Chapitre 4
(85) Bien persuadé que la cupidité est, selon l’expression de l’Apôtre 1, la racine de tous les vices, notre séraphique Père saint François, extrêmement jaloux de l’extirper du coeur de ses enfants, leur a défendu dans la Règle de recevoir en aucune manière deniers ou pécune, par eux-mêmes ou par personne interposée. Et afin de graver plus profondément ce principe dans nos âmes, et de nous faire comprendre combien il l’avait à coeur, il l’a réitéré jusqu’à trois fois dans la dite Règle.
Aussi, pour entrer pleinement dans les vues de notre Père et remplir parfaitement les pieux désirs que le Saint-Esprit lui a inspirés, nous défendons que les Frères aient, en aucune façon, des procureurs ou d’autres personnes, sous quelque dénomination que ce soit, qui tiennent ou reçoivent argent ou pécune pour eux, ou en leur nom, contrairement aux déclarations des Souverains Pontifes Nicolas III 2 et Clément V 3; nous contentant d’avoir pour procureur Jésus-Christ notre Seigneur, pour substitut et avocate, sa très aimable Mère, les Anges et les Saints pour amis spirituels.
(86) Et puisque la très haute pauvreté fut l’épouse chérie du Christ, Fils de Dieu et de notre Père saint François, son humble serviteur, les Frères doivent bien se persuader qu’on ne saurait la violer sans déplaire grandement à Dieu, et que c’est en vérité le blesser à la prunelle de l’oeil que de lui porter atteinte.
Notre séraphique Père avait coutume de dire que ses véritables Frères ne devaient pas faire plus de cas des deniers et de la pécune que de la poussière; bien plus, qu’ils devaient les fuir avec autant d’horreur qu’un serpent venimeux. Oh ! que de fois ce tendre Père, embrasé d’un zèle tout divin, prévoyant en esprit qu’un grand nombre de Frères, rejetant cette perle évangélique, tomberaient dans le relâchement jusqu’à recevoir et se procurer des legs, des héritages et des aumônes superflues, pleura sur eux en disant qu’un religieux est bien près de sa perte, dès qu’il estime plus l’argent que la boue.
L’expérience nous prouve en effet que, quand un religieux rejette loin de lui la sainte pauvreté, il ne tarde pas à contracter les vices les plus honteux et les plus énormes. Que les Frères s’efforcent donc, à l’exemple du Christ et de sa très douce Mère, d’être pauvres des choses terrestres, afin de devenir riches en grâces, en vertus et en trésors célestes. Et surtout qu’ils se donnent bien garde, en visitant les malades, de les engager directement ou indirectement, à leur laisser des choses temporelles.
Qu’ils refusent au contraire, autant qu’ils le pourront convenablement, tout ce qu’ils voudraient leur donner de plein gré; se persuadant bien qu’il n’est pas possible de posséder tout à la fois les richesses et la pauvreté; et qu’ils ne reçoivent pas de legs, contrairement aux déclarations des Souverains Pontifes Nicolas III 4 et Clément V 5. Celui qui contreviendrait à cette défense sera privé de son office s’il est Supérieur local, et, s’il était Supérieur provincial, il sera sévèrement puni par le Ministre général.
(87) Et pour mieux comprendre et avoir toujours présent à l’esprit ce que notre séraphique Père nous défend dans le chapitre quatrième de la Règle, nous rappelons aux Frères que, sauf une légitime dispense, ils ne peuvent en aucune manière, avoir l’usage et l’administration civile des deniers ou pécune. En sorte que si un Frère osait s’en procurer de sa propre autorité, en recevoir, en disposer pour lui-même ou pour d’autres, en garder en dépôt chez lui ou chez quelque autre personne, il violerait gravement ce précepte et se rendrait coupable de propriété.
Si en raison des temps, les Supérieurs doivent user parfois d’indults particuliers du Saint-Siège, outre les clauses renfermées dans ces indults, qu’ils observent exactement les prescriptions du Code de Droit Canonique, tant pour l’administration ou l’aliénation des biens, que pour contracter des dettes ou des obligations 6. Que les mêmes Supérieurs reçoivent avec la prudence requise les honoraires de Messes, selon les besoins des Frères et observent fidèlement les règles tracées par l’Eglise sur ce point 7.
(88) Afin de conserver plus sûrement ce précieux trésor de la pauvreté, nous défendons de recourir aux amis spirituels, si ce n’est pour les choses nécessaires qu’on ne peut se procurer autrement; encore faudra-t-il la permission des Supérieurs, à moins que le besoin soit si pressant, qu’il ne souffre aucun retard. En un mot, dans tout recours, il faut toujours une vraie nécessité et la permission préalablement obtenue.
(89) Comme nous avons été appelés à ce genre de vie, pour mortifier l’homme charnel et vivifier l’homme spirituel, nous exhortons les Frères à s’accoutumer à la privation des choses du monde, à l’exemple du Christ, qui, étant le souverain Seigneur de toutes choses, a choisi la pauvreté et les souffrances par amour pour nous 8. Que les Frères se défient donc du démon de midi, qui souvent se transforme en ange de lumière; ce qui arrive lorsque le monde, sous prétexte de dévotion, nous flatte en nous procurant les commodités de la terre, qui souvent causent les plus grands dommages à la religion.
Qu’ils veillent à ne pas être du nombre de ces faux pauvres, dont saint Bernard disait : Ils veulent être pauvres, à condition toutefois de ne manquer de rien 9. Qu’ils se rappellent sans cesse que la pauvreté évangélique et sa perfection consistent principalement à ne s’attacher à rien sur la terre, à user des choses de ce monde, avec la plus grande modération 10, à regret, comme forcés par la nécessité, et uniquement en vue de la gloire de Dieu toujours béni, à qui nous devons nous reconnaître redevables de tout bien.
1 Tim. 6:10. ↩︎
Const. Exiit, art. 4 par. 5 ↩︎
Const. Exivi, par. Porro. ↩︎
Const. Exiit, par. Ad haec. ↩︎
Const. Exivi, par. Proinde; Pie X, Normae a Superioribus servandae, 21 mai 1908. ↩︎
Can. 516.2-4; 532.2; 534; 536; 1529, 1530 et 1531. ↩︎
Can. 824-844; 918.2 et 2324. ↩︎
2 Cor. 8:9. ↩︎
Serm. IV, De adventu. ↩︎
Clément V, Const. Exivi, par. Ex praemissis. ↩︎