le jardin d’un sein virginal, et qui a la puissance de sauver les âmes. Voilà les observateurs de cette sainte Règle qui a son fondement dans la parole de l’Evangile, sa force vitale dans les exemples de la vie de Jésus-Christ, sa confirmation dans les paroles et les actes de ses apôtres, fondateurs de Eglise militante. Voilà bien la religion sainte et immaculée devant Dieu, religion qui, descendant du Père des lumières, transmise aux apôtres par les exemples et les leçons de son Fils, inspirée, enfin, par l’Esprit-Saint au bienheureux François et à ceux qui se sont mis à sa suite, contient en elle comme le témoignage de toute la Trinité.
N’est-ce pas encore cette Religion à laquelle, comme le veut saint Paul, nul ne doit étre hostile, puisque Jésus-Christ l’a ratifiée par les stigmates de sa passion, voulant que son fondateur portât visiblement sur lui les insignes sanglants de son Maître.
(3) Cependant, tous ces gages imposants n’ont pu mettre les Frères Mineurs et leur Règle à l’abri des astucieuses attaques de l’antique ennemi. S’efforçant de jeter l’ivraie parmi ces saines semences, il a déchaîné parfois contre eux des hommes qui, cachant l’envie et la fureur sous le couvert d’une fausse justice, attaquèrent ces Frères, les poursuivant, pour ainsi dire, de leurs aboiements et de leurs morsures, eux et leur Règle qu’ils taxaient d’illicite, d’impraticable, de dangereuse.
Ils oubliaient que cette sainte Règle, comme nous l’avons dit, ne renferme rien que de salutaire dans ses institutions, ses préceptes et ses avis; ils oubliaient qu’elle tire une force singulière de l’exemple des Apôtres, de la confirmation du Siège Apostolique, de tant de témoignages divins qui l’appuient; toutes vérités rendues si évidentes par la vie de tous lès saints personnages qui ont coulé et terminé leurs jours dans l’observance de cette Règle.
Plusieurs même, parmi eux, ont été, à cause de leur vie et de leurs miracles, inscrits par le même Siège au catalogue des saints, Cette Règle, enfin, n’a-t-elle pas été approuvée par notre prédécesseur, d’heureuse mémoire, le Pape Grégoire IX ? N’a-t-elle pas été reconnue par là d’une utilité manifeste pour l’Église entière, comme l’a déclaré, pour ainsi dire, ces jours derniers, le concile général de Lyon ?
Pour nous, après une sérieuse attention, après mûre réflexion (et tous ceux qui font profession de la foi catholique devraient, eux aussi, y regarder de plus près), nous sommes forcés de reconnaître que Dieu lui-même s’est montré favorable à cet Ordre et à ses membres. Il les a si efficacement secourus et si bien préservés des attaques haineuses dirigées contre eux, que les flots de la tempête, loin d’écraser les enfants de cet Ordre, loin d’affaiblir leur courage, les ont fortifiés dans la ferveur régulière et ont développé en eux l’observance de leurs institutions.
(4) Toutefois, afin que cet Ordre, débarrassé de tout obstacle, brille d’une clarté nette et pure, nous condescendrons aux désirs des Frères réunis naguère en Chapitre général. Les principaux membres de ce Chapitre, nos chers fils le Général et plusieurs Ministres provinciaux, s’étant présentés devant nous, nous ont donné lieu d’apprécier combien tous brûlent d’ardeur pour la pleine observation de la Règle.
Nous avons donc jugé bon de couper pied à toutes ces attaques et morsures. Dans ce but, nous nous proposons de déterminer certains points de cette Règle qui pouvaient paraître douteux, d’expliquer et éclaircir plus complètement certains autres fixés par nos prédécesseurs, enfin de pourvoir à la pureté et à la paix des consciences de tous en quelques matières qui touchent à la Règle elle-même.
(5) Pour nous, dès notre jeune âge, nous avons porté nos affections vers cet Ordre; un peu plus tard, de fréquents rapports avec quelques compagnons du saint Confesseur qui connaissaient sa vie et ses oeuvres, nous ont permis de nous occuper sérieusement de la Règle et des intentions du bienheureux François. Nommé enfin Cardinal par le Saint-Siège, puis Protecteur et Correcteur de cet Ordre, nous en avons, par suite de cette responsabilité immédiate, touché du doigt tous les éléments. Chargé maintenant du suprême apostolat, instruit, on le voit, par une longue expérience, de tout ce qui concerne cette Règle, son observance et les pieux desseins de son auteur, nous avons entrepris ce travail sur l’Ordre qui nous occupe.
Nous y avons discuté, avec une pleine maturité, les différentes approbations et déclarations de nos prédécesseurs, ainsi que la Règle en elle-même et ce qui s’y rattache. Nous avons de plus, sur un certain nombre de points, porté nous-même en cet écrit, des statuts, des déclarations, des approbations plus claires, ou confirmé des approbations données, réglant et concédant le tout par acte authentique. Nous avons enfin mis ordre, avec plus de poids et de netteté, à un grand nombre de points détaillés dans les articles qui vont suivre.