Chapitre 5
(90) Dieu seul étant la fin dernière à laquelle nous devons tous tendre et aspirer, en nous efforçant de nous transformer en lui, nous exhortons les Frères à diriger, avec les plus vifs élans d’amour, toutes leurs pensées, leurs intentions et tous leurs désirs vers ce but : en sorte que, continuellement unis à ce Père infiniment bon, de tout leur esprit, de tout leur coeur, de toute leur âme et de toutes leurs forces, ils l’aiment d’un amour efficace, pur, constant et généreux.
(91) Et comme il n’est pas possible d’arriver à une fin si l’on n’en prend les moyens, que chacun de nous s’applique à rejeter loin de lui les choses inutiles et dangereuses, qui pourraient entraver ou détourner notre marche dans la voie du salut, et ne choisisse que celles qui sont utiles et nécessaires pour aller à Dieu; telles que la très haute pauvreté, l’inviolable chasteté, l’humble et prompte obéissance et toutes les autres vertus évangéliques que le Fils de Dieu nous a enseignées par ses paroles et par les exemples qu’ils nous a donnés dans sa personne et dans celle de ses Saints.
(92) Mais comme il est bien difficile que l’homme soit toujours actuellement élevé en Dieu, pour fuir l’oisiveté, racine de tous les maux, et en même temps pour édifier le prochain et être moins à charge aux personnes du monde, à l’exemple de l’Apôtre saint Paul, ce vase d’élection, qui unissait le travail à la prédication 1, ainsi que d’un grand nombre d’autres Saints; pour observer l’admonition que notre séraphique Père nous a faite dans sa Règle, de travailler, et nous conformer à sa volonté si clairement exprimée dans son Testament : nous voulons que les Frères, toutes les fois qu’ils ne seront pas occupés aux exercices de piété, s’adonnent, sous la dépendance de leurs Supérieurs, à quelques travaux honnêtes et convenables à leur état : les prêtres au ministère sacré, les clercs à leurs études, les laïcs aux offices et travaux manuels, aux soins des malades et à la quête.
(93) Que les Frères, tout en s’occupant aux travaux manuels, ne laissent pas d’entretenir leur esprit et leur coeur de quelques saintes pensées, autant que le permet la fragilité humaine. C’est pourquoi nous les exhortons, pendant le temps du travail, soit à parler de Dieu avec modestie et à voix basse, soit à écouter avec humilité et charité la lecture de quelque livre de piété, soit à garder le silence.
(94) Et que les Frères se gardent bien de mettre leur fin dans le travail, de s’y attacher en quoi que ce soit, ou de s’y appliquer de manière à éteindre ou à diminuer en eux l’esprit de dévotion, auquel toutes les choses doivent servir; mais plutôt, que, tenant sans relâche le regard de leur âme fixé vers Dieu, ils s’efforcent d’aller à lui par la voie la plus parfaite et la plus courte : afin que le travail imposé à l’homme par Dieu même, accepté et recommandé par les Saints comme moyen de conserver l’esprit intérieur, ne leur devienne une cause de distraction et de relâchement.
(95) Que les Frères ne travaillent pas pour les séculiers, à moins que l’obéissance ne les y oblige. En outre que personne n’ose se mêler aux affaires des personnes du siècle, ni s’ingérer dans des choses étrangères à l’Ordre, ou peu conformes à l’état religieux, ou enfin exercer, hors de l’Ordre, la pharmacie ou la médecine 2. Et nous ordonnons que ceux qui contreviendraient à cette défense soient sévèrement punis par le Supérieur provincial.
(96) Le pieux saint Bernard dit que rien n’est plus précieux que le temps et que rien n’est moins estimé 3; il nous avertit également, que nous serons sévèrement examinés sur l’emploi que nous en aurons fait 4. C’est pourquoi nous exhortons tous les Frères à ne jamais rester inactifs, et à ne point consumer le temps en des choses de peu ou de nulle utilité, et moins encore en de vaines et oiseuses conversations; mais qu’ils aient soin d’employer ce temps si précieux à de saintes, louables et utiles occupations soit du corps, soit de l’esprit, qui puissent glorifier la Divine Majesté et édifier leurs confrères, aussi bien que les séculiers.