Chapitre 10
(217) Les prélats de l’Eglise, suivant la doctrine du Christ, notre humble Sauveur, ne doivent pas ressembler aux princes païens, qui s’enorgueillissent dans leurs dignités 1; ils doivent au contraire s’abaisser d’autant plus, qu’ils ont à supporter le poids d’une plus lourde responsabilité, se rappelant que, si les Frères sont obligés d’obéir à leur Supérieur, ils sont eux-mêmes obligés à leur tour d’obéir à tous les Frères, de les servir et de les assister en tous leurs besoins, surtout spirituels, à l’exemple du Christ, qui est venu pour nous assister, nous servir et sacrifier sa propre vie pour nous 2. C’est pourquoi nous exhortons tous nos Supérieurs à se regarder comme les minitres et les serviteurs de tous leurs Frères; ce qu’ils réaliseront, si, conformément à l’intention du séraphique Père, ils leur communiquent l’esprit et la vie par leurs exemples et par leurs paroles.
(218) Pour cela on ordonne que le Ministre général, pendant la durée de sa charge, visite en personne, ou par d’autres, s’il en est légitimement empêché, toutes les Provinces, et, autant que possible, toutes nos maisons, ou au moins qu’il cherche à voir tous les Frères. Les Supérieurs provinciaux visiteront toutes les maisons et tous les Frères de leur Province, au moins une fois l’an 3.
(219) Dans les visites canoniques les Supérieurs ma- jeurs observeront avec le plus grand soin toutes Îles prescriptions du droit, et ils s’assureront tout particu- lièrement que les ordonnances de la visite précédente ont été exécutées, et s’ils constatent sur ce point de coupables négligences, ils puniront les transgresseurs- selon la gravité du délit, et ils n’omettront pas d’ex– horter avec charité leurs sujets à la parfaite observation. des préceptes et des conseils évangéliques, de la Règle, des présentes Constitutions, et surtout de la très haute- pauvreté qui est le fondement stable de la vie commune: et de l’observance régulière.
(220) La visite terminée, les Supérieurs provinciaux et les Visiteurs généraux en feront la relation exacte au Ministre général. De même, dans les trois mois qui suivent la visite, les Supérieurs locaux rendront compte au Supérieur provincial de l’exécution des ordonnances qu’il y a portées. La même obligation incombe aux Supérieurs provinciaux vis-à-vis du Ministre général dans les six mois qui suivent sa visite ou celle de son Délégué. Et si quelqu’un n’observait pas ces prescriptions, comme celui qui récuserait témérairement un Visiteur ou tenterait de le faire, il sera puni à l’arbitre du Supérieur majeur respectif 4.
(221) Au moins une fois par mois, ou plus souvent suivant les louables usages des Provinces, les Supérieurs locaux adresseront une exhortation spirituelle à tous les religieux de leur famille. En outre qu’ils aient soin, au moins deux fois par mois, de faire donner aux frères laïcs et aux domestiques une instruction sur la doctrine chrétienne, en rapport avec leur condition 5.
(222) Afin de conserver parmi nous la discipline régulière, prévenir les manquements à la Règle et aux Constitutions, pourvoir à la correction et à l’amendement des transgresseurs, nous ordonnons que dans toutes nos maisons on tienne le Chapitre des coulpes aux jours fixés, c’est-à-dire les lundi, mercredi et vendredi, sauf ceux où tomberait une solennité ou une fête double de première ou de seconde classe, et que les Supérieurs n’en dispensent que rarement. En entendant la coulpe de leurs Frères, les Supérieurs doivent user de grande prudence, d’urbanité chrétienne et de charité fraternelle, afin que cette pratique, destinée à accroître l’esprit religieux et l’observance régulière, ne tourne pas au détriment de l’un et de l’autre.
(223) Si parmi leurs sujets il se trouvait des égarés et des coupables, que les Supérieurs s’efforcent de les ramener dans la bonne voie avec miséricorde et par des mesures paternelles. Qu’ils se souviennent que notre Père saint François avait coutume de dire : Si nous voulons relever celui qui est tombé, il faut nous pencher vers lui avec miséricorde, comm ele fit le Christ, notre Sauveur très compatissant, lorsqu’on lui présenta la femme adultère, et ne point nous tenir dans la raideur d’une inflexible justice.
Qu’ils songent plutôt que, pour nous sauver, le très doux Fils de Dieu descendit du ciel en terre, et mourut sur la croix, que toujours il témoigna la plus grande bienveillance aux pécheurs vraiment repentants, et qu’il a dit à saint Pierre, établi par lui Pasteur universel sur la terre, qu’il devait pardonner septante fois sept fois au pécheur 1.
Notre séraphique Père saint François a laissé par écrit dans une de ses lettres, qu’il voulait qu’un Frère, quelque coupable qu’i fût, ne se retirât jamais de la présence de son Supérieur sans obtenir son pardon, s’il l’implorait avec humilité, et que, même s’il ne le demandait, il voulait que le Supérieur le lui offrit, et que, s’il revenait mille fois, le Supérieur ne lui manifestât jamais d’indignation, ni ne parût se souvenir de ses fautes, mais au contraire lui témoignât l’amour le plus sincère et le plus cordial, afin de l’attirer plus efficacement au Christ, notre très miséricordieux Seigneur 2.
(224) Néanmoins, comme tolérer que les coupables demeurent impunis, serait une même chose qu’ouvrir aux méchants la porte de tous les vices, les encourager aux mêmes égarements et à d’autres pires encore, et en faire ainsi un obstacle pour les religieux vertueux et réguliers, nous ordonnons que les Supérieurs leur infligent les peines paternelles où canoniques qu’ils méritent, suivant le cas.
Toutefois, comme le dit le grand Docteur saint Augustin, l’unique fin du châtiment comme du pardon devant être l’amendement du coupable, qu’ils n’oublient point, en punissant, de mêler le vin de la justice avec l’huile de la miséricorde; de telle sorte que la discipline ne perde rien de ses droits, et que la rigueur ne dépasse pas les bornes de la modération, et que, dans les remèdes employés pour guérir les malades spirituels, la miséricorde et la vérité se rencontrent toujours ensemble 3.
Et chacun aura soin de ménager, autant que possible, la réputation des malheureux Frères, dont les péchés ne doivent scandaliser personne, ni inspirer pour eux de l’éloignement et de l’horreur, mais plutôt la commisération de tous, et une charité d’autant plus vive, qu’ils en ont plus besoin; chacun se persuadant bien, comme le dit notre Séraphique Père, qu’il ferait pis, si Dieu par sa bonté ne le soutenait de sa grâce.
(225) Les peines paternelles qui nous sont particulières sont principalement les suivantes : la réprimande au Chapitre des coulpes, la discipline en public au réfectoire, le jeûne au pain et à l’eau, le repas pris à genoux en présence de la communauté, la défense de sortir du couvent pendant un certain laps de temps, une séparation de courte durée d’avec la communauté, en sorte que le coupable ne puisse prendre part aux exercices communs, ni parler aux religieux sans la permission du Supérieur. Ces peines peuvent être infligées par le Supérieur local.
(226) Les peines canoniques portées soit par le droit commun, soit par les présentes Constitutions, ne peuvent être infligées que par les Supérieurs majeurs 4 et en se conformant aux règles du droit 5.
(227) Enfin si, ce qu’à Dieu ne plaise, quelque Frère, oublieux de sa vocation, méprisait tous les moyens d’amendement, ou commettait de ces fautes qui entraîneraient le renvoi de l’Ordre, les Supérieurs en viendront à ce dernier remède, en observant exactement les prescriptions canoniques 6.
(228) Que les Supérieurs prennent encore bien garde d’enchaîner les âmes de leurs sujets par des préceptes d’obéissance sous peine de faute grave, lorsqu’ils n’y seront pas forcés par la nécessité. C’est pour cela qu’on ne doit élire comme Supérieurs que des Pères sages, prudents, éclairés et expérimentés.
(229) De leur côté, les Frères qui sont sujets, quelle que soit par ailleurs leur condition, doivent obéir à leurs Supérieurs avec humilité, en toutes les choses où ils ne verront pas qu’il y a offense de Dieu, et avoir pour eux le respect que mérite leur qualité de représentants de saint François, ou plutôt du Christ notre Dieu. Ils recevront leurs réprimandes et leurs corrections à genoux, selon la louable coutume de nos anciens et humbles Pères, et les accepteront avec patience, sans jamais se permettre aucune réponse orgueilleuse, ni même une simple observation au Supérieur, surtout en Chapitre et au réfectoire, sans en avoir demandé et obtenu la permission. Celui qui y contreviendrait mangera pain et eau à genoux en présence des Frères.
Que tous apportent un soin attentif à se corriger de leurs défauts, qu’ils s’efforcent de vaincre leurs inclinations mauvaises et vicieuses par de vertueuses habitudes, et à faire de rapides progrès dans les voies de la perfection, par la pratique de nombreux actes de vertus, en sorte que toutes leurs actions soient à la louange et à la gloire de Dieu, tout en étant pour le prochain une cause de paix, d’édification et de salut.
(230) Que tous les Frères s’interdisent d’en appeler des décisions de leurs Supérieurs à des personnes étrangères à l’Ordre, se souvenant que nous ne sommes pas venus en religion pour contester, mais pour pleurer nos péchés, réformer notre vie, et porter la croix de la pénitence à la suite de Jésus-Christ, qui s’est soumis avec patience aux jugements injustes d’hommes pervers et impies. Si cependant ils veulent recourir, qu’ils suivent l’ordre hiérarchique, c’est-à-dire qu’ils recourent du Gardien au Supérieur provincial, du Supérieur provincial au Ministre général et du Ministre général au Saint-Siège.
Si quelqu’un recourait contre ses Supérieurs en dehors de l’Ordre, outre les peines portées par le droit, que peut comporter le cas 7, qu’il soit gravement puni, même par la privation de voix active et passive, par la perte des offices de l’Ordre et par l’inhabilité perpétuelle à les exercer. De même que ceux qui recourraient à des personnes étrangères à l’Ordre, quelle que puisse être leur dignité, pour obtenir des Supérieurs une faveur quelconque, pour eux-mêmes ou pour d’autres, soient punis suivant la gravité de la faute.
(231) Afin que les peines qui sont en usage parmi nous ne soient ni empêchées ni mal interprétées, et pour être en même temps plus libres de procéder contre les coupables, on défend de divulguer les secrets de l’Ordre. Quiconque le ferait, sera privé de voix active et passive pendant un an.
(232) Comme la recherche des nouvelles inutiles du siècle et les amitiés mondaines nuisent gravement à la vie spirituelle et sont pour les séculiers eux-mêmes un sujet d’étonnement et de scandale, car elles sont une marque de tiédieur dans le service de Dieu et montrent que le Religieux est présent au Couvent de corps plus que de coeur; afin que notre esprit soit sans cesse occupé de pensées célestes et notre coeur rempli de notre très doux Sauveur, on défend aux Frères d’écrire des lettres sans cause raisonnable et d’en envoyer ou recevoir sans l’intermédiaire de leur propre Supérieur.
De plus, que les étudiants, pendant le cours de leurs études, et les laïcs, pendant les six ans qui suivent leur première profession, remettent ouvertes à leur Supérieur les lettres qu’ils voudront envoyer, et reçoivent ouvertes celles qui leur sont adressées.
Cependant que les Supérieurs, sans préjudice de leur droit strict, n’ouvrent pas les lettres de leurs religieux, sauf pour une cause raisonnable ou une nécessité urgente. Toutefois tous les Frères peuvent librement adresser des lettres, exemptes de tout contrôle, au Saint-Siège et à son Nonce dans le pays, au Cardinal Protecteur, à leurs propres Supérieurs majeurs et au Supérieur de leur couvent quand il en est absent, et ils peuvent recevoir de toutes ces personnes des lettres que nul n’a le droit d’ouvrir 8.
Et si quelque sujet interceptait, ouvrait ou retardait les lettres des Supérieurs, qu’il soit privé de voix active et passive, pendant deux ans, et que, pendant trois mois, il lui soit interdit de sortir du couvent. De même que l’on punisse sévèrement le Supérieur qui oserait intercepter, ouvrir ou retarder les lettres que chaque religieux peut envoyer sans contrôle aux Supérieurs mentionnés dans le droit, ou les lettres de ceux-ci adressées aux religieux.
(233) Et que ceux qui par leur condition ne sont pas tenus de se livrer à l’étude ne se mettent pas en peine de le faire, mais qu’ils travaillent avant tout à acquérir l’esprit du Seigneur et à suivre ses saintes opérations, qu’ils s’appliquent à le prier avec un coeur pur, et à être humbles et patients dans les persécutions et dans les infirmités.
Nous recommandons aussi à tous les Frères de se garder, suivant l’avertissement que notre séraphique Père nous donne dans la Règle, de tout orgueil vaine gloire, envie, avarice, soin et sollicitude du siècle; de toute détraction et de tout murmure contre qui que ce soit, surtout contre les Supérieurs ecclésiastiques, le clergé et les autres religieux; mais de porter à tous le respect qu’ils méritent, chacun selon son état, les regardant tous comme nos pères et nos supérieurs en Jésus-Christ notre Sauveur.