Article 1
De l’observation des commandements et des conseils évangéliques
En premier lieu, comme nous avons appris que quelques-uns doutent si les Frères dudit Ordre sont obligés d’observer tant les conseils que les préceptes évangéliques ; soit parce qu’il y a au commencement de la Règle, La Règle et la vie des Frères Mineurs consiste à observer le saint Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ, en vivant dans l’obéissance, sans propriété et en chasteté ; soit parce qu’il est dit dans un autre endroit, l’année de probation étant finie, qu’ils soient reçus à faire leur profession d’obéissance, en promettant d’observer toujours ce genre de vie et cette Règle ; soit encore parce qu’à la fin de la même Règle on lit ces paroles, que nous observions la pauvreté, l’humilité, et le saint Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ, que nous avons fermement promis d’observer.
Quoique cet article et quelques autres de ladite Règle aient été éclaircis par le Pape Grégoire IX, notre prédécesseur, d’heureuse mémoire, en l’an 1230, cependant, sur les attaques violentes et extraordinaires de ceux qui se sont élevés contre les Frères et contre leur Règle, et sur plusieurs cas remarquables qui sont arrivés depuis ce temps-là ; sa déclaration paraissant obscure en quelques points, imparfaite en d’autres, et insuffisante à l’égard de plusieurs choses contenues dans la Règle.
Nous, voulant remédier à ces sortes de défauts par une autre déclaration qui explique parfaitement toutes les difficultés, et ôter de tous les esprits, par une interprétation plus précise et plus étendue, jusqu’au moindre doute qu’on pourrait avoir sur ce sujet.
Nous disons que, puisqu’il y a au commencement de la Règle, non pas absolument, mais avec quelque modification, restriction et spécification, la Règle et la vie des Frères Mineurs consiste à observer le saint Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ, en vivant dans l’obéissance, sans propriété et en chasteté ; trois articles que la même Règle continue d’expliquer fort exactement, quoiqu’elle y en ajoute d’autres en des termes de commandement, de défense, de conseil, d’avertissement, d’exhortation, et en d’autres termes qui reviennent à quelques-uns de ceux-ci ; il est visible que, selon l’esprit de la Règle, ce qui semble être dit absolument et sans restriction dans la profession, en promettant d’observer toujours ce genre de vie et cette Règle, et ce qui est à la fin, que nous observions le saint Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ, que nous avons fermement promis d’observer, doit s’entendre selon la modification, restriction et spécification mises au commencement de la Règle ; c’est-à-dire que cette observation de l’Évangile doit être modifiée, limitée et spécifiée par les trois articles de l’obéissance, de la pauvreté et de la chasteté, qui sont marqués dans la même Règle.
Car il n’y a pas d’apparence que saint François, ayant une fois avancé une chose avec quelque restriction, ait voulu sans aucun sujet, lorsqu’il l’a répétée en passant, que la restriction qu’il y avait mise ne s’y trouvât plus, outre que les règles de l’un et de l’autre Droit nous apprennent que les choses qui sont au commencement, celles qui sont au milieu et celles qui sont à la fin se rapportent ordinairement les unes aux autres.
Supposons même que quelqu’un dît absolument et sans restriction : “Je promets d’observer le saint Évangile,” à moins que par-là il ne prétendît s’engager à en observer tous les conseils, ce qui lui serait très difficile et même impossible de pratiquer à la lettre ; en quoi il paraît qu’un engagement de cette nature serait un piège pour celui qui le formerait ; il est évident que cette promesse ne devrait s’entendre que de l’observation de l’Évangile, telle qu’il se trouve que Jésus-Christ l’a enseignée ; savoir que ceux qui s’y engagent gardent les préceptes comme des préceptes et les conseils comme des conseils.
Et saint François lui-même fait bien voir par l’ordre qu’il garde dans toute la Règle, que c’est là le sens qu’il donne aux mêmes paroles ; puisqu’il propose certains conseils évangéliques comme des conseils en des termes d’avertissement, d’exhortation, et de conseil, et quelques autres comme des préceptes en des termes de défense et de commandement : ce qui prouve avec évidence que dans ce qu’il a dit, il n’a pas prétendu que les Frères, par la profession qu’ils feraient de cette Règle, fussent obligés à observer tous les conseils évangéliques comme des préceptes, mais seulement ceux qui sont exprimés dans la Règle en des termes de commandement ou de défense, ou en termes équivalents.
C’est pourquoi, afin de mettre la conscience des Frères Mineurs dans une parfaite tranquillité, nous déclarons qu’en vertu de la profession qu’ils ont faite de ladite Règle, ils ne sont obligés d’observer que les conseils évangéliques qui y sont marqués en des termes de commandement ou en d’autres termes équivalents. À l’égard de quelques autres conseils qui se trouvent encore dans l’Évangile, les Frères doivent plutôt les observer que le commun des chrétiens, puisque par la profession qu’ils ont faite, ils ont embrassé un état de perfection, et se sont offerts à Dieu comme de parfaits holocaustes par le mépris de toutes les choses du monde.
En un mot, par les voeux de leur profession, ils ne sont engagés à observer les choses qui sont dans la Règle, commandements, conseils, et tout le reste, qu’en la manière qu’elles y sont marquées ; c’est-à-dire, qu’ils sont absolument obligés à garder comme des préceptes celles qui y sont mises en des termes obligatoires. Pour ce qui est de l’observation des autres choses qui y sont contenues en des termes d’avertissement, d’exhortation, d’instruction, et en quelques autres, il est d’autant plus juste et raisonnable que les Frères s’y appliquent, que s’étant rendus imitateurs d’un si excellent Père, ils se sont engagés par leur propre choix à suivre Jésus-Christ plus fidèlement que les autres.